Ebola ou l’expression terrifiante de la pauvreté et de l’indifférence

jeudi 18 septembre 2014
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L’épidémie d’Ebola, la fièvre hémorragique qui frappe actuellement une partie de l’Afrique de l’Ouest, s’étend rapidement alors que, d’après les prévisions les plus optimistes de l’ONU, l’épidémie pourrait encore s’étendre et durer six à neuf mois. [1]

Selon Joanne Liu, directrice de Médecins sans frontières, « le monde est en train de perdre la bataille » face à « la pire épidémie d’Ebola de l’Histoire » depuis sa première apparition en 1976 [2] . Elle dénonce également que « les États ont rallié une sorte de coalition mondiale de l’inaction ».

Le 2 septembre 2014, Tom Frieden, le directeur du Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies [3] , tirait la sonnette d’alarme « En dépit des efforts énormes, le nombre de cas continue à s’accroître, et il s’accroît désormais très rapidement [...]. Il est encore possible de réduire le fléau, mais la fenêtre d’opportunité pour agir est en train de se refermer » [4] .

À ce jour, il n’existe pas de traitement ni de vaccin contre ce virus. Les seuls traitements visent à soulager les symptômes et aider l’organisme à combattre le virus. Pour MSF « le seul moyen de stopper la propagation est de mettre en place des centres d’isolement et de traitement pour les patients contagieux ». Or, le nombre de ces structures est largement insuffisant et, quand elles existent, leur capacité est limitée. MSF gère cinq centres dans les zones touchées en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone et souligne également que « les systèmes sanitaires sont débordés et défaillants : les centres de santé ne sont pas adaptés pour répondre à une telle crise ». Le personnel soignant est quant à lui extrêmement exposé, puisque 10 % succombent à l’épidémie. Le 2 septembre dernier les infirmier-e-s du plus grand hôpital de Monrovia, capitale du Liberia, se sont mis en grève pour obtenir des combinaisons de protection individuelle.

Quand la pauvreté est au cœur de l’épidémie

Est-ce un hasard si cette épidémie sévit dans des pays qui sont parmi les plus pauvres de la planète ? Le dernier Rapport sur le développement humain 2014 du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) classe la Guinée à la 179e place sur 187 pays, le Liberia figure quant à lui à la 175e place et la Sierra Léone au 183e rang de ce triste classement. L’absence - ou dans le meilleur des cas la défaillance - des systèmes de santé est la conséquence directe des coupes franches dans les budgets sociaux, du gel des salaires et des licenciements dans la fonction publique imposés par les Institutions financières internationales pour rembourser la dette. En effet, si les services de santé et d’assainissement (infrastructures d’égouts, de traitement des eaux, etc.) de ces pays n’avaient pas été entièrement démantelés par les divers plans d’ajustement structurel (PAS) imposés par le FMI et la Banque mondiale, le risque épidémique aurait été bien plus faible ou plus facilement contrôlable. Comme le souligne le Dr Jean-Claude Manuguerra, responsable de la Cellule d’intervention biologique d’urgence de l’Institut Pasteur, Ebola « profite pour se développer d’un système de santé mal organisé par manque de moyens » [5].

Aujourd’hui, selon David Nabarro, le coordinateur des Nations unies pour la lutte contre la fièvre Ebola « Les besoins en matériel médical sont énormes : ils représenteraient 600 millions de dollars (soit 460 millions d’euros) » [6] . Il faut des centres médicaux et des lits pour isoler les malades.

Pour le Dr Dominique Kerouedan [7]]] « dans ces pays les budgets consacrés à la santé y sont très faibles, parfois moins de 5 % de l’ensemble des budgets publics. Enfin, les conflits armés ont davantage précarisé les systèmes existants ». « Les systèmes de santé publique ne peuvent assumer leurs fonctions de base. Il y a des centres de santé où il n’y a même pas d’eau ! Comment voulez-vous combattre une épidémie d’une telle ampleur ? Selon moi, l’émergence dans cette région d’une maladie infectieuse d’une telle gravité est le reflet du désengagement international en faveur des systèmes de santé. Il faudra tirer des leçons des difficultés à répondre à cette épidémie » [8] .

Le désintérêt de la communauté internationale ainsi que des laboratoires pharmaceutiques quant aux maladies de ces régions ont favorisé la propagation du virus. Depuis le premier cas, en 1976, 40 ans n’ont quasiment pas servi à la recherche, pour cause de non rentabilité et de non solvabilité. Aujourd’hui ces mêmes laboratoires se font concurrence pour trouver rapidement un vaccin. Dès lors que les millions de dollars d’aide sont annoncés, la recherche s’accélère.
Les laboratoires étatsuniens semblent plus avancés. « L’explication ? Outre-Atlantique, les virus dangereux sont considérés comme des armes de guerre, et une -menace très concrète pour les soldats américains postés dans les régions " à risque ". » [9]

Si les mesures adéquates avaient été prises dès les premiers cas de cette flambée (décembre 2013) la situation ne serait pas actuellement aussi dramatique. Pour Sylvain Baize, chef du Centre international de recherche en infectiologie, l’épidémie n’est officiellement découverte que le 21 mars 2014, « Nous étions déjà au pic de la première vague, avec une centaine de cas et déjà dans plusieurs foyers en Guinée et au Liberia ». « Le problème, c’est qu’Ebola n’intéresse absolument pas l’industrie pharmaceutique parce qu’il concerne des pays pauvres et pas solvables. Il n’y a aucun marché et donc pas d’évolution », explique le scientifique, « Il faudrait une volonté très forte des gouvernements et de l’OMS pour forcer l’industrie pharmaceutique à développer à perte ce genre de vaccin » [10] .

Quand la finance s’inquiète pour ses profits...

Pour faire face aux grands besoins de matériels, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) ont débloqué chacune 200 millions de dollars et l’Union européenne promet 140 millions d’euros... Si le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, s’inquiète que la réponse apportée par le monde est «  catastrophiquement inadéquate  », on peut se demander ce que la Banque craint le plus, une catastrophe humanitaire ou une crise financière. En effet, les institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) prévoient une baisse de croissance d’au moins un point dans les pays concernés... et l’agence de notation américaine Moody’s se soucie de « l’impact financier direct sur les budgets des gouvernements via une augmentation des dépenses de santé » ainsi que des « conséquences pour l’industrie pétrolière et gazière de l’Afrique de l’Ouest [qui] seront considérables. L’apparition de l’épidémie va dégrader la main d’œuvre locale et probablement inciter les compagnies pétrolières à évacuer leur personnel expatrié, ce qui aurait pour conséquence de fortement limiter la production d’hydrocarbures ».

Parallèlement, onze grands patrons d’entreprises internationales installées en Afrique de l’Ouest « concernés par l’impact du virus Ebola sur les économies des pays affectés », ont signé un appel, souhaitant un effort global plus important et mieux coordonné et une levée des interdictions de voyager. Ils s’appellent John Kavanagh, Lakshmi Mittal, David Reading, Bob Jones, David Rothschild, Dan Betts, Stephen J.J. Letwin, Graeme Hossie, Tony Carr, Gary Goldberg, Mark Bristow, et pèsent quelques milliards. Ces grands patrons de compagnies minières ont décidé de pousser un cri d’alarme à l’intention de la communauté internationale [11] .

Quand la dette tue

Ces pays ont subi pendant des décennies le poids énorme de la dette et les conditionnalités imposées par les créanciers. Après avoir créé les conditions du pillage, des privatisations, de la casse des services publics, la Banque mondiale pousse un cri d’alarme. Ces politiques imposées aux pays du Sud depuis plus de 30 ans ont une part de responsabilité non négligeable dans la catastrophe humanitaire actuelle.

D’autre part, la gestion de la crise actuelle crée la catastrophe de demain, car " l’aide " apportée par la Banque mondiale va gonfler la dette de ces pays qui devront continuer d’appliquer ces mêmes recettes...

La communauté internationale doit se mobiliser pour que les moyens nécessaires afin de stopper l’épidémie soient immédiatement mis en place et de manière efficace. De plus, elle doit se mobiliser pour que l’aide apportée ne soit pas conditionnée, car elle créera alors un nouveau champ de pauvreté qui sera le terreau des épidémies de demain.

Pour finir, il est primordial d’exiger l’annulation immédiate et sans condition des dettes des pays pauvres afin qu’ils puissent investir de manière souveraine dans des politiques publiques, seules capables d’enrayer sur le long terme et de manière massive la pauvreté et les épidémies qui en sont une expression terrifiante.

Yvette Krolikowski , Pauline Imbach le 13/09/2014

Ebola : les derniers chiffres

En Afrique de l’Ouest l’épidémie de fièvre Ebola a fait au dernier comptage 2.461 morts sur 4.985 personnes contaminées, a annoncé mardi 16 septembre l’OMS. De son côté, l’ONU a chiffré ses besoins pour cette région à 1 milliard de dollars. «  La crise à laquelle nous sommes confrontés n’a pas d’équivalent dans l’époque moderne.  Nous ne savons pas jusqu’où grimperont ces chiffres », a déclaré Bruce Aylward, son directeur général adjoint lors d’une conférence de presse à Genève.

Le Liberia reste le pays le plus durement touché avec 1.224 décès à la date de lundi sur les 2.288 morts recensés dans les trois principaux pays africains touchés : le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée ; pays où le dispositif sanitaire n’est pas à la hauteur des enjeux.

Transmis par Linsay





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