Mesdames les compagnies minières, servez-vous !

jeudi 17 octobre 2013
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Il y avait déjà eu l’affaire de Kiruna, cette ville de Laponie suédoise contrainte de déménager entièrement suite aux dynamitages à répétition de son sous-sol par une compagnie minières [1]. Cela n’a pas suffi non seulement c’est un massacre de l’environnement auquel le gouvernement est prêt à donner son feu vert mais en plus c’est pour le seul profit de sociétés minières qui ne reversent à l’état que 0,05% de la valeur des minerais extraits !!

C’est à l’extérieur de Jokkmokk [à l’extrême nord de la Suède], dans un bois à myrtilles entouré de lacs et de tourbières, que se joue l’un des grands bras de fer de notre époque.

Eleveurs de rennes lapons, acteurs du tourisme, universitaires et jeunes militants écologistes arrivés du Sud du pays tentent ensemble, avec les moyens du bord, de préserver le lieu-dit Kallak des tirs de mine et des forages. Et l’intervention de la police n’a pas entamé leur combativité.

De nombreux riverains du site attendent quant à eux le feu vert de l’administration. Très remonté, le conseil municipal a clairement fait savoir que les méthodes des écologistes n’étaient pas acceptables.

Il n’existe pourtant pas d’autre manière de stopper les ravages de la compagnie minière. Depuis 1992, la Suède est dotée d’une législation minière taillée sur mesure pour satisfaire les intérêts des industriels. L’objectif est de maximiser la production de minerai. Les prospecteurs ont carte blanche et les permis sont délivrés à tour de bras par l’Inspection nationale des mines, sous l’autorité de la Commission géologique suédoise.

En pratique, l’administration des mines fonctionne comme un prestataire de services au profit de l’industrie minière, tout en ayant la mission de surveiller cette dernière. La gestion par l’Inspection nationale des mines d’une affaire de forages irréguliers qui a lésé plusieurs propriétaires terriens à Jokkmokk illustre le problème induit par cette « double casquette ». Après une dernière entorse à la législation, l’administration est montée au créneau pour donner un « dernier avertissement » à la compagnie en question, comme elle aurait rappelé à l’ordre un enfant tapageur.

Désobéissance civile

Le projet de carrière de calcaire d’Ojnareskogen [un secteur boisé de l’île de Gotland, au Sud-est de la Suède] en fournit un autre exemple. Il est apparu qu’un haut responsable de la Commission géologique suédoise était aussi consultant pour Nordkalk, une entreprise associée au projet, tout en étant l’un des co-auteurs de l’avis de l’administration sur le projet, un document capital délivré lors de l’étude d’impact. L’ensemble du processus a été émaillé d’une série d’anomalies et, sans la désobéissance civile des militants écologistes, la forêt serait aujourd’hui saccagée.

Les citoyens n’ont pas voix au chapitre sur les projets de prospection minière des compagnies. Ni même les propriétaires des terrains concernés. Ils ne peuvent qu’espérer que l’étude d’impact soit défavorable à la compagnie en question et que celle-ci ne puisse pas démarrer l’exploitation du site. Le problème, c’est que l’étude d’impact intervient pendant la dernière phase du processus, à un stade où des sommes considérables ont déjà été investies et où des attentes ont été créées.

Les dirigeants politiques espèrent que le boom de l’exploitation minière dopera l’économie suédoise, en particulier dans les régions sous-peuplées. Il est d’autant plus curieux que l’Etat ne réclame pas sa part des matières premières. A l’entrée en service d’une mine, l’Etat n’a droit qu’à 0,05% de la valeur des minerais. A titre de comparaison, le Ghana prélève 5%, l’Inde 10%, et les provinces canadiennes environ 15% en taxes équivalentes. Pour sa part, l’Australie a introduit un impôt minier spécifique qui s’élève à 30% des bénéfices.

En Suède, les compagnies minières ne paient que l’impôt sur les sociétés, qui vient d’être revu à la baisse et auquel les multinationales n’ont aucun mal à se soustraire. Reste l’impôt sur le revenu des employés de la société qui, dans le meilleur des cas, ne sont que quelques centaines, pendant les dix à trente années que dure généralement l’exploitation d’une mine.

Plusieurs siècles

Dans le même temps, de lourds investissements publics sont consentis dans les infrastructures minières. Lorsque le gouvernement a présenté les efforts entrepris à l’automne dernier, le Premier ministre a expliqué que nos mines étaient l’équivalent du pétrole pour la Norvège. Drôle de discours quand on sait que c’est exactement l’inverse, en réalité. La stratégie de la politique norvégienne dans le domaine des matières premières est justement de ne pas privilégier l’extraction à tout va mais le bénéfice économique à long terme. Un raisonnement que la plupart des pays producteurs de minerais ont repris à leur compte.

Les répercussions sur l’environnement de quelques décennies d’exploitation d’une mine peuvent s’étaler sur plusieurs siècles. On ne peut pas réhabiliter une montagne transformée en gruyère, de même que l’on ne peut pas totalement prévenir les risques environnementaux. Même si les compagnies sont officiellement censées faire le ménage derrière elles, c’est toujours l’Etat qui court le plus de risques. Le nettoyage de la mine de Blaiken, non loin de Storuman [dans le nord de la Suède], que deux compagnies qui ont fait faillite ont laissé à l’état de passoire, coûtera 200 millions de couronnes [23 millions d’euros].

En 2008, l’Agence suédoise de protection de l’environnement a évalué que le coût du nettoyage des anciennes mines et du traitement de leurs déchets se situait dans une fourchette comprise entre 230 et 350 millions d’euros. Il est impossible de savoir à combien se montera l’ardoise future du boom minier que connaît la Suède aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, on peut présumer que les forages qui mitent les derniers espaces sauvages d’Europe seront un jour considérés comme des monuments à la bêtise de l’espèce humaine.

Johannes Forssberg Fokus Stockholm le 14/10/2013

Transmis par Linsay




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