Somalie : mourir pour un jerrican d’eau.

vendredi 27 octobre 2006
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La sécheresse frappe l’ensemble de l’Afrique de l’Est. En Somalie, ou règnent l’anarchie et la pénurie, elle tue plus qu’ailleurs, car les puits sont devenus une manne pour les seigneurs de la guerre.

DE RABDURRE

Les villageois l’appellent “la guerre du puits”. Pendant deux ans, ici, dans cette bourgade commerçante, poussiéreuse, touchée de plein fouet par la sécheresse, des clans se sont livrés une bataille sans merci pour le contrôle d’une source. Quand l’affrontement a pris fin, il avait fait 250 morts. Désormais, il y a ici les veuves du puits et les soldats du puits. “Nous les appelons ‘les seigneurs de la guerre de l’eau’”, raconte Fatuma Ali Mahmood d’une voix éraillée, à propos de ces hommes armés qui contrôlent désormais l’accès aux sources.

Un enfant en pleurs accroché dans son dos, neuf autres tirant sur sa robe déchiquetée, cette femme de 35 ans se souvient de ce jour de l’an dernier où son mari est parti chercher de l’eau. Deux jours plus tard, il était retrouvé mort ; abattu quand la foule en colère a commencé de se battre pour le puits. “Son corps était là, étendu par terre, couvert de sang, tuméfié, abandonné sans honneur avec les autres morts. Quelle honte ! Nous n’avions jamais vu un conflit atteindre ce degré de violence”, raconte-t-elle en se protégeant les yeux du nuage de poussière qui tourbillonne dans la chaleur sous le ciel bleu. “La soif pousse les hommes à toute cette horreur.”

En Somalie, un puits est devenu un bien aussi précieux qu’une banque, un bien contrôlé par des seigneurs de la guerre, gardé par des hommes armés. Après trois ans de sécheresse ininterrompue, on est prêt à se battre pour l’eau et à mourir pour elle. Ces dernières années, en Afrique de l’Est, la sécheresse a touché environ 11 millions de personnes et décimé le bétail, dont les carcasses pourrissent au soleil. Au Kenya et en Ethiopie, les gouvernements ont désamorcé des dizaines de microguerres de l’eau, envoyant la police et l’armée réprimer les conflits pour la possession des puits. Mais c’est en Somalie que les effets de la sécheresse sont les plus dévastateurs. Depuis la chute du général Siyad Barre en 1991, le pays est privé de tout gouvernement, de toute autorité capable notamment de mener des projets d’irrigation. En lieu et place, un ramassis de seigneurs de la guerre a pris le contrôle, avec leurs milices, des systèmes fiscaux parallèles, des récoltes, des marchés et de l’approvisionnement en eau. Au milieu de cette anarchie et de cette pénurie, 9 millions de Somaliens tentent de survivre ; aidés quelque peu par le Programme alimentaire mondial.

L’organisme des Nations unies recrute des hommes lourdement armés pour protéger les villageois lorsqu’ils vont chercher de l’eau, de l’huile ou du sorgho. Mais cela ne suffit pas toujours à dissuader les miliciens, qui obligent ici ou là les femmes à abandonner eau et nourriture sur le chemin du retour.

“Même quand la population locale est solidaire et organise des systèmes pour pomper l’eau, les seigneurs de la guerre mettent la main dessus. Un nombre incalculable de gens boivent une eau totalement insalubre, pleine de vers, de saletés, et qui les rend malades”, témoigne Abdul Rashid, un infirmier somalien qui travaille à Rabdurre pour une organisation humanitaire, l’International Medical Corps. “Tout se passe comme si c’était le début des guerres de l’eau en Somalie.”

“Dès que je vais quelque part, je prie”

La situation est d’autant plus dramatique que la sécheresse a provoqué la plus mauvaise récolte des dix dernières années. Les Nations unies viennent de demander aux pays donateurs 426 millions de dollars pour pouvoir distribuer de la nourriture et de l’eau aux Somaliens. Si les pluies ne tombent pas en quantité suffisante entre avril et juin, des milliers de personnes seront menacées de mort, selon l’ONU. Et 2,1 millions de Somaliens ont déjà urgemment besoin d’eau et de vivres. Mais acheminer l’eau dans certaines zones est une mission à haut risque : les convois humanitaires sont régulièrement attaqués ou contraints de payer d’énormes droits de passage aux check-points dressés par les milices.

Le 13 avril, au moins six personnes ont été tuées et trois autres blessées au cours d’une fusillade entre bandes rivales après le braquage d’un convoi des Nations unies près de Baidoa. Les équipes de l’ONU venaient livrer des vivres aux victimes de la sécheresse quand des miliciens ont commencé de se battre pour s’adjuger les droits de passage. Même les hommes d’affaires qui ont embauché des agents de sécurité considèrent qu’il est particulièrement dangereux de travailler en Somalie.

“Dès que je dois aller quelque part, je prie”, avoue Sheik Ibrahim Khail, qui dirige une entreprise de transports pour le Programme alimentaire mondial. “Quelqu’un qui a soif est capable de vous tuer pour un verre d’eau. Aucun policier ne viendra et aucun gouvernement ne dira quoi que ce soit. Ailleurs, ils détrousseraient peut-être le chauffeur ou voleraient la nourriture pour la revendre.

Source Le Courrier international

Transmis par Linsay



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