L’île Utopie...

lundi 17 avril 2006
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...ou quelques reflexions sur les temps nouveaux...

1) L’île

Je pense à l’Utopie de Thomas More...Ce livre qui renoue avec une tradition antique de l’invention d’un espace du bonheur et de la réalisation de l’humanité.

Utopus, Roi sans lieu, s’empare en vainqueur de la terre nommée Abraxa, ce qui est le nom de la ville des fous dans « l’éloge de la folie » d’Erasme... Ne pas oublier qu’Erasme et More considèrent « la folie » comme la seule véritable sagesse dans un monde marqué par l’injustice, la guerre...

Utopus décide de faire d’Abraxa une île, il la nomme Utopie, terre sans lieu.Il fait couper un isthme de 15.000 pas qui la joignait au continent. La terre sans lieu rompt avec son passé dominé. le Livre 1 de Thomas More décrit la situation de l’Angleterre et de la France, celui où les princes confondent servire et inservire, rendre service et asservir, et il faut sortir de cet espace pour rompre avec la domination.

On ne peut s’empêcher de penser à Cuba, à la naissance de cette nation par coupure avec l’Espagne, puis les Etats-Unis, le refus de toute dépendance et encore aujourd’hui le travail qui s’opère pour sortir des dépendances créées par la période spéciale. Dépendances à une crise mondiale, une course macabre vers laquelle nous dirige un impérialisme sénile et meurtrier de toute humanité, de la nature comme de la culture...

Utopie, l’île de nulle part n’est pas illusion, folie au sens habituel du terme puisqu’elle accède à l’existence (l’espace) et s’y maintient (le temps).
Utopie est une île ici et maintenant. Son temps est le présent, celui de l’acte par lequel s’opère la rupture avec le passé de la servitude et se construit le futur émancipé. Là encore, par son existence même, Cuba prouve qu’un autre monde est possible. Dans les rapports marchands, dans l’aliénation objectivation destructrice de l’humanité, Cuba, aidée aujourd’hui par le Venezuela, ne se contente pas de dégager une idéologie du futur, un modèle de socialisme, elle met en oeuvre concrètement du non marchand basé sur le don, le primat de l’être humain.

C’est l’opération « miracle » où les aveugles voient, l’alphabérisation d’un continent. C’est la rupture avec une centralité illusoire avec l’instauration de rapports sud-sud, le refus du pillage par des échanges entre pays jusqu’ici dominés, le marchand qui emprunte d’autres circuits, mais à l’intérieur desquels, Cuba et le Venezuela avec le refus de la domination, déposent également la revendication d’autres rapports basés sur le don, le primat de l’être humain. Il est dur de penser tout cela en France, en Europe, dans des pays vassalisés pour mieux participer au pillage. Il y a le contexte et la manière dont il nous contraint de l’intérieur.

2) La violence de la domination interne :

La relation entre l’île et l’utopie se retrouve aussi chez Rousseau dans les rêveries d’un promeneur solitaire. L’île est la prison où il rêve d’être condamné à perpétuité. Parce que l’obstacle infranchissable mais ouvert de l’eau qui encercle annule la force du désir qui assaille l’être humain, il y a identification totale entre la Loi et le désir et leur annulation simultanée, la paix... Un lieu idéal où la culture peut fonctionner comme une autre nature...

Je suis un peu prise entre ces deux îles, d’un côté j’avais presque réussi à la Havane à construire l’île de Rousseau. J’avais réussi à éliminer presque totalement les troubles de l’âme, ce qui empêche de penser, vous sollicite d’une manière inutile et fragmente la principe espérance, celui de l’utopie selon More, en de multiples enjeux dérisoires pour l’ego, où celui-ci ne cesse d’être blessé. Grâce à vous tous et à la discipline que je me suis imposée, j’ai pu accéder à une neutralité des passions inutiles. Le retour a été une véritable horreur, un gaspillage, un festin de commérages.

Je tente de dégager une réflexion sur l’autre île. En regard de ce qui se passe en France et en Europe. Comment t’expliquer ? Le fond de cette étrange situation est la sousestimation de l’ampleur de la crise. On se bat non pour changer les choses, mais pour empêcher que cela se dégrade un peu plus. On se bat sur l’existant, sur les restes REELS d’un passé encore présent. Résultat les Français vivent leur présent sur le mode du passé. Ils sont dans un ressentiment diffus qui ne sait pas nommer, se cristalliser en volonté active. Pour eux le monde semble se diriger vers une abomination que l’on voit venir sans pouvoir agir et au meilleur des cas cela débouche sur un activisme frénétique contre ce qui se met en place.

« Nous vacillons présentement dans l’obscurité la plus totale ; intérieurement mais aussi hors de nous et au-dessus de nous règne la nuit la plus noire qui soit jamais tombée sur l’histoire ».

Ces lignes ont été écrites par Bloch dans le temps du nazisme, mais faute d’une transformation, le temps revient toujours aux mêmes échéances de l’anéantissement de l’humanité. C’est pour cela que le discours de Fidel à l’Université m’a tellement bouleversée. Pour cela et parce qu’il opère de la seule manière possible pour sortir du cadre. Il est centré sur le véritable temps de l’espérance, le présent, l’actualité, la tâche à accomplir pour couper l’isthme, se libérer. Le passé n’est pas, comme en France aujourd’hui ce qui conduit l’action, ce à quoi on se raccroche, il est fragment d’espérance, ce qui reste à accomplir pour la naissance du neuf. Il ne s’agit pas d’abstractions mais de révolution énergétique, problème attaqué par tous les bords à la fois, la transformation matérielle de l’énergie et de nouvelles mentalités par rapport à ces contraintes matérielles.

3) Dépasser le caractère statique de la réalité présente :

Le véritable obstacle que je ressens par rapport à la colère, la combativité française, n’est pas comme je l’ai longtemps cru dans les élites politico-médiatiques, y compris les directions des partis de gauche ou des syndicats. Certes cela pèse lourdement. Mais leur absurde volonté de négociation, de conciliation, alors que l’impérialisme, le capitalisme ne négocie plus rien et ce depuis plus de vingt ans, n’est que la traduction de l’état réel de nos peuples.

Ceux-ci cherchent « à sauver les meubles », à se raccrocher à un passé qui n’est déjà plus intégré au présent, il ne s’agit plus que de fragments que le capitalisme n’a pas encore supprimés : république, service public, droit du travail, etc... Ce que chacun cherche ici c’est le maintien de niches le temps de sa propre vie... Ce présent là est illusoire, il n’a pas de futur et n’est que restes momifiés du passé.

Couper l’isthme, créer la terre de nulle part, se centrer sur la tâche à accomplir, la seule qui permettrait de recueillir l’héritage en tant qu’il exprimait déjà cette rupture avec l’obscurité présente de la crise du capitalisme se heurte à ces niches de survie. Ce n’est pas un hasard si nos élites politico-médiatiques ne semblent aptes qu’à construire des alliances débouchant sur une élection qui ne changera rien. C’est parce que l’idée d’une rupture n’est pas là...

Nous sommes dans une situation paradoxale où la démocratie est devenue impossible et où l’insurrection populaire est seule en capacité de bloquer. Il y a eu les manifestations contre le CPE, mais dans le fond le vote NON contre la Constitution était aussi une insurrection dans une situation où la quasi totalité des médias et des forces représentées au parlement se prononçaient pour le OUI.

Oui mais voilà il y manque la conscience non seulement cubaine, mais en gestation en Amérique latine, celle de la nécessaire rupture avec ce présent meurtrier et fou. Quel prix sont-ils prêts à payer pour cette rupture ? C’est là la vraie question... Et tant que cette question ne se posera pas nos élites politico-médiatiques auront encore de beaux jours devant elles...

4) La jeunesse

Il y a aussi, mais c’est une lueur dans l’obscurité, le cas d’une jeunesse qui prend de plein fouet la crise. La jeunesse n’est pas une totalité mais, d’un simple point de vue statistique, elle ressemble aux pays du sud. Les inégalités sont plus marquées en son sein entre une monorité qui vit bien, très bien même et une masse grandissante qui affronte chômage, précarité et baisse du pouvoir d’achat. la mobilité ascendante qui a caractérisé les générations précédentes est arrêtée, encore masquée par la manière dont les parents assument. Déjà pourtant nous sommes dans une situation où cette jeunesse n’arrive pas, sans l’aide des parents, à entrer dans une vie d’adulte, ne serait-ce qu’au niveau du logement, de créer une famille...

Sur le plan politique, la situation générale se caractérise par le maintien des mêmes, un personnel incapable de trouver des solutions, largement décrié... Il apparaît comme vieilli... L’appel à la jeunesse est souvent le moyen d’opérer une destruction des valeurs révolutionnaires des anciens sous couvert de modernité, d’adaptation au monde tel qu’il est, donc la corruption, l’arrivisme, l’impossibilité de traduire les aspirations d’une génération au profit d’une vision gadgétisée de la jeunesse, celle de la publicité...

Là encore si l’on doit croire ce qui se passe en Amérique latine, le changement politique se traduit par des équipes renouvelées. Un personnel politique paraît surgir du néant comme cela s’est passé en 59 lors de la Révolution cubaine. Ce que l’impérialisme va dénoncer comme « un populisme », la question des générations peut alors se poser d’une autre manière...



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