La traversée des Dolomites (VI)

samedi 27 septembre 2014
par  Charles Hoareau
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Avant dernière étape, du Lavarella (2060m) au Gardenacia (2050m)

Aujourd’hui, du Lavarella au Gardenacia, nous devons faire la plus longue étape de notre traversée : 1200 m de descente et surtout autant de montée.
Espérons que le plus dur ne se fera pas en pleine chaleur. Ce matin tôt je peux voir le soleil se lever et teinter de rose la pointe des montagnes. Instants fugaces, tellement difficile à rendre…comme d’autres d’ailleurs… malgré un mitraillage en règle des sommets, des reflets rosissants et de la lumière toujours plus présente. Peu à peu la nature s’éveille et il faut être là, à ce moment là pour la sentir pleinement sortir peu à peu de sa torpeur majestueuse.

Il faut s’y résoudre, les plus belles photos sont dans nos têtes.

8h nous partons. Le chemin monte au-dessus du refuge sur des pierres calcaires serrées et semblables à celles que l’on trouve sur les chemins des calanques. Privilège devenu rare, nous découvrons des edelweiss sur le bord du chemin. Je les cueille en 2 photos en espérant qu’après moi personne n’aura l’idée de cueillir pour de bon ces fleurs devenues si rares en Europe (contrairement au Népal où des champs entiers tapissent des prairies à 4000 m d’altitude).

Au bout d’une heure nous avons monté un peu plus de 300 m et en nous retournant nous pouvons voir notre refuge devenu point posé à l’arrière de lacs sombres que le soleil n’illumine pas encore.

Un dernier ressaut et nous nous trouvons à traverser un immense quartz, crique désertique au paysage lunaire.
Encore un paysage différent…

De façon inattendue, dans cet univers minéral, surgissent par endroits des mers d’herbe parsemées de fleurs jaunes, comme des pieds de nez à la pierraille ambiante.

Une petit lac, à peine plus grand qu’une grosse flaque d’eau, aussi s’est perdu ici

A la fin de cet univers de pierre et d’herbe rase et rare on accède au Forcella de Medesc, large col à 2533m qui marque l’entrée vers la vallée où nous devons, 1100m plus bas, rejoindre et traverser la petit village La Villa Stern. Sur ses hauteurs se détachent des alpages et des bois, mais tout de suite ce sont des pentes raides et caillouteuses où l’on a vite fait de glisser. Si c’était le cas il n’est pas dit que nous arrivions à nous retenir et nul ne sait où on s’arrêterait.

On entame prudemment nos mille mètres de descente et nos bâtons s’avèrent précieux.

La matinée est bien avancée et sur les pentes étincelantes le soleil darde ses rayons. Nous avons hâte de rencontrer l’ombre.
On la devine enfin au bas de l’immense pain de sucre que nous venons de descendre grain à grain mais elle est bien timide. Dans cette univers où toute eau semble avoir disparu depuis des millénaires, le bas de la montagne ressemble à une mer de pierre sur laquelle il nous faut nager de long en large au gré des lacets que des hommes ont tracés en creusant faiblement l’onde pierreuse.

La mer devient fleuve brûlant, puis multiples ruisseaux et la verdure, d’abord simples îlets émergents, peut enfin reprendre ses droits et devenir tapis sur lequel nous terminons notre approche de la ville. Nous arrivons vers midi dans le village surchauffé par l’été. Les rues sont désertes. Hommes et femmes fuient la chaleur des artères desséchées et seule, la terrasse ombragée et bienvenue d’un café, témoigne du fait que toute vie n’a pas disparu de ces maisons silencieuses aux volets refermées sur la fraîcheur intérieure que l’on devine.

Evidemment nous nous arrêtons sous l’ombre réconfortante. Nous nous y asseyons d’autant plus volontiers que nos amis québécois nous y ont précédés. Où pique-niquer ? Au bord de l’asphalte brûlant ? Amorcer la montée où les arbres semblent bien lointains et bien hauts dans cette chaleur ?

Un télésiège que nous avions repéré sur la carte confirme sa présence et le fait qu’il fonctionne. Il nous tend les bras et nous n’hésitons pas. Seul un des canadiens veut monter à pied les 400 mètres qui nous séparent de l’arrivée de la machine en nous expliquant qu’il n’est pas fait pour le bonheur (sic !). Nous le laissons à sa marche masochiste et transpirante et nous nous élevons en silence et confortablement assis jusqu’à 1800m. Les prairies défilent sous nos yeux comme par magie…

A l’arrivée, à quelques mètres de la station, une table et un banc de bois nous attendent. Nous pouvons déguster nos conserves de maquereaux. Dans le décor ambiant elles ont presque le goût d’un plat succulent préparé par un grand chef… En face et déjà bien loin nous voyons le col où nous étions il y a quelques heures à peine et sous lequel s’étire l’immense vallée faite de toutes les nuances de vert.

Nous ne nous attardons guère.
Un petit moment de repos allongés dans l’herbe pour une sieste symbolique et nous repartons.
Le refuge de Gardenazza (ou Gherdenacia, ou Gardenacia !) est à moins de 300 mètres au-dessus de nous. Par une courte mais raide pente en lacets, longeant la falaise sous les arbres, nous y sommes en 40mn. Nous pouvons alors admirer, au milieu d’un lac de verdure, une immense bâtisse, inattendue dans ces lieux et qui domine toute la vallée. La vue est splendide.

Autour de nous une basse couronne de ces sommets devenues familiers et tout le tour au loin, des montagnes enneigées qui magnifient encore le paysage. Le refuge est à l’unisson du spectacle donné par Dame Nature. Non seulement le bâtiment est d’une grande beauté extérieure avec ses multiples fenêtres aux volets de bois verts qui viennent trouer les façades et ses balcons de mélèze qui les décorent de part en part, mais en plus à l’intérieur nous n’en revenons pas.

Tout est propret et semble sorti hier des mains de l’ébéniste. Dès la salle à manger et ses tables aux épais plateaux de hêtre massif aux bords arrondis on est séduits. Ici pas de dortoir. Un escalier en bois clair mène à des chambres pour 3 ou 4 personnes, douillettes et boisées du sol au plafond avec douche et WC à l’étage. On se croirait dans un hôtel…ou dans le chalet d’Heidi ! Rien à voir avec le Locatelli et ses immenses dortoirs…C’est vraiment l’endroit où finir en beauté notre traversée.

Depuis la fenêtre de ma chambre mon regard s’attarde à essayer de suivre le long filin qui, depuis un petit terre-plein devant le refuge, descend bien plus bas afin de descendre les bidons de lait qui vont nourrir les villageois.

Après une douche salutaire nous pouvons rejoindre nos amis sur la terrasse pour y prendre notre traitement du soir. De la fin de l’après-midi jusqu’après le repas du soir pris en commun, la conversation passera par plein de chemins différents. Les voyages et la montagne bien sûr, mais aussi tour à tour le métier de chacun, son environnement, ses loisirs et d’autres considérations plus générales sur nos pays respectifs. Viendront aussi en débat le rôle et la forme du syndicalisme nord-américain et les différences avec le syndicalisme français, l’œuvre « civilisatrice » des blancs qu’il s’agisse des indiens des deux Amériques ou de l’œuvre de la colonisation française. De l’Afrique à l’Amérique, « il y a de quoi être fiers » comme le dira avec une ironie pleine de dépit notre ami du Yukon, résumant ainsi l’opinion générale autour de la table. Quand on pense aux massacres, souvent au nom de la religion, au découpage des frontières et à l’histoire qui continue…chacun là où il est fait avec cet héritage et cette réalité-là.

Nous parlons aussi de nos régions respectives ce qui fait grandir l’envie de les connaître. Eux le Queyras et les Ecrins, nous les Laurentides et le Yukon…

Chacun monte dans sa chambre. Je m’assoie un moment à la terrasse et contemple la nuit descendre sur les roches et la neige des sommets. Près de nous les tintements des cloches des vaches, les compagnes des gardiens du refuge, se font plus discrets. Elles aussi se préparent à la nuit. Il est temps de dormir.



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