Le 9 mars, la rue, le monde du travail et la presse

vendredi 11 mars 2016
par  Charles Hoareau
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Le test est convaincant ! Quand on pose aujourd’hui à des jeunes en stage syndical la question :« quel est l’élément déclencheur de mai 68 ? » Ils répondent :« la révolte des étudiants » Et quand on demande des précisions il vient pèle-mêle : les jeunes voulaient plus de libertés, c’est parce que les garçons internes ne pouvaient pas aller rejoindre les filles, c’est Cohn Bendit qui a déclenché le mouvement, ce sont des étudiants qui ont lancé des pavés....etc

Qui se souvient que l’année 1967 compte le plus grand nombre de journées de grève répertoriées depuis le début de la Ve République : 4000000 à 4500000 selon les sources [1] ?
Et bien sûr personne ne parle des ordonnances du 21 août 67 qui constituèrent la première grande attaque d’envergure contre la sécurité sociale....

Dès le 24 août un appel commun CGT/CFDT faisant suite à l’appel de la CGT « Halte à l’agression contre la Sécurité sociale » appelait à l’action. Dans le dernier trimestre de 1967 les grèves et journées d’action dont celles du 10 octobre et du 13 décembre pour l’abrogation des ordonnances se succèdent. Demande d’abrogation qui sera placardée dans les banderoles de tous les défilés d’alors et tout au long du printemps qui suivra.
En janvier le mouvement reprend de plus belle. à la Saviem, à Caen, le 26 janvier 1968, l’intervention des forces de l’ordre fait deux cents blessés, dont trente-six policiers. Dans cette entreprise, 25 % des ouvriers ont moins de 25 ans et cette grève marque les esprits.
C’est bien dans ce contexte de luttes sociales grandissantes en France, dans un monde où les peuples manifestent pour la fin de la guerre au Viet Nam, que va s’inscrire un mouvement étudiant alimenté à la fois par la lutte pour des conditions d’études décentes, une opposition à la réforme des universités, une solidarité contre la répression des militants contre la guerre.

Cela l’histoire ne l’a pas retenu et les médias de l’époque, comme les faiseurs d’histoire d’aujourd’hui non plus.
Surtout ne pas parler des grèves du monde du travail de peur que cela reprenne. Les vieilles peurs issues de la révolution française ne sont pas loin....

Eh bien aujourd’hui ils nous refont le coup !

Dès mardi soir le journal de FR3 annonçait une journée d’action des organisations de jeunesse en faisant le pendant avec le CPE. Aucune mention n’était faite des organisations syndicales, sans doute pensant (espérant ?) que le fait qu’elles n’étaient pas à l’initiative feraient que les travailleurs resteraient chez eux. Mais plus symptomatique encore, ce discours était repris, à de rares exceptions près, par l’ensemble des médias toute la journée de mercredi.
Mais ils n’ont donc pas vu ce que nous on a vu ? Qu’ils ne l’aient pas senti venir passe encore (quoique s’ils avaient interrogé des dirigeants syndicaux...) mais dans les manifs du 9 mars ils ont bien vu qui il y avait !

Depuis des années nous n’avions pas vu autant d’entreprises présentes dans la rue dont certaines n’avaient jamais fait grève au point que nous avons du diffuser une notice expliquant comment faire grève ! Et cela est d’autant plus remarquable que ces grèves ont été déclenchées sans qu’il y ait d’appel des confédérations.

Concernant les jeunes, s’il faut saluer leur présence, il n’y a pas de comparaison possible avec le CPE qui était d’abord une loi anti-jeunes et contre laquelle les jeunes se sont normalement d’abord mobilisés. Là il s’agit d’une loi anti monde du travail et il est logique qu’il soit le plus mobilisé aidant d’ailleurs en cela la jeunesse à amplifier un mouvement qui n’en est qu’à ses débuts.
Ne pas parler de ces éléments, ne pas les analyser, ne peut être de la méconnaissance : c’est délibéré. La presse se rappelle-t-elle que, pour ne prendre qu’un exemple, à Marseille au départ la CGT 13 appelait le 22 février (bien seule !) à un rassemblement, que le flot montant des grévistes a transformé en manifestation chiffrée par les organisations syndicales à 60 000 personnes ?
Plus de 200 rassemblements en France qui aurait parié sur ce chiffre après la déclaration intersyndicale du 23 février qui se bornait à dénoncer le plafonnement des indemnités prud’homales ?
C’est d’ailleurs le mérite des organisations syndicales qui étaient dans la rue ce 9 mars, d’avoir senti ce qui montait et d’appeler à ces rassemblements.
Dans ce contexte, cette journée est un très grand succès.

Et si parfois les travailleurs nous surprennent voire nous débordent tant mieux : nous militants nous tirons tellement toute l’année pour que les ouvriers, employés, cadres, chômeurs... ne se laissent pas faire que quand la révolte arrive nous n’allons surtout pas bouder notre plaisir ni chercher à tout maîtriser au cordeau.

Que les milieux autorisés et qui s’autorisent à l’être comme celles et ceux qui se sont donnés le titre d’observateurs avisés se le tiennent pour dit : qu’ils parlent ou non du monde du travail celui-ci se fait et fera entendre.

N’en déplaise à Sarkozy, le cousin d’Hollande, qui disait naguère « désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit », le pays va « s’apercevoir » que la loi El Khomri venue tout droit de Bruxelles non seulement ne passe pas mais risque, après l’ANI et les lois Rebsamen et Macron, d’apparaître comme la grosse goutte qui fait déborder l’immense vase des coups reçus.

Mesdames et Messieurs qui avez choisi d’être les valets du MEDEF, quelles que soient les trahisons à venir et les renoncements prévisibles de certains complices que vous courtisez, le mouvement s’ancre et il y a fort à parier que, parti comme c’est parti, les prochains rendez-vous soient bien plus grands.

Vous serez alors bien obligés, et on fera tout pour, de constater qu’il est plus facile de refaire l’histoire depuis son fauteuil, que de l’écrire là où elle se déroule.

Surtout quand il y a 500 000 écrivains d’avenir dans les rues du pays.


Merci � Claudette et B�chir pour leurs photos


[1.Jacques Capdevielle, René Mouriaux, Mai 1968, l’entre-deux de la modernité, histoire de 30 ans, Presses de la FSNSP, 1989.



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