East London derniers jours (VII)

vendredi 30 juin 2017
par  Charles Hoareau
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C’est en juillet qu’est célébré le Mandela Day, le 18 exactement. Journée internationale de l’ONU et jour férié en Afrique du Sud il appelle tous les sud-africains à lutter contre les discriminations et les causes de la pauvreté. Une bonne occasion de finir là la série d’articles consacrées à ce pays…

East London, derniers jours

Le lendemain de cette journée mémorable nous avons rendez-vous au tribunal…pour y voir défiler la misère du monde. Des petits voleurs, un jeune qui s’est montré agressif, un vieil homme qui a commis un larcin minable, la plupart répondent avec l’apparence la plus honteuse possible aux questions en espérant que la voix basse, encore plus basse que celle de leur avocat qui lui a la chance d’être près de la tribune, et leurs yeux qui regardent les chaussures attendriront la juge alors qu’en fait cela produit l’effet inverse et la magistrate fait répéter d’un ton agacé leurs explications balbutiantes et murmurées. Les avocats eux, bien sûr, peuvent continuer sans élever le ton leur conciliabule réservé sans doute aux seules personnes qui peuvent se parler de part et d’autre du trône imposant où siège la cour et que leurs propres clients ont du mal à entendre. Bref il n’y a rien qui ressemble plus à un tribunal correctionnel qu’un autre tribunal correctionnel et la couleur des divers intervenants n’y change rien.

C’est aujourd’hui le 8 mars. Ce n’est pas ce jour qu’est célébrée en Afrique du sud la journée de la lutte des femmes mais le 9 août, date anniversaire de « La Marche des Femmes » qui en 1956 vit 20 000 femmes se rassembler devant le siège du gouvernement à Pretoria pour protester contre une loi discriminatoire les obligeant à avoir un laissez-passer. La loi fut votée…et abrogée 30 ans plus tard en 1986… Le combat des femmes ici aussi on connait. Il semble d’ailleurs au voyageur que je suis que sur un certain nombre de points on soit ici en avance sur les questions d’égalité hommes femmes. Il y a par exemple égalité des salaires dans la fonction publique (un point qui reste tout de même à confirmer dans le privé), égalité au moins apparente de répartition dans les métiers de la construction au commerce en passant par les agents de sécurité.

Départ pour East London

Ce matin j’ai rendez-vous de bonne heure devant le siège du Nehawu avec deux camarades qui m’emmènent à East London où ils ont une réunion régionale. Comme toujours j’ai droit à être devant à côté du chauffeur quelle que soit la ou les personnes qui sont dans la voiture. J’ai eu beau protester au début, leur dire même qu’ils étaient des partisans des discriminations contre les noirs, ça n’a pas marché ! Honneur aux étrangers. Du nord au sud l’Afrique sait ce que veut dire le mot hospitalité. Mais en l’occurrence je me serais bien passé de leur gentillesse car, mes camarades n’ayant pas eu le temps de préparer leur réunion, ont décidé de profiter des plus de deux heures de voyage pour le faire. J’ai donc eu droit durant tout le voyage à une conversation en Xhosa, en stéréo et à fort volume car il faut bien parler fort pour s’entendre entre l’avant et l’arrière. Plus de deux de « Iiiiiiiiiii », « Aaaaaaaaaaa », de clics, de clacs et autres sons inattendus ponctuant tant de mots incompréhensibles…J’ai béni les travailleurs des travaux publics qui ont immobilisé les véhicules sur la route pendant de longues minutes me donnant un prétexte pour sortir quelques instants et m’extirper du concert qui a continué imperturbable pendant l’arrêt et jusqu’à l’arrivée…

East London est une ville côtière avec d’immense plages de sable fin qui s’enfoncent très lentement sous l’eau et il faut donc marcher longtemps vers le large pour pouvoir nager au milieu de vagues guère propices à la baignade. Les arbres tordus le long du rivage témoignent de la force des vents qui doivent souffler ici par moments. A East London, outre plusieurs promenades le long de ces immenses plages, j’ai pu admirer des couchers et des levers de soleil somptueux y compris depuis la chambre de mon hôtel dont une large baie vitrée ouvrait vers le large…

Quand j’ai décidé d’aller en Afrique du Sud j’avais choisi d’y aller en mars, non seulement pour des raisons climatiques mais aussi (et surtout !) pour être sur place le 21 mars, date connue chez nous comme journée mondiale contre le racisme décidée par l’ONU en référence au massacre de Sharpeville qui eut lieu ce jour-là [1].
En Afrique du Sud, le 21 mars qui est un jour férié, n’est pas seulement une journée contre le racisme mais « The national humans right day », la journée nationale pour les droits humains…un choix plus juste. Ce jour-là il y a des initiatives dans toute l’Afrique du Sud : marches, rassemblements, meetings…

East London est à moins d’une heure de route de King William’s Town, ville où est enterré Steve Biko, autre leader anti apartheid assassiné en 1977 à l’âge de 31 ans par le régime d’alors. [2].
Il est prévu un grand meeting dans le stade.
Bien avant l’heure du meeting, dans la rue qui mène au stade, une longue queue de femmes et d’hommes habillés de rouge et du vert et jaune de l’ANC, s’étire. Sous le soleil bien chaud en cette saison la foule est tranquille et attend patiemment que le piétinement très lent la mène jusque dans le stade.
A peine entrés nous sommes envahis par les chants que je commence à reconnaître pour quelque- uns d’entre eux, mais juste quelques-uns tant le répertoire semble inépuisable. Tant bien que mal nous nous installons en haut des gradins et je participe comme je peux à la chorale révolutionnaire, au moins en dansant et en tapant des mains… A un angle du stade une scène est dressée. Nous attendons je ne sais qui et quand je vois un cortège de voitures noires je comprends qu’il s’agit du président Zuma lui-même. Le meeting peut commencer.

Bien sûr avant chaque discours et parfois au milieu d’eux des chants, ces chants de combat, issus d’années de luttes s’élèvent et tout le stade chante et danse en tapant dans les mains ou en tendant les bras comme pour exécuter une chorégraphie que tout le monde connait par cœur. Dans les gradins les planches de bois tremblent en cadence et, même si de temps en temps je regarde attentivement les structures métalliques qui les soutiennent, la clameur mélodieuse et rythmée qui emplit l’espace m’envahit totalement. Ici les droits humains, le refus de toutes les discriminations, la ténacité et la détermination nécessaires pour les gagner, on connait. Le temps de l’apartheid et de ce qui reste comme inégalités n’est pas fini. C’est dans tous les esprits. Le chemin du combat est encore long. Tout le monde le sait. Cette volonté collective de vaincre tout ce qui a fait et fait tant de mal au peuple des discriminés et des exploités, les chants le portent avec force dans le stade devenu fournaise polyphonique. J’ai conscience de vivre un grand moment qui donne des frissons même celui qui ne comprend pas les paroles. Comment ne pas se laisse emporter par la grandeur de l’instant ? Je pense à mes amis et camarades de France qui m’ont permis de vivre cet instant. Je leur envoie une vidéo minable sur Facebook au moins pour leur dire ce que je sais ce que je leur dois. Je n’ai pas la tête à filmer ou à prendre des photos. Il aurait fallu que je sois plus extérieur. Là je suis en plein dedans, complètement immergé. Cela résonne tellement avec tous les combats que l’on mène chez nous contre tous les racismes et l’impérialisme dont notre pays est un des maitres d’œuvre mondiaux…

Si les différents orateurs sont applaudis chaleureusement, il n’en est pas de même pour Zuma qui a juste droit à des applaudissements de politesse peu nourris malgré un discours aux phrases fortes sur la discrimination, sur le capitalisme et l’impérialisme : la force des mots n’abuse guère un public averti et lassé…
Le cortège présidentiel s’en va et nous quittons les gradins à regret. En descendant les marches je repense à mes voisins de meeting, jeunes dans leur majorité, qui n’ont cessé de me donner force signes de sympathie et demandé de faire des selfies avec eux. Sur le moment j’avais mis cela sur la formidable hospitalité que j’ai rencontrée partout mais je me rends compte en descendant les marches, qu’il y a une autre explication à cela (et mes amis me le confirmeront plus tard). En fait, parmi les milliers de personnes qui sont au stade, je dois être si ce n’est le seul, en tous cas un des rares blancs de l’assistance et pour ma part je n’en ai vu aucun…Pris par l’ambiance je n’avais d’abord rien remarqué.
Une journée sur les droits humains et quasiment aucun blanc (peu nombreux dans cette région il est vrai, mais 20% de la population quand même) n’y participe…Je comprends les propos de mes camarades me faisant mesurer que si l’apartheid est aboli, on n’en est pas encore à la nation arc-en-ciel heureuse de sa diversité mais à une cohabitation que les luttes ont imposée…

En quittant le stade j’achète à un des nombreux marchands d’un jour postés aux abords une tunique à l’effigie d’Oliver Tambo [3] et une casquette du SACP et je mets les deux tout de suite.

Je n’ai pas fait 3 pas que je mesure l’effet de ma tenue. Une femme danse et chante une chanson, aussitôt reprise par d’autres, qui est un chant à la gloire des communistes. Plus loin, dans le restaurant où nous rentrons, un homme applaudit et d’autres manifestations de ce type suivront qui semblent surréalistes à l’étranger que je suis. Ici les communistes, que l’on vote pour eux ou pas, sont respectés. On n’oublie pas le rôle qu’ils ont joué durant la lutte contre l’apartheid, mais aussi depuis et leur attitude sans compromission qui tranche avec celle de certains membres de la direction de l’ANC.

Mon séjour tire à sa fin et j’avoue que j’ai du mal à quitter ce pays et mes amis que j’ai eu le sentiment de côtoyer trop brièvement. Pas tant parce que je ne suis resté que quelques jours dans une seule région de ce vaste pays grand comme deux fois la France et aux paysages sublimes, mais pour ce qui m’a été donné de percevoir comme richesses culturelles, historiques, de luttes et humaines bien sûr.

Dans l’avion du retour la discussion s’engage avec un jeune me dit qu’il est de Cofimvaba....

Quelques dirigeants historiques de la lutte anti apartheid

*Chris Hani https://fr.wikipedia.org/wiki/Chris_Hani
*Solomon Mahlangu https://fr.wikipedia.org/wiki/Salomon_Malhangu
Oliver Tambo https://fr.wikipedia.org/wiki/Oliver_Tambo
*Steve Biko https://fr.wikipedia.org/wiki/Steve_Biko
Thabo Meki https://fr.wikipedia.org/wiki/Thabo_Mbeki
Jo Slovo https://fr.wikipedia.org/wiki/Joe_Slovo
Madiba https://fr.wikipedia.org/wiki/Nelson_Mandela .

J’ai laissé à Wikipedia le soin de présenter quelques militants parmi les plus connus de la lutte anti apartheid pour aller à la source ce qui est préférable (en anglais) :
NEHAWU
COSATU
SACP
ANC


[1Ce jour-là, en 1960, la police ouvrit le feu et tua 69 personnes lors d’une manifestation pacifique contre les lois de l’Apartheid, en particulier, comme la marche des femmes de 1956, contre les passeports raciaux intérieurs

[2Le ministre de la justice de l’époque, Jimmy Kruger, avait déclaré : « la mort de Steve Biko me laisse froid ». Les policiers concernés ne reçurent qu’un blâme. La police finit par avouer le meurtre de Steve Biko à la Commission vérité et réconciliation à la fin des années 1990.
Le 7 octobre 2003 la justice sud-africaine renonça à poursuivre les cinq policiers pour manque de preuves et absence de témoins…

[3Oliver Reginald Tambo (27 octobre 1917 - 24 avril 1993) fut président du Congrès National Africain (ANC). L’aéroport de Johannesburg porte son nom



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