Le Brahmane du Komintern

mercredi 19 juillet 2006
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Ayant vu, sur le conseil des amis de Comaguer, le documentaire « Le Brahmane du Komintern » au Festival International du Documentaire de Marseille, en première mondiale, je me permets de vous recommander vivement d’en faire autant, si vous en avez l’occasion (j’espère que le film trouvera des circuits de distribution ! ).

Le cinéaste Vladimir Léon est parti d’une photo du début des années 20 (prise à l’ouverture du IIe Congrès de l’IC), où au milieu des têtes connues de Lénine, Gorki, Zinoviev Boukharine, il découvre la silhouette inconnue d’un grand gaillard : l’Indien Manabendra Nath Roy. Il suit alors chronologiquement la trajectoire du révolutionnaire : au Mexique, en Russie-URSS, en Allemagne et dans son Inde natale, dans un souffle épique et internationaliste indissociable de l’histoire communiste. Au Mexique, il rencontre Adolfo Gilly, Paco Ignacio Taibo II, des vieux du PC et du PRD, etc ; en Russie les fonctionnaires en charge des archives du Komintern et surtout l’historien Roy Medvedev ; en Allemagne Theodor Bergamnn, l’un des rares survivants de l’Opposition communiste allemande des années 30, où il a connu Roy ; en Inde, les témoins sont plus nombreux, les traces plus visibles : maisons, parents, amis, chercheurs, comme Sibnarayan Ray, biographe et ami de M. N. Roy.
Le film évite néanmoins les limites du genre grâce à des décalages dans le commentaire et au travail sur le son et l’image.

Je vous joins ci-après quelques éléments biographiques, mais c’est en voyant le documentaire que vous apprendrez beaucoup de choses, et percevrez l’écho très sensible au monde actuel si désenchanté (c’est peu dire) et si éloigné des préoccupations humanistes révolutionnaires du siècle écoulé. De tels films ne peuvent qu’aider à reconstruire une utopie réaliste, en tirant quelques enseignements des erreurs et des fautes du passé.

Victor Serge dresse un bref portrait de notre Brahmane dans ses « Mémoires d’un Révolutionnaire » :
« Des Indes, en passant par le Mexique, Manabendra Nath Roy, grêle, très grand, très beau, très noir, la chevelure très bouclée, accompagné d’une Anglo-saxonne sculpturale qui paraissait nue sous des robes légères. Nous ignorons que de fâcheuses suspicions avaient pesé sur lui au Mexique ; il allait devenir l’animateur du petit parti communiste hindou, passer des années en prison, recommencer, couvrir les oppositions d’outrages insanes, être exclu lui-même, rentrer en grâce ; mais cela c’état le lointain avenir ».

Les archives MIA (Marxist Internet Archives) nous disent :
Manabendra Nath Roy
(1887-1954) M.N. Roy
Adhère à l’age de 14 ans à Anushilan Samiti, un groupe de révolutionnaires qui voulaient liberer l’Inde des colonialistes anglais par moyen d’un coup militaire. Roy est vite un des leaders de ce groupe et forcé à s’exiler au Mexique en 1917.

Au Mexique, Roy devient marxiste. Pendant son séjour dans ce pays, Roy apprend plusieurs langues occidentales, et écrit son premier livre espagnol La India, Su Pasado, Su Presente Y Su Porvenir (L’Inde, son Passé, son présent et son avenir). Bientôt devenu conseiller intime de Carranza, le Président de la République, il est aussi dirigeant du P.S. mexicain, puis fonde le premier parti communiste hors de l’Union Soviétique. Il participe à ce titre au 2° Congrès de l’I.C., en 1920 où il s’oppose à Lénine sur la question coloniale.

Après la mort de Lénine, Staline nomme Roy au présidium de l’I.C. Lié à Boukharine, il sera le « spécialiste » des questions coloniales et sera à ce titre impliqué dans la politique de l’I.C. en Chine.

A partir de 1926, Roy fait partie de l’Opposition de Droite au sein de l’I.C. dont il sera rapidement exclu. Il participe alors avec August Thalheimer à la publication du INKOP (Internationale Nachrichten der Kommunistische Opposition) et publiera Revolution und Konterrevolution in China.

En 1930, Roy retourne finalement en Inde. Il y sera rapidement emprisonné. En 1936, après sa sortie du prison, il rompt avec le marxisme. Il finira par rejoindre le Congrès de Gandhi mais en sera ultérieurement expulsé.

Nous ajoutons :
Déçu par la vie politique, après l’échec du parti radical qu’il avait fondé, il approfondit ses recherches sur l’Humanisme Radical dont il se voulait le philosophe. Son oeuvre philosophique, considérable, est méconnue, en particulier en France.

Bibliographie :

- India in Transition (1922)
- The Future of Indian Politics (1926)
- Revolution and Counter-revolution in China (1930)
- India and War
- Alphabet of Fascist Economy
- Draft Constitution of Free India
- People’s Freedom
- Poverty or Plenty
- The Problems of Freedom
- INA and the August Revolution
- Jawaharlal Nehru : The Last Battle for Freedom
- The Scientific Politics
- New Orientation
- The Russian Revolution
- Beyond Marxism
- New Humanism
- Reason,Romanticism and Revolution

Les images d’archives sur Roy sont rares, mais le réalisateur a trouvé, outre des pièces d’archives (notamment le dossier de son désaccord et de sa rupture avec Moscou), de nombreux témoins directs ou indirects : au Mexique, en Russie, en Allemagne et surtout en Inde.

M.N. Roy avait un programme révolutionnaire pour l’indépendance de l’Inde : un programme de démocratie participative intégrale. Je ne sais pas s’il était encore marxiste, mais je crois qu’il était toujours révolutionnaire.

La conclusion, nous la laisserons à Vladimir Léon (interview dans le journal du FID-Marseille du 06/07/06) : « Son échec politique renvoie à une problématique qui me paraît d’actualité, du moins pour la gauche. Quel horizon utopique réinventer qui parvienne à trouver un prolongement dans la pratique politique concrète ? A défaut de trouver une réponse à cette question, nous serons nécessairement aussitôt sous la menace des nationalismes et des fanatismes religieux que Roy a toute sa vie combattus ».



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