Deux points de vue sur le diktat européen vis-à-vis de la Grèce

mardi 30 juin 2015
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En suivant, le point de vue de Jacques Sapir que nos lecteurs connaissent et celui du KKE, le parti communiste grec qui n’est pas au gouvernement avec Siryza

Tyrannie européenne ?

Alexis Tsipras avait décidé de convoquer un référendum le 5 juillet, demandant au peuple souverain de trancher dans le différend qui l’oppose aux créanciers de la Grèce. Il avait pris cette décision devant les menaces, les pressions, et les ultimatums auxquels il avait été confronté durant les derniers jours de la négociation avec ce que l’on appelle la « Troïka », soit la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le Fond Monétaire International. Ce faisant, et dans un geste que l’on peut qualifier de « gaullien », il avait délibérément renvoyé au domaine politique une négociation que les partenaires de la « Troïka » voulaient maintenir dans le domaine technique et comptable. Ce geste a provoqué une réaction de l’Eurogroupe d’une extrême gravité. Nous sommes en présence d’un véritable abus de pouvoir qui a été commis ce 27 juin dans l’après-midi, quand l’Eurogroupe a décidé de tenir une réunion sans la Grèce. Ce qui se joue désormais n’est plus seulement la question du devenir économique de la Grèce. C’est la question de l’Union européenne, et de la tyrannie de la Commission et du Conseil, qui est ouvertement posée.

La déclaration d’Alexis Tsipras

Le texte de la déclaration faite par Alexis Tsipras dans la nuit du 26 au 27 juin sur la télévision d’État grecque (ERT), est de ce point de vue extrêmement clair :
« Après cinq mois de négociations, nos partenaires en sont venus à nous poser un ultimatum, ce qui contrevient aux principes de l’UE et sape la relance de la société et de l’économie grecque. Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l’humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l’obsession du FMI pour une politique d’extrême austérité. (…) Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec. J’ai proposé au conseil des ministres l’organisation d’un référendum, et cette proposition a été adoptée à l’unanimité ». [1]

Ce texte court, empli de gravité et de détermination, entrera vraisemblablement dans l’Histoire. Ce texte est prononcé par un homme jeune, qui a été confronté à la mauvaise fois, aux manipulations, à ce qu’il faut bien appeler toutes les bassesses de la politique, depuis cinq mois. Il dit aussi sa colère, froide et déterminée. Et c’est peut-être là l’échec principal de l’Eurogroupe et des institutions européennes : avoir transformé un partisan de l’Europe en un adversaire résolu des institutions européennes. Tsipras n’était pas il y a cinq mois de cela un opposant à l’idée européenne. Mais la multiplication des humiliations, des tentatives de coup de force, l’ont obligé à réviser nombre de ses positions, qui pour certaines d’entre-elles relevaient de l’illusion. Tsipras et Varoufakis sont aujourd’hui sur une trajectoire de collision avec l’Eurogroupe et l’UE non pas de leur fait, mais de celui des « institutions européennes ». Ceci est d’une immense importance pour la suite.

Les leçons de la déclaration de Tsipras

On peut découvrir dans cette courte déclaration trois points importants.
- Le premier est que le désaccord entre le gouvernement grec et ses partenaires a été d’emblée politique. La BCE et la Commission Européenne n’ont eu de cesse que de rechercher une capitulation du gouvernement grec, ce que Tsipras appelle « l’humiliation de tout un peuple ». Ce qu’a cherché l’Union européenne, par le biais de l’Eurogroupe, c’est à cautériser le précédent ouvert par l’élection de janvier 2015 en Grèce. Il s’agit de faire la démonstration non seulement en Grèce, mais ce qui est en fait bien plus important en Espagne, en Italie et en France, qu’on ne peut « sortir du cadre de l’austérité » tel qu’il a été organisé par les traités. Il faut ici se souvenir de la déclaration de Jean-Claude Juncker pour qui il ne peut y avoir de choix démocratique allant contre les traités.
- Le deuxième point important de cette déclaration est que, pour la première fois un dirigeant légalement élu et en fonction déclare que les institutions européennes font des propositions qui, dans leur fond comme dans leur forme « violent absolument les acquis européens ». C’est une accusation très grave. Elle revient à dire que les institutions européennes qui sont censées être des garantes de la démocratie agissent au contraire de celle-ci. Elle revient aussi à dire que ces mêmes institutions, dont la légitimité n’existe que par délégation de la légitimité des États membres ont des comportements qui violent la légitimité et la souveraineté de l’un desdits États membres. Cela revient donc à dire que les institutions de l’Union européennes se sont constituées enTyrannus ab exercitio soit en un pouvoir qui, quoiqu’issu de procédures légitimes, se conduit néanmoins en Tyran. Cela revient à contester radicalement toute légitimité aux instances de l’Union européenne.
- Le troisième point se déduit des deux premiers. Il est contenu dans la partie du texte qui dit : « Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec ». Il place désormais les enjeux non plus au niveau de la dette mais à celui des principes, de la démocratie comme de la souveraineté nationale. Et c’est en cela que l’on peut parler d’un véritable « moment gaullien » chez Alexis Tsipras. Si l’on veut pousser l’analogie historique jusqu’à son terme, alors que Paul Raynaud en 1940 ne soumet pas au Conseil des Ministres la question de faut-il continuer la guerre, Alexis Tsipras a osé poser la question de l’austérité et du référendum, et a reçu un soutien unanime, y compris des membres de l’ANEL, le petit parti souverainiste allié à SYRIZA. Il s’est ainsi réellement hissé à la stature d’un dirigeant historique de son pays.
La réaction de l’Eurogroupe, qui avait qualifié de nouvelle « triste » (sad) ce référendum, [2] confirme bien les options antidémocratiques qui ont cours aujourd’hui au sein de l’Union européenne. Mais, cette réaction a elle-même était dépassée par une décision d’une importance réellement dramatique.

Le coup de force de l’Eurogroupe et la Tyrannie européenne

La réaction de l’Eurogroupe, qui se réunissait ce samedi à Bruxelles, a en effet consisté en un acte qui conjugue l’illégalité la plus criante avec la volonté d’imposer ses vues à un État souverain. En décidant de tenir une réunion en l’absence d’un représentant de l’État grec l’Eurogroupe vient de décider d’exclurede fait la Grèce de l’Euro. Ceci constitue à l’évidence un abus de pouvoir. Et il faut ici rappeler plusieurs points qui ne sont pas sans conséquences tant juridiquement que politiquement.

1. Aucune procédure permettant d’exclure un pays de l’Union Économique et Monétaire (nom réel de la « zone Euro ») n’existe actuellement. S’il peut y avoir une séparation, elle ne peut avoir lieu que d’un commun accord et à l’amiable.

2. L’Eurogroupe n’a pas d’existence légale. Ce n’est qu’un « club » qui opère sous couvert de la Commission Européenne et du Conseil européen. Cela signifie que si l’Eurogroupe a commis un acte illégal – et il semble bien qu’il en soit ainsi – la responsabilité en incombe à ces deux institutions. Le gouvernement grec serait donc fondé d’attaquer la Commission et le Conseil à la fois devant la Cour Européenne de Justice mais aussi devant la Cour Internationale siégeant à La Haye. En effet, l’Union européenne est à la base une organisation internationale. On le constate par exemple dans le statut, et les exemptions fiscales, des fonctionnaires européens. Or, la règle dans toute organisation internationale est celle de l’unanimité. Le traité de Lisbonne a bien prévu des mécanismes de majorité qualifiée, mais ces mécanismes ne s’appliquent pas à l’Euro ni aux questions des relations fondamentales entre les États.

3. Le coup de force, car il faut l’appeler par son nom, que vient de faire l’Eurogroupe ne concerne pas seulement la Grèce. D’autres pays membres de l’Union européenne, et l’on pense au Royaume-Uni ou à l’Autriche, pourraient eux-aussi attaquer devant la justice tant européenne qu’internationale la décisionde fait prise par l’Eurogroupe. En effet, l’Union européenne repose sur des règles de droit qui s’appliquent à tous. Toute décision de violer ces règles contre un pays particulier constitue une menace pour l’ensemble des membres de l’Union européenne.

4. Il faut donc ici être clair. La décision prise par l’Eurogroupe pourrait bien signifier, à terme, la mort de l’Union européenne. Soit les dirigeants européens, mesurant l’abus de pouvoir qui vient d’être commis, se décident à l’annuler soit, s’ils persévèrent dans cette direction, ils doivent s’attendre à une insurrection des peuples mais aussi des gouvernants de certains États contre l’Union européenne. On voit ainsi mal comment des États qui ont juste recouvré leur souveraineté, comme la Hongrie, la République tchèque ou la Slovaquie, vont accepter de telles pratiques.
Il est alors symptomatique que la crise induite par un pays ne représentant pas plus de 2% du PIB de l’UE ait pris cette tournure. En fait, cela révèle au grand jour la nature fondamentalement antidémocratique des institutions de l’UE et le fait que cette dernière soit en train de se constituer en Tyrannie.

Le spectre de la démocratie dans les couloirs de Bruxelles

On ne peut, et on ne doit, préjuger du résultat de ce référendum. Il est même possible que, devenu sans objet, il ne se tienne pas. Mais on doit souligner qu’il représente le retour de la démocratie dans un espace européen dont elle était absente. De ce point de vue, l’initiative prise par Alexis Tsipras représentait la dernière chance d’introduire de la démocratie dans le système européen.
Il est aussi probable que les partis d’opposition, que ce soit Nouvelle Démocratie ainsi que le Parti de centre-gauche La Rivière(To Potami) protestent et cherchent à empêcher par divers recours légaux ce référendum d’avoir lieu. On ne peut plus exclure le fait que ces partis, avec l’aide des nervis fascistes d’Aube Dorée, ne tentent de déstabiliser le gouvernement grec. Ces réactions sont exemplaires des comportements antidémocratiques qui s’épanouissent aujourd’hui en Europe. Ils apportent de l’eau au moulin d’Alexis Tsipras. On sent comment les acteurs européistes de ce drame sont aujourd’hui terrorisés par le spectre de la démocratie.

En France même, on ressent très distinctement le malaise que provoque l’initiative d’Alexis Tsipras. Que ce soit au Parti Socialistes ou chez « les Républicains », on ne peut ouvertement s’opposer à une telle décision sans contredire immédiatement et brutalement tous les discours qui ont été tenus sur la démocratie. Mais, en réalité, le référendum grec fait planer le spectre d’un autre référendum, celui de 2005 sur le projet de Traité constitutionnel en Europe. La manière dont la classe politique française, dans sa large majorité, de Nicolas Sarkozy à François Hollande, de l’UMP au PS, avait été désavouée par la victoire du « Non », mais avait fait passer en contrebande à peu de choses près le même texte lors du Traité de Lisbonne qui fut ratifié par le Congrès à Versailles, est l’un des épisodes les plus honteux et les plus infamants de la vie politique française. Les acteurs de cette tragique mascarade sont toujours parmi nous. Il y a une continuité de projet, si ce n’est une continuité d’action, entre la décision de ne pas respecter un vote, celui des électeurs français mais aussi néerlandais, et le coup de force inouï de l’exclusion de la Grèce de l’Eurogroupe.
Tsipras ne doit ainsi pas s’attendre à un quelconque soutien de la part de François Hollande, renvoyé sans ménagement à sa propre médiocrité et à ses basses compromissions, ni de celle d’Angela Merkel dont la politique est la véritable cause de cette crise. Mais il peut s’attendre au soutien de tous ceux qui, en Europe, se battent pour la démocratie et la souveraineté.

JACQUES SAPIR · 27 JUIN 2015

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KKE : NON à la poursuite de la faillite pour le peuple ! -

Le KKE (Parti Communiste Grec) a organisé des manifestations de masse le 26 Juin 2015 dans les grandes villes de la Grèce contre les nouvelles mesures antipopulaires et les accords avec les prêteurs, qui sont en cours de préparation par le gouvernement SYRIZA-ANEL.

D. Koutsoumpas, Secrétaire Général du Comité Central du KKE, a déclaré, entre autres choses, au cours de son discours sur la place centrale d’Athènes :
« Le peuple grec doit dire un grand NON à l’accord, NON à leur propre faillite continue, NON aux partis de l’UE à sens unique et de la puissance capitaliste. Il doit tracer une voie afin qu’il puisse vraiment prendre les rênes du pouvoir.
Les gens doivent se battre aux côtés du KKE, ils doivent empêcher les mesures antipopulaires, dans les rues, sur les lieux de travail.
SYRIZA est parvenu au gouvernement en détournant les revendications des travailleurs et du peuple. Il tente maintenant de tromper le peuple une fois de plus, en tordant et interprétant les votes des gens en fonction de ses intérêts.
Cinq mois après les élections, le gouvernement se prépare à envoyer au peuple la facture avec les mesures du nouvel accord qui sont vraiment un nœud coulant autour du cou des familles issus des couches populaires qui ont saigné et continueront à saigner pour la dette, pour l’UE, pour la rentabilité des monopoles, si elles ne commencent pas une contre-attaque sur la voie de la rupture et de conflit avec l’UE et les monopoles.
Le peuple grec doit rejeter la fois les propositions des prêteurs - “trois institutions” ainsi que les propositions du gouvernement Tsipras (de 47 + 8 pages), Les unes et les autres sont barbares, une guillotine pour le peuple.
Le gouvernement SYRIZA-ANEL avec ses partenaires européens et le FMI, avec l’intervention des Etats-Unis, n’ont pas renoncé à leurs efforts pour sauver la Grèce capitaliste à l’intérieur du cadre de l’UE capitaliste. »

Dans les premières heures de la matinée du 27 Juin 2015, le Premier ministre Alexis Tsipras a annoncé un référendum, dont la question sera de savoir si les gens acceptent la proposition des prêteurs ou non.

Dans une intervention au cours du programme de la station de télévision Mega, peu de temps après l’adresse du Premier ministre, Yiannis Gkiokas, membre du CC du KKE et responsable de son service de presse, a souligné que :
« La position du KKE est claire. Le NON du peuple grec doit être dirigé vers les deux propositions : la proposition des prêteurs et également la proposition de 47 pages du gouvernement qui a été augmentée pendant toute cette période.
Les deux propositions contiennent des mesures sauvages au détriment du peuple.
Le référendum a les caractéristiques d’un chantage contre le peuple et vise à le rendre complice des plans antipopulaires, en faisant appel à eux pour choisir entre deux maux.
Le gouvernement doit cesser de raconter des contes à propos de soi-disant respecter la volonté du peuple.
Les gens ont lutté dans les années précédentes et saignés contre les memoranda et lois d’applications. Et au cours de ces cinq mois, le gouvernement n’a pas aboli une loi, a maintenu intact le cadre précédent et est aussi en train de proposer de nouvelles mesures pour les prêteurs.
Le gouvernement dit que la proposition des prêteurs est en dehors du mandat du peuple. Est-ce que sa propre proposition est à l’intérieur des limites du mandat de la population ?
Le gouvernement a menti au peuple grec. Il lui a promis qu’il pourrait être libéré des memoranda et de l’austérité à l’intérieur de l’UE et du mode de production capitaliste et maintenant il essaie de gérer l’effondrement de ce conte pré-électoral.
Le peuple doit dire non aux deux de toutes les manières et par tous les moyens disponibles. Il doit rejeter le plan des créanciers et aussi le plan du gouvernement. Il doit se lever et se battre pour la seule solution réaliste pour leurs propres intérêts, qui est la rupture avec l’UE et avec le mode de production actuel. »

Traduit en français depuis la version anglaise du communiqué du KKE par Carnet prolétaire.marianne.net
Trouvé sur Commun COMMUNE [El Diablo]


[2Déclaration du Président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, samedi 27 juin, http://www.france24.com/en/20150627-eurogroup-says-sad-greece-referendum-closes-door-talks



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