Colères populaires

samedi 28 juin 2008
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Des employés, des cadres inquiets du prix de leur alimentation courante ; des travailleurs pauvres, des retraités glanant dans les poubelles des supermarchés : la question du pouvoir d’achat dissout le crédit des gouvernements en place. En France, en Italie, au Royaume-Uni, les formations au pouvoir ont essuyé de cuisants revers lors des élections municipales. Aux Etats-Unis, le Parti républicain a perdu depuis mars dernier trois de ses bastions lors de consultations législatives partielles. L’une des circonscriptions lui était acquise depuis trente-trois ans, l’autre depuis vingt-deux. Dans la troisième, le sortant avait été réélu lors du scrutin précédent avec 66 % des voix.

Pour une majorité de la population, la vie quotidienne se durcit. En Italie et en Espagne, le mal est imputé à l’euro. Mais le « panier de consommation » britannique coûte lui aussi 15 % de plus qu’il y a un an. Et, dans le même laps de temps, le prix des œufs a augmenté de 30 % aux Etats-Unis ; celui du lait, des tomates, de 15 % ; celui du riz, des pâtes, du pain, de 12 %. Ni le prix des loyers, ni ceux de l’énergie n’apaisent la blessure...

Une reprise — aléatoire — de la croissance ne résoudra pas le problème de fond. Inversant un propos fameux datant de 1953 (« Ce qui est bon pour General Motors est bon pour le pays »), l’ancien ministre des finances américain Lawrence Summers vient d’admettre que « ce qui est bon pour l’économie mondiale et les champions du business ne l’est pas nécessairement pour les salariés ». Motif invoqué pour un tel tête-à-queue : « Un découplage peut-être inévitable entre le monde des affaires et celui des nations [1]. »

Inévitable, pas imprévu... Consécutifs à une guerre aux salaires conduite au nom de la recherche de « compétitivité » et de la chasse au « coût du travail », la stagnation ou le recul du pouvoir d’achat ont été enfantés par des choix politiques. L’économiste Alain Cotta rappelle qu’en France, avec la fin de l’indexation des salaires sur les prix, en 1982, « les socialistes [ont] fait à l’entreprise privée le cadeau le plus considérable que celle-ci eût jamais reçu des pouvoirs publics ». Le ministre des finances de l’époque, M. Jacques Delors, s’en était d’ailleurs réjoui : « Nous avons obtenu la suppression de l’indexation des salaires sans une grève [2] . » La leçon a-t-elle été retenue dans plusieurs pays européens ? Grève des ouvriers allemands en mars dernier, des enseignants britanniques en avril, des routiers grecs et des marins pêcheurs français en mai...

Pour qui refuse de voir que la baisse de la part des revenus du travail dans la richesse nationale explique les problèmes actuels de niveau de vie [3] , les « solutions » de rechange ne font jamais défaut. Davantage d’hypermarchés pour « accroître la concurrence entre les distributeurs », ainsi que le propose M. Nicolas Sarkozy. Davantage de « sacrifices » afin que l’augmentation des prix alimentaires ou de ceux de l’énergie soit absorbée sans contrepartie par les salariés. Et qu’ils concourent ainsi aux objectifs sacrés (2 % d’inflation) qui obsèdent une Banque centrale européenne avant tout soucieuse de complaire aux rentiers et à leur pouvoir d’achat.

Quant aux autres, ils peuvent toujours, tel l’avare de Molière, « faire bonne chère avec peu d’argent ». Directeur général du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), M. Robert Rochefort le leur suggère : « Le consommateur devra apprendre à optimiser son budget. Ce qu’il sait d’ailleurs déjà assez bien faire. Mais sans se plaindre, en acceptant que le pouvoir d’achat devienne peu à peu une notion plus qualitative, une capacité à arbitrer entre différentes dépenses, bref un pouvoir de choisir ses achats [4] . » Un sociologue lui a emboîté le pas : « On peut très bien payer ses communications téléphoniques à la carte. De même pour le loyer : on peut choisir de déménager pour un logement moins cher [5]. »

Travailler plus longtemps, vivre moins bien : faute d’un coup d’arrêt inspiré d’un précédent vieux de quarante ans, la destination proposée a le mérite de la clarté.

Par Serge Halimi.Le Monde diplomatique de juin 2008

Transmis par Linsay


[1Lawrence Summers, « A strategy to promote healthy globalisation », Financial Times, Londres, 5 mai 2008.

[2Alain Cotta, La France en panne, Fayard, Paris, 1991, p. 46, et propos cité par Jean Lacouture et Patrick Rotman, Mitterrand. Le roman du pouvoir, Seuil, Paris, 2000, p. 132.

[3Aux Etats-Unis, le cycle de croissance 2000-2007 s’est conclu avec une moitié des familles disposant de revenus inférieurs à ce qu’ils étaient sept ans plus tôt, une situation sans précédent historique.

[4Challenges, Paris, 6 décembre 2007.

[5Gérard Mermet, Les Echos, Paris, 21 avril 2008.



Commentaires

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dimanche 29 juin 2008 à 14h30 - par  BENBARA Abdallah
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samedi 28 juin 2008 à 22h18 - par  BENBARA Abdallah
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