La régulation financière ou qui va mettre le grelot au cou du chat ?

vendredi 8 février 2008
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Si je devais résumer la situation par deux phrases ce seraient :
« La crise financière est le résultat d’un processus qui a consisté à faire toujours plus pression sur les ménages, comme sur les peuples pour les priver de leurs ressources et les livrer au capital financiarisé et substituer à ces ressources leur endettement. »
La deuxième phrase serait « face à cette crise, il s’agit pour le capital de privatiser toujours plus les profits mais désormais de socialiser les pertes, d’où le nouveau recours à l’Etat ».

La plupart des commentateurs insistent sur le fait que cela ne peut plus durer, que le système est au bord de l’implosion, mais il faut également mesurer que leurs propositions indiquent les fragilités du système et l’impossibilité dans laquelle se trouve le capitalisme de les mettre en œuvre. En lisant les petits génies de la finance, les doctes économistes et notre madame Lagarde, je ne peux m’empêcher de songer à cette fable de Lafontaine où les rats avaient trouvé le remède : il fallait mettre un grelot à la queue du chat, oui mais le problème était bien de trouver qui pouvait mettre un grelot au cou du chat ? [1]

Disons tout de suite qu’il y a au moins un point sur lequel l’accord peut se faire c’est sur l’importance de la circulation des liquidités et du crédit en particulier entre nations. On peut effectivement considérer qu’il s’agit du sang de l’économie et que dans le contexte de la mondialisation il est impossible de s’en passer. Aussitôt le problème apparaît, depuis que Nixon a fait le coup de force de substituer à l’or le dollar nous sommes confrontés à une monnaie qui revient à faire payer à tout le reste de la planète le formidable endettement des Etats-Unis, en particulier tous les peuples y compris le notre sont obligés d’acheter des dollars pour entrer sur le marché alors que les Etats-Unis n’ont qu’à actionner la planche à billet et ne s’en privent pas. Ce système de traite de cavalerie se double de la facture énergétique qui grâce à l’alliance crapuleuse entre les Saoudiens et les Etasuniens consiste à faire payer la facture énergétique pétrolière en pétrodollars.

Donc cela pose la question d’une première réforme : comment sortir du dollar pour trouver une autre monnaie étalon ?
Ca je crois que tout le monde l’a à peu près compris. Mais ce qu’il faut encore voir c’est comment tout le système institutionnel financier s’est organisé autour de cette domination. Il y a plusieurs niveaux de réformes envisageables. Les institutions dites de Bretton Wood mises en place après la seconde guerre mondiale ont été complètement détournées. Pour faire bref disons qu’il n’y aura pas de monnaie internationale, d’institutions de régulation indispensable sans une profonde transformation de l’ordre international, une reconsidération de l’échange inégal et de la souveraineté des nations.
Et là se pose la première question de savoir qui va attacher le grelot au cou du chat ? Quand Chavez propose à l’OPEP de se retourner vers l’euro, il incite les pays producteurs et au-delà tous les pays asphyxiés par la facture énergétique à entrer dans une autre logique. C’est pour cela qu’il y a aujourd’hui dans le polycentrisme qui est en train de se mettre en place quelque chose d’important, il s’agit d’une remise en cause essentielle de la domination du dollar et d’un système. D’un côté cette remise en cause constitue un ébranlement possible d’un système d’inégalité et de menace permanente contre la souveraineté des peuples. De l’autre côté si ce polycentrisme n’aboutit pas à un nouvel ordre international plus juste cela portera la concurrence et les menaces de guerre à un niveau plus élevé.

Le paradoxe est que dans cette crise émerge la conscience de l’impossibilité de continuer comme avant. Prenons un autre diagnostic : nous sommes dans un univers en expansion de liquidités qui vont de crise en crise, de bulle en bulle et on ne voit pas comment cela s’arrêtera. les conseils se multiplient autour du malade, mais tous buttent sur la question “qui va réfoemer le capital financier ?” j’ajouterai “est-il réformable ?” Ce qui est sûr c’est que si on avait une véritable opposition, une alternative politique, celle-ci devrait pouser les propositions jusqu’à une mise à exécution. Quand par exemple Sarkozy propose de fournir des capitaux pour sauver les emplois d’Arcelor, elle ne devrait pas se contenter de dire ce qui est vrai que c’est subventionner Mital mais qu’il faut nationaliser la sidérurgie… Mais qui aura le courage de mettre le grelot autour du cou du capital financier ?
On nous parle souvent du rôle nouveau et de la puissance nouvelle des pays émergents, de la masse des liquidités qu’ils possèdent. Il est intéressant de voir les solutions préconisées, deux au moins sont tout à fait intéressantes, il faut que les pays émergents arrêtent d’épargner et dépensent pour le bien être de leur population et la question des fonds souverains. Si l’on considère les préconisations et les comportements réels on ne peut là encore manquer d’être frappé par le fait qu’à chaque fois les solutions envisagées se rapprochent du socialisme mais ne peuvent s’y résoudre parce qu’il faut maintenir la domination du capital financier. Je n’explorerai pas la question des fonds souverains que j’ai bien des fois analysé par ailleurs, je dirai simplement que comme il faut bien trouver ce qui desserre un peu l’étau, ces fonds souverains ont l’immense mérite de fonctionner d’une manière un peu moins rapides et un peu moins usuraire que les fonds spéculatifs. Ils n’exigent pas a priori la mise au chômage de salariés pour faire monter les actions, ils sont un peu facteur d’équilibre, mais il s’agit de palliatifs d’une économie en crise systémique profonde. Parce qu’effectivement les etats sont mieux à mêmes de dompter la bête sauvage du capital financier mais ces états sont aussi le plus souvent en train de fonctionner selon la logique du dit capital. Donc c’est mieux mais ce n’est pas LA solution.

Prenons la nécessité de freiner la masse des liquidités en expansion en rééquilibrant pays ayant déficit et pays créditeurs. Aujourd’hui nous avons une situation qui au dire des financiers les plus acquis aux bienfaits du capitalisme devient impossible : les Etats-Unis et l’Union européenne (ce que l’on appelle le nord) ont un déficit extérieur tandis que les pays émergents et pétroliers affichent un excédent extérieur gigantesque. Il est proposé « une coopération internationale » pour réduire les taux d’épargne dans les pays émergents exportateurs de matière première et on assiste à ce que l’on croyait impensable : la banque mondiale priant la Chine de bien vouloir entamer des dépenses publiques en matière de santé, d’éducation, d’infrastructures publiques, bref créer un système de protection sociale que l’on continue à démanteler dans le Nord. Puisque en même temps que l’on recommande aux pays émergents de se préoccuper des « besoins » de leur population, il s’agit d’accroître le taux d’épargne dans les pays « cigales » en faisant pression sur « les déficits publics » et en mettant en œuvre une politique monétaire plus restrictive. Notons que l’on ne touche pas au capital financier.
En fait ce qui butte sur la recherche de solution est le refus de toucher au capital financier, à ses profits comme d’ailleurs à la pression sur les revenus des plus pauvres ou des moins riches, autant que l’idée d’envisager un autre type de distribution et d’investissement, en particulier dans des domaines non marchandisés comme la santé, l’éducation, dans nos pays capitalistes, il s’agit au contraire de toujours plus privatiser ces dépenses. Comme d’ailleurs comme réponse immédiate à la crise de fournir de l’endettement pour accroître la marchandisation de l’économie.
Ce qui a été mis en œuvre comme réponse à la crise, les mesures de Bush et la baisse des taux d’intérêt de la FED, ne va pas dans ce sens, ni d’ailleurs la politique de Sarkozy. Il s’agit de poursuivre l’endettement pour la plus grande gloire du capital financier. Il n’est pas question de rétablir la justice en matière salariale mais d’inciter à la consommation comme dans le cas du bouclier fiscal. Donc il est continué ce qui est dénoncé par les économistes les plus orthodoxes : l’expansion sans frein d’une liquidité qui ira de « bulle » en « bulle ». Les économistes supplient : ralentissez au moins pour que le temps entre « bulles » soit réduit. Les plus dogmatiques comme Trichet [2] sont prêts à aller jusqu’à l’asphyxie totale des salariés dans nos pays, ils notent à juste raison que lorsque les taux d’intérêt de prêts de liquidité sont inférieures au taux de croissance, les contraintes de remboursement ne jouent pas et tout le monde est très excité à l’endettement. Mais le vrai problème est la pression sur les salaires, sur les revenus réels de l’économie réelle qui sont sacrifiés à ce cancer financier que l’on continue à entretenir. Donc Trichet n’a pas tort de considérer que la baisse des taux d’intérêt est une prime à la nouvelle bulle, mais cette « orthodoxie » est complètement folle quand l’on voit le même personnage protester contre l’idée même d’un salaire minimum garanti.
Parce que le déséquilibre est structurel, international mais il a aussi une dimension institutionnelle que nous a un peu découvert l’histoire du trader fou de la société générale.
Il y a ce qu’est le capitalisme financier. Nous avons donc une fonction du capitalisme, destinée à assurer le crédit, le paiement, l’achat, la vente, la trésorerie qui s’est autonomisée et qui engendre d’énormes profits sans aucune mesure avec ce que produit l’économie réelle.

Nous pourrions prendre le problème par plusieurs biais, un des plus essentiels est le fait que désormais les frais financiers qui pèsent sur l’entreprise sont plus lourds que les salaires, et que pourtant on continue à considérer que c’est là-dessus qu’il faut peser.
Mais ce dont a témoigné l’affaire de la société générale c’est de la profonde mutation du secteur bancaire. Comme le note Aglietta : « transférer le risque jusqu’à l’épargnant final est devenu l’alpha et l’oméga des professions financières depuis les banques qui empochent des commissions et vendent le risque des des crédits après les avoir recomposés dans des titres financiers, jusqu’au fonds de pension dits « à cotisation définies », qui refusent les engagements sociaux et s’alignent sur les comportements court termistes des fonds d’investissements spéculatifs ». [3]
La fameuse opacité dont ne cessent de se plaindre nos gouvernants fait partie du système, là encore on se retrouve devant la question « qui va attacher le grelot à la queue du chat », qui va créer de la transparence alors même que tout le système prospère sur les traites de cavalerie et que nos gouvernants sont les simples employés des financiers. La banque, à qui nous sommes obligés de confier nos salaires et qui nous assure crédit et découvert, est devenue le courtier des marchés financiers. Nos élus qu’ils soient de droite ou de gauche, achetés ou trop imbéciles pour penser autrement, ne remettent pas en cause le système, ils sont convaincus que le capitalisme est tout de même le meilleur système. Ils n’ont ni le courage, ni la moindre ambition à même expliquer la nature de la terrible crise à laquelle nous sommes confrontés.
Alors que les banques, les marchés, les investisseurs institutionnels, les agences de notation, l’organisation de la supervision, les banques centrales et le politiques monétaires, j’en oublie sûrement tout est à transformer et la simple rustine n’y suffira pas, mais on voit mal qui va opérer une telle transformation.

Voilà pourquoi je suis convaincue que seule l’intervention des peuples, les luttes obstinées et têtues pour exiger leur dû tant au niveau des nations que des ménages sont les seules susceptibles de renverser la vapeur. Seuls les peuples sont capables d’attacher le grelot à la queue du chat, et ils le sont à travers deux exigences celle de souveraineté et celle de justice sociale immédiate.
Il me semble que nous avons un rôle à jouer tenter de faire mesurer la nature de la gigantesque escroquerie dont nous sommes victimes.

Danielle Bleitrach.


[1Il s’agit d’une fable française de jean Lafontaine. Les rats sont décimés par un chat et ils aboutissent à la solution « il faut attacher un grelot au cou du chat » pour qu’il nous previenne de son arrivée. Oui mais voilà personne ne veut l’attacher.

[2le gouverneur de la BCE, la banque centrale européenne qui refuse absolument de baisser les taux directeurs.

[3Aglietta in Alternatives economiques, numéro 75 hors série, premier trimestre 2008



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