Clinton ou Trump : une présidence affaiblie

samedi 5 novembre 2016
popularité : 3%

Les élections américaines vont être très serrées. La candidate du « système », Mme Clinton, est en train de payer aujourd’hui ses imprudences et son arrogance, comme on le voit avec l’affaire du scandale de ses courriels. Au-delà, elle paye surtout son allégeance à l’Amérique « du haut », celle de Wall-Street, des banques et des puissants, et son incapacité à mesurer l’ampleur de la révolte populaire qui s’exprime à travers la candidature de Donald Trump, tout comme elle s’était exprimée à travers celle de Bernie Sanders, jusqu’à la primaire démocrate. Quel que soit le résultat, il est clair que nous aurons une présidence affaiblie.

Les spectres d’Hillary

Il sera ainsi si, déjouant la forte remontée de Donald Trump dans les sondages, Hillary Clinton devait être élue. Elle est déjà très faiblement légitime aux yeux de nombreux électeurs démocrates, qui lui reprochent ce qu’il faut bien appeler des « magouilles » lors de la primaire pour évincer Bernie Sanders. La révélation que les débats précédant la primaire du parti Démocrate ont été truqués, et que Hillary Clinton connaissait à l’avance les questions qui allaient lui être posées, ne fera que confirmer aux yeux des partisans de Bernie Sanders le traitement injuste dont ce dernier a été l’objet par la direction du parti. D’ailleurs, si ce dernier s’est rallié à Hillary Clinton par discipline de parti, de nombreux membres de sa campagne ont déserté le camp démocrate.

Elle sera aussi empêtrée dans des procédures judiciaires multiples, tout comme le fut son époux, Bill Clinton, lors de son second mandat. Mais la cause est ici bien plus grave. Outre l’incroyable légèreté dont elle fit preuve quand elle était en charge de la diplomatie américaine en envoyant des courriels depuis un serveur non-protégé, puis en détruisant ces mêmes courriels dès qu’elle fut mise en cause, il semble bien que l’affaire se révèle à double fond. La décision du FBI de rouvrir l’enquête pourrait ainsi donner lieu à une procédure portant cette fois sur la Fondation Clinton sur la base du statut RICO [1], autrement dit le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act un statut qui fut créé spécifiquement pour lutter contre le crime organisé [2]. Il semble bien que la décision du directeur du FBI James Comey, qu’il n’a certainement pas prise de gaieté de cœur, a été le résultat de pressions internes insistantes des responsables du FBI [3].

Quel que soit l’impact de cette enquête sur l’élection du 8 novembre, la machine judiciaire est en marche. Hillary Clinton devra répondre aux enquêteurs ou risquer une procédure, certes lourdes et très complexe, d’Impeachment . Elle sera donc nécessairement affaiblie durant au moins les deux premières années de sa présidence. La défense d’Hillary Clinton n’a pas peu contribué à sa faiblesse actuelle. Accusant ses différents adversaires de « faire le jeu de Vladimir Poutine », elle a atteint un sommet dans le ridicule en faisant accuser par son directeur de campagne James Comey de jouer pour Poutine [4].

Si elle devait trébucher, et laisser la victoire à Donald Trump, elle ne le devrait qu’aux erreurs répétées qu’elle a commise depuis ces dernières semaines. Même si elle est élue, il se pourrait bien qu’elle se pose comme Lady Macbeth le question du sang, à la fois réel et métaphorique, qu’elle a sur les mains…

Le monde de Trump

Tout le monde a pu voir, ces derniers mois, Donald Trump en action, avec ce mélange de populisme et de grossièreté qui sied à la télévision. Il est clair que lui aussi, s’il devait être élu, serait un Président faible. Il le serait tout d’abord car il lui faudra du temps pour renouer avec les caciques du parti Républicain, qui se sont détournés de lui, quand ils n’appellent pas à voter pour son adversaire. Or, dans le système politique américain, la capacité du Président à négocier avec le Congrès (représentants et sénateurs) est capitale. Il le serait aussi parce que son équipe manque largement de professionnalisme, à l’exception peut-être de son conseiller pour les affaires internationales et de défense qui est un ancien directeur de la DIA, l’agence de renseignement des forces armées (distincte de la CIA qui est une agence civile). Il le serait, enfin, car il n’est pas exclu qu’il soit, lui aussi, soumis à une enquête portant sur le financement de sa fondation.

Mais, ce qu’il faut bien comprendre dans le mouvement qui porte Donald Trump, c’est qu’il a réussi à canaliser sur son nom la colère des américains de « main street ». Or, si l’on parle beaucoup de la hausse du salaire moyen aux Etats-Unis, il faut savoir que cette hausse est le produit de 10% des salaires les plus élevés. Le salaire médian stagne voire baisse, depuis la crise de 2008. Cette colère est immense. Elle porte sur l’inégale répartition de la richesse, mais elle est aussi une réaction face à l’arrogance des 10% les plus riches, qui n’hésitent pas à insulter quotidiennement le reste de la population.

Cette colère s’était aussi incarnée dans la candidature de Bernie Sanders. Et c’est pourquoi Sanders était le candidat démocrate qui avait le plus de chance de battre Trump. En l’écartant, le parti Démocrate a fait une erreur qui pourrait s’avérer fatale. Bernie Sanders aurait eu, de plus, une forte légitimité, qu’à l’évidence Hillary Clinton n’aura pas. De nombreux électeurs démocrates vont s’abstenir et pourraient même, par dépit et vengeance, se décider à voter pour Donald Trump.

Quoi qu’il en soit, de cette élection sortira une Présidence affaiblie. Ce qui ne sera pas sans conséquences sur les relations internationales. L’émergence d’un polycentrisme mondial, ce que l’on appelle le « monde multipolaire » est plus que jamais à l’ordre du jour.

Jacques Sapir le 03/11/2016

Transmis par Linsay



[1https://www.law.cornell.edu/uscode/text/18/part-I/chapter-96 , voir aussi, United States. Congress. House. Committee on the Judiciary. Subcommittee No. 5. Organized Crime Control. Hearings … Ninety-first Congress, Second Session on S.30, and Related Proposals, Relating to the Control of Organized Crime in the U.S.[held] May 20, 21, 27 ; June 10, 11, 17 ; July 23, and August 5, 1970. Washington, D.C. : U.S. Government Printing Office, 1970.



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur