Entretenir la confusion des mots pour noyer le poisson ou la politique de l’oxymore.

jeudi 5 juin 2014
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« Développement durable », « agriculture raisonnée », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », sont des oxymores. La juxtaposition des deux mots fait fusionner deux réalités contradictoires et incompatibles. Plus les hommes politiques produisent d’oxymores, plus les gens sont désorientés et se croient inaptes à penser. L’oxymore est une figure de style qui allie deux mots de sens contraires : il ne peut donc pas y avoir de développement durable, ni d’agriculture raisonnée, encore moins de flexisécurité et pas du tout de moralisation du capitalisme. L’écologie et l’environnement sont les terrains de prédilection de cette confusion des mots.

Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde.

Les démocraties modernes possèdent-elles les ressorts nécessaires pour prévenir et affronter la catastrophe écologique due au réchauffement climatique ? Comme l’explique Bertrand Méheust [1], ce n’est pas de l’écologie libérale et du « développement durable » que viendra la réponse : ces discours consistent à graver dans l’esprit du public l’idée que l’écologie est compatible avec la croissance et même mieux, qu’elle la réclame, afin de masquer l’incompatibilité entre la société globalisée dirigée par le marché et la préservation de la biosphère.

Un univers mental ne renonce jamais à lui-même si des forces extérieures ne l’y contraignent pas. Le système a saturé tout l’espace disponible et est à l’origine de tensions de plus en plus fortes. Pour les masquer ceux qui nous gouvernent pratiquent la politique de l’oxymore. Forgés artificiellement pour paralyser les oppositions potentielles, les oxymores font fusionner deux réalités contradictoires : « développement durable », « marché civilisationnel », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », etc. Ils favorisent la destruction des esprits, deviennent des facteurs de pathologie et des outils de mensonge.

Plus l’on produit d’oxymores et plus les gens sont désorientés et se disent inaptes à penser. Utilisés à doses massives, ils rendent fou. Plus la crise s’aggrave, plus le réchauffement climatique nous menace et plus nous assistons à la production et à l’usage cynique, sans précédent dans la démocratie française, d’oxymores à grande échelle.

L’idée selon laquelle la gravité de la crise écologique globale – pour ne pas dire de l’effondrement écologique global – est sans cesse euphémisée par des oxymores n’est pas une thèse d’une grande nouveauté : la dénonciation du développement durable comme oxymore, devenue l’un des arguments incontournables des objecteurs de croissance, en est la preuve.

Sur ce thème, Bertrand Méheust va simplement un peu plus loin en soutenant que l’invention et l’utilisation massive des oxymores par le pouvoir en place a aujourd’hui atteint un degré inédit dans l’histoire : croissance négative, marché civilisationnel, financiarisation durable, etc. « Les oxymores ainsi utilisés peuvent alors favoriser la déstructuration des esprits, devenir des facteurs de pathologie et des outils de mensonge » (p. 121). « Utilisé à dose massive, l’oxymore rend fou. […] Transformé en "injonction contradictoire", il devient un poison social. Le langage exprime déjà ces tensions et cette fuite devant le réel. Une novlangue libérale dont la fonction principale est de gommer les réalités qui fâchent, les aspects de la condition humaine qu’il convient de masquer, est en train de prendre la suite de l’ancienne novlangue nazie ou communiste. » (pp. 147-148).

Les mots ne bâtissent pas de murs !

 [2]

En bref, ne nous laissons pas berner par les mots : « vertu politique »,« Europe Sociale », « capitalisme à visage humain », « PS, parti de gauche », « Front de Gauche, gauche extrême ». D’ailleurs le qualificatif « de gauche » à l’origine désigna l’ensemble des députés qui lors de l’Assemblée Constituante du 11 septembre 1789, se rangea à la gauche du président pour s’opposer au véto royal. Aujourd’hui nous devrions considérer que sont de « gauche » ceux des élus qui veulent s’opposer au capitalisme, le despote actuel de notre société.

Et si certains, déçus, justement par les partis dit de « gauche » qui semblent ne pas vouloir les entendre et utilisent des mots qui ne représentent pas ce qu’ils attendent et reprennent souvent les oxymores de la sociale démocratie, se tournent aujourd’hui vers un parti d’inspiration fascisante, qui sait parfaitement brouiller les cartes avec des mots a double sens, c’est essentiellement pour des raisons de classe. « Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe et c’est alors seulement qu’il paraît vouloir ce qui est mal ». (Jean Jacques Rousseau)

Le Front National a profité habilement de la situation d’échec des partis dits de gouvernement, en utilisant des mots qui ouvrent une fenêtre dans une atmosphère étouffante. Non pas un discours uniquement « fasciste » - qui dans la France de 2014 n’auraient attiré personne – mais au contraire un discours mixte qui d’un côté reprend les idées qui ont permis en un temps – hélas, révolu – aux partis « de gauche » de représenter effectivement la classe ouvrière, tout en agitant de de l’autre côté la peur de l’autre et la xénophobie intrinsèquement inhérente à l’ADN des partis d’extrême droite.
Des idées simples comme celles de redevenir maître chez soi, de produire chez nous, de renforcer nos institutions et défendre « certains » services publics, de revaloriser le travail, de rompre avec les discours victimistes et pleurnichards de la dette et de l’austérité contrainte. Et, surtout, un discours qui dit qu’une autre politique est possible, là où les autres se résignent à quelques aménagements de l’existant.

C’est la réponse d’un électorat souvent populaire à l’autisme d’une élite politique dominée par les classes moyennes et qui, de la droite dite « républicaine » à l’extrême gauche, a renoncé à changer quoi que ce soit sur le fond. Pour nous les mots ont un sens profond et concret et nous appelons un chat un chat :

  • - Nous ne croyons pas que le capitalisme soit aménageable,
  • - Nous ne voulons pas de compromission avec la social-démocratie
  • - Nous ne confondons pas mondialisme et internationalisme
  • - Nous ne voulons pas de cette alliance ouest-européenne nouvelle puissance impérialiste.
  • - Nous voulons que les plus exploités, les plus précaires, les chômeurs, les discriminé-e-s, ne laissent à personne d’autres qu’à eux-mêmes la prise en main de la lutte pour leur émancipation.

Pas d’oxymores là dedans, pas de langue de bois ni de mots magiques. Seulement des mots vieux comme la misère elle même et qui parlent à tous. Ne nous laissons plus abuser par le mots. Car, si les mots ne construisent pas de murs, les actes oui ! Seuls les actes et leurs conséquences doivent être pris en compte.

la_peniche

On peut relire aussi l’article paru dans cette même rubrique et sur le même sujet les oxymores


[1Bertrand Méheust est l’auteur d’un livre « La politique de l’oxymore » qui vient de paraître aux Éditions La Découverte.

[2Ce proverbe signifie que ce n’est pas en parlant beaucoup que l’on arrive à établir des choses concrètes.



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