Des relents idéologiques alarmants

jeudi 7 juin 2007
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Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a suscité quelques remous en se mêlant de génétique. Après avoir dit « qu’on naît pédophile » et que si des jeunes se suicident c’est parce qu’ils y sont génétiquement prédisposés, il concluait en affirmant que « la part de l’inné est immense ».
De la part de quelqu’un qui est devenu président de la république, ces propos ne doivent pas être minimisés. Il s’agit d’un véritable concentré idéologique et il serait naïf de les mettre uniquement sur le compte d’un déficit culturel, même si celui-ci est par ailleurs évident.

Rappelons d’abord que toutes les connaissances actuelles de la neurobiologie vont à l’encontre de ses affirmations. On estime que le cerveau humain contient plusieurs centaines de milliards de neurones, qui ont entre eux un nombre astronomique d’interconnections, les synapses, de l’ordre de 1015 (1 million de milliards). A la naissance, environ 10% de ces synapses seulement sont en place. Les autres se construiront et se stabiliseront tout au long de la croissance et de la maturation du cerveau, c’est à dire jusqu’à l’âge de 15 à 20 ans, en interaction constante avec les influences extérieures, qu’elles soient physiques ou affectives. Il a été montré que même chez les chatons, ces interactions sont essentielles : une absence de stimulation sensorielle à certaines étapes du développement entraîne la dégénérescence des synapses destinées à transmettre les stimuli.

Ces connaissances, ajoutées à bien d’autres, dans le champ du psychisme notamment, vont complètement à l’encontre de la prédominance de l’inné dans les comportements humains.
Et pourtant les idées sur le â€ËÅ“tout génétique’ ont la vie dure. Aux USA en particulier, les travaux qui tentent de montrer que chez l’homme, les capacités intellectuelles (soi-disant mesurées par le test de Q I) et les maladies mentales, sont à déterminisme strictement génétique, sont nombreux et bien financés. Il y a quelques années encore, a été publié aux USA un livre (The Bell Curve - la courbe en cloche) qui voulait démontrer, que « l’intelligence » est déterminée génétiquement. Comme par hasard, ses auteurs en arrivaient à la conclusion que les noirs étaient moins « intelligents » que les blancs !

Depuis une dizaine d’années, on a vu paraître des articles scientifiques où les auteurs prétendaient montrer l’existence chez l’homme d’un gène de l’alcoolisme. D’autres chercheurs travaillant sur des rats, des souris ou des mouches, disaient avoir découvert le gène de l’intelligence, de l’homosexualité ou de la fidélité conjugale ! Ils laissaient entendre qu’il pouvait en être de même chez l’homme, ce que certains journalistes se sont empressés de répercuter. Pourtant en lisant ces publications, on s’apercevait vite qu’il y avait un fossé considérable entre les résultats expérimentaux et les conclusions que les auteurs en tiraient.

Pourquoi un tel acharnement à vouloir à tout prix démontrer le strict déterminisme génétique des comportements humains ? C’est que l’enjeu est capital : comment justifier les inégalités criantes, et de plus en plus mal supportées, de nos sociétés ?

Pendant des siècles, Dieu a été la justification idéale. Que vous naissiez roi, noble ou esclave, c’était sa volonté. Amen ! Mais la religion n’étant plus ce qu’elle était, au moins dans nos sociétés occidentales, il devenait urgent de trouver autre chose. La science, en l’occurrence la génétique, de plus en plus médiatisée (et trop souvent à tort et à travers), était tout indiquée pour prendre le relais. Dieu est mort, vive les gènes !

Cette instrumentalisation politique de la science ne s’arrête pas d’ailleurs pas à la génétique. On la retrouve aussi dans le matraquage idéologique qui nous assène que l’économie est une science â€ËÅ“dure’ et qu’elle obéit à des lois aussi rigoureuses et incontournables que celles qui régissent l’univers. Et ces lois sont bien évidemment celles de l’économie libérale, du marché et de sa « main invisible ».
Bref, les lois de l’économie sont incontournables et chacun est à sa place en fonction de ses gènes. Nous avons là toute une vision du monde, simple et claire, d’une cohérence idéologique propre à séduire les politiciens â€ËÅ“néo-conservateurs’ les plus réactionnaires. Tout est déterminé par des lois naturelles contre lesquelles l’homme est impuissant ; exit l’importance des rapports sociaux et surtout des antagonismes de classe, place à la fatalité et à la résignation. C’est justement le but recherché.

Mais la logique de cette idéologie va bien plus loin. Nicolas Sarkozy a ajouté à propos de la pédophilie : « c’est un problème que nous ne sachions pas soigner cette pathologie » ; sous entendu : la répression est la seule solution. Pire encore, c’est la voie ouverte à l’eugénisme et à l’élimination physique de tous ceux qui seront considérés comme des déviants. Nous aurions tort de sous-estimer cette logique là, les nazis n’ont pas hésité à la pousser à son terme avec les handicapés, physiques ou mentaux, au nom de la « pureté de la race ». En se réclamant eux aussi de théories soi-disant génétiques !

Dans un régime autoritaire, tel qu’il pointe son nez dans notre pays, tout peut devenir possible. Qui décidera qui sont les déviants et qui sont les gens normaux ? A quand le gène de l’opposant politique ou celui du syndicaliste râleur ?

Le Pen avait raison de dire, au soir du premier tour des présidentielles, que les résultats étaient pour lui une défaite électorale mais une grande victoire idéologique.
A méditer...

Jean-Claude BREGLIANO



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