L’Europe des firmes pharmaceutiques...

ou quand celles-ci se voient confier le droit
mercredi 17 janvier 2007
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Le 11 janvier l’assemblée nationale a adopté un texte intitulé « projet de loi relatif au domaine du médicament ». Que se cache-t-il sous ce titre anodin et en particulier dans l’article 29 qui a justifié pour le gouvernement une procédure en urgence ?

La transposition d’une directive européenne qui autorise les firmes pharmaceutiques à développer des « programmes d’aide à l’observance » à destination des malades, afin de les inciter, « par contact téléphonique ou visite à domicile, à bien prendre leurs médicaments ».(sic !!) Deux articles transmis par Dominique Blanc et parus dans la revue professionnelle Prescrire et dans Le Monde décryptent cette loi. Extraits

« Programmes d’aide à l’observance » des firmes pharmaceutiques : non merci !

Fidéliser le client est le rêve de quiconque fait profession de vendre. Les grandes firmes pharmaceutiques en rêvent aussi, dans leur puissant mouvement de banalisation de la consommation pharmaceutique et de marchandisation des médicaments. Car elles savent qu’il est bien moins coûteux de fidéliser un client que d’en trouver un nouveau : six fois moins coûteux, selon certaines études. Et elles estiment qu’elles perdent chaque année 30 milliards de dollars de ventes (sur 600 milliards de ventes mondiales), parce que des patients interrompent leur traitement.

Depuis quelques années, les firmes pharmaceutiques ont investi dans la fidélisation de leurs « clients », les patients, sous prétexte de les aider à bien suivre leurs traitements chroniques. L’« observance » des traitements, le fait que le patient suive les recommandations des professionnels de santé qui l’ont conseillé (médecin et pharmacien), a ses bons et ses mauvais côtés. Il est dommage parfois que le patient interrompe son traitement trop tôt. Parfois, le patient a bien raison de l’interrompre en raison d’effets indésirables trop importants, par exemple, ou parce que le traitement est inefficace. En tout état de cause, la poursuite ou non du traitement, médicamenteux ou non, est une affaire délicate, à discuter entre patient et professionnels de santé.

L’intrusion des firmes pharmaceutiques dans l’« accompagnement » des patients à bien suivre leur traitement a commencé aux États-Unis d’Amérique, où la marchandisation des médicaments est plus avancée qu’en Europe. Là-bas le prix des médicaments est libre, les firmes peuvent faire de la promotion auprès du public pour des médicaments de prescription, et les « programmes d’aide à l’observance », forme sophistiquée de cette publicité, se multiplient. Ces programmes arrivent en France, par la petite porte.

L’article 29-10 de la loi du 11 janvier prévoit d’autoriser le gouvernement à légaliser les « actions d’accompagnement des patients soumis à des traitements médicamenteux, conduites par les établissements pharmaceutiques » par voie d’ordonnance, et donc sans possibilité pour le Parlement d’en débattre. Et alors même que ces programmes s’apparentent à de la publicité grand public pour médicaments de prescription, publicité qui est précisément interdite en Europe par le droit communautaire !.

Ce projet d’ordonnance prévoit que les firmes pourront mettre en place des « dispositifs individualisés (relance téléphonique, numéro vert, éducation personnalisée pour les patients, envoi d’infirmiers à domicile, etc.) ». Ainsi la boucle serait bien bouclée dans un monde organisé par les firmes pharmaceutiques : forte implication dans la « formation » initiale et continue des professionnels et dans l’« information » des patients, influences déterminantes dans le processus d’autorisation de mise sur le marché des médicaments, et, pour clore le dispositif, contrôle au lit du malade qu’il a bien pris toutes ses gélules, et qu’il atteint bien son quota de consommation.

Il est temps de mettre un terme à cette dérive dangereuse. L’un des principaux constats d’un rapport sénatorial récent sur le médicament était l’omniprésence des conflits d’intérêts et la confusion des genres qui sévit dans le monde médico-pharmaceutique. Avec ces « programmes d’aide à l’observance », la confusion des genres serait totale ; car comment imaginer qu’une firme, juge et partie, soit en mesure d’expliquer à un patient qu’il devrait mieux arrêter son traitement, ou en changer pour prendre un traitement d’une firme concurrente ?

Les patients que nous sommes tous ont besoin que les parlementaires débattent sur le fond du sujet ; et commencent par refuser d’en être dessaisis par voie d’ordonnance.

Et la revue de poursuivre par un appel à signalement :

Les « programmes d’aide à l’observance » des firmes pharmaceutiques, en réalité des programmes de fidélisation des patients-clients, existent déjà dans certains pays et, malgré l’interdiction de toute publicité directe auprès du public pour les médicaments de prescription, ils se développent insidieusement en France par l’intermédiaire de professionnels de santé ou d’associations de patients.

Si vous avez connaissance de tels programmes ou de programmes qui s’en rapprochent, et qui vous paraissent particulièrement critiquables (par leurs aspects sanitaires ou commerciaux), merci de nous en faire part."


Progressivement, les firmes pharmaceutiques s’infiltrent dans l’espace privé des patients.

Le gouvernement s’apprête à autoriser les laboratoires à développer des « programmes d’aide à l’observance » à destination des malades, afin de les inciter, par contact téléphonique
ou visite à domicile, à bien prendre leurs médicaments. Inséré dans un projet de loi transposant une directive européenne sur le médicament, ce projet suscite l’opposition de la revue médicale indépendante Prescrire et l’inquiétude des associations de patients. L’inspection générale des affaires sociales a exprimé elle aussi ses réticences : dans un rapport publié en septembre, elle affirmait que « dès lors qu’un programme est initié par un laboratoire (...), il ne pourra pas échapper au soupçon de biais en faveur des produits du promoteur ».

Pratiqués à grande échelle aux Etats-Unis, les programmes d’observance thérapeutique ont fait leur apparition discrète en France, profitant d’un vide juridique. Depuis 2001, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a été saisie d’une quinzaine
de demandes d’autorisation par les laboratoires et en a accepté la moitié. Pour l’heure, ces programmes concernent des pathologies chroniques (hypertension, sclérose en plaques...) et visent soit à apprendre au patient un geste technique (comme une injection sous-cutanée), soit à l’inciter à prendre son traitement de façon appropriée. Proposés au patient via son médecin traitant, ces
programmes ne sont pas directement dispensés par la firme
pharmaceutique mais par un prestataire payé par elle, comme une infirmière ou une société d’assurance en cas de relance téléphonique. [1]

Face à la multiplication des demandes des firmes, le ministère de la santé a pris l’option de réglementer ces programmes, en officialisant le contrôle effectué par l’Afssaps. "On s’est retrouvé devant le fait accompli, les programmes d’observance existent, autant les encadrer plutôt que de laisser faire", explique-t-on dans l’entourage du ministre de la santé, Xavier Bertrand. Signe des temps, les considérations économiques ne sont pas étrangères à ce feu vert : "Quand des gestes techniques sont difficiles à apprendre, est-ce à l’assurance-maladie d’endosser ce coût ou au laboratoire d’assurer le "package" de la prise en charge de son produit ?", s’interroge ainsi le ministère de la santé.

Ces arguments sont loin de convaincre ceux qui s’inquiètent de l’influence croissante des laboratoires dans tous les secteurs de la santé. Pour la revue Prescrire, la poursuite d’un traitement médical
est une affaire délicate qui ne peut être discutée qu’entre un patient
et son médecin et non confiée à un laboratoire, juge et partie.

ACTEUR DE SANTÉ

"Ces programmes ne sont qu’une nouvelle stratégie de promotion déguisée des firmes, doublée d’une forme de rétention des patients", dénonce le docteur Philippe Foucras, membre de Prescrire. La revue dispose ainsi d’un témoignage d’un médecin dont une patiente suivait
un programme d’observance pour le Forstéo, prescrit contre
l’ostéoporose. Quand des vertiges sont apparus, le praticien a demandé
à sa patiente de suspendre le traitement quand l’infirmière payée par le laboratoire lui conseillait au contraire de le poursuivre... La patiente a finalement changé de médecin.

Pour les militants de Prescrire, les programmes d’observance ne poursuivent qu’un seul objectif : accroître les profits de l’industrie pharmaceutique. Selon un site d’information médicale anglais, les firmes perdraient 30 milliards de dollars par an du fait des arrêts prématurés des traitements. Le syndicat français des firmes pharmaceutiques, Les entreprises du médicament (LEEM), récuse pourtant l’argument : "Les programmes d’observance sont réalisés dans un objectif de santé publique, pour que les patients prennent bien leur traitement, non pour faire vendre plus de boîtes, indique-t-on au LEEM. Notre éthique nous interdit de pousser à la consommation au-delà de la posologie et des indications médicales."

Avec les programmes d’observance, c’est une place de véritable acteur de santé que revendiquent les firmes pharmaceutiques auprès des patients. Cette évolution, si elle semble inéluctable à beaucoup, n’est pas sans inquiéter : "Il y aura à l’avenir moins d’argent pour la santé, donc les laboratoires vont s’imposer, analyse Christian Saout, vice-président du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et représentant des usagers. Il vaut mieux encadrer ce mouvement, mais pas à n’importe quel prix : nous sommes pour l’aide à l’apprentissage des gestes techniques mais contre les interventions psycho-sociales directes auprès des patients, qui doivent rester de la compétence exclusive des professionnels de santé."

Cécile Prieur Article paru dans l’édition du 26.12.06.

Lors du vote à l’assemblée nationale la loi a été adoptée. Le groupe socialiste au lieu de manifester une opposition résolue - mais cela nous surprend-il ? - s’est finalement abstenu sur la base d’un amendement du gouvernement [2] et contre la vague promesse de ce dernier de poursuivre le débat...


[1Evidemment le but est de modifier le cadre actuel

NDLR)

[2« 3° Pour régir les programmes d’accompagnement des patients soumis à des traitements médicamenteux lorsque ces programmes sont financés par des établissements pharmaceutiques, définir les critères auxquels doivent répondre les programmes, ainsi que les documents et autres supports y faisant référence, pour être autorisés par l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, déterminer les obligations qui s’imposent aux prestataires intervenant auprès des patients pour la mise en Å“uvre des programmes autorisés, ainsi qu’aux établissements pharmaceutiques financeurs, et fixer les modalités de leur évaluation et de leur contrôle. Les patients peuvent participer à ces programmes sur proposition du médecin prescripteur du traitement médicamenteux, qui s’assure de leur consentement. Il peut être mis fin par le patient à sa participation à tout moment et sans condition. Les programmes d’accompagnement doivent être conçus en cohérence avec les actions de santé publique menées par les autorités sanitaires, les organismes d’assurance maladie et les établissements de santé et être réalisés conformément aux recommandations formulées par les autorités compétentes. »



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