Ce n’est pas sa tasse d’athée

dimanche 24 mars 2013
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Deux articles pour un livre qui devrait faire débat...

La religion est l’opium du peuple : relisez Marx !
C’est en ces termes qu’au début de l’année 2010, le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) fut renvoyé à ses chères études par un chœur unanime composé, entre autres, d’Aurélie Filippetti, Nadine Morano, Laurent Fabius et Michel Onfray. Le motif ? La candidature, jugée saugrenue, d’une jeune militante du Vaucluse qui avait le mauvais goût d’être musulmane et de porter un foulard.

C’est ce sarcastique conseil de lecture que Pierre Tevanian a choisi de prendre au sérieux dans son dernier livre La haine de la religion – et l’expérience se révèle fort instructive. On découvre en chemin qu’il est fort difficile d’enrôler post-mortem l’auteur du Capital dans la cabale éradicatrice des chasseurs de voile, d’Islam ou de religion – et pas davantage Engels, Lénine, Trotsky ou Rosa Luxembourg. On découvre même qu’un des grands apports théoriques et pratiques du mouvement socialiste d’inspiration marxiste au combat progressiste est d’avoir pointé les limites du combat antireligieux issu de la tradition des Lumières et de l’avoir relégué à l’arrière-plan, en le dénonçant comme un écueil, un idéalisme ou une ruse de la bourgeoisie. On découvre que Marx et les marxistes ont même théorisé et pratiqué l’alliance entre « celui qui croit au Ciel et celui qui n’y croit pas ». On réalise enfin la malicieuse actualité de leurs analyses : c’est aujourd’hui l’athéisme et le combat antireligieux, l’irréligion en somme, qui peut être considérée comme l’opium du peuple de gauche.

C’est l’étonnement, dit Aristote, qui conduit les hommes à philosopher. C’est en tout cas l’étonnement qui est à l’origine de ce livre. Un étonnement mêlé de perplexité, de stupeur, souvent de colère. Un étonnement qui me saisit, depuis maintenant de longues années, face à l’extravagante animosité – mais aussi, et c’est plus grave, la violence en actes – que suscite dans de multiples espaces, à droite mais aussi à gauche, la simple présence d’une adolescente ou d’une femme musulmane portant un foulard. J’ai beaucoup lu ou entendu – il est difficile à vrai dire d’y échapper – les bonnes raisons qui sont invoquées pour justifier cette animosité et cette violence, mais loin de dissiper mon incompréhension, ces argumentaires n’ont fait que la redoubler.

Je me suis étonné, notamment, de la manière dont depuis deux décennies le féminisme et la laïcité ont été subitement redécouverts et réinvestis, de l’extrême gauche à l’extrême droite, pour justifier presque toujours des attitudes – mais aussi des lois et des politiques publiques – dont il me paraît assez patent qu’elles ont peu à voir avec l’émancipation des femmes ou la séparation des autorités religieuses et politiques, et beaucoup avec l’obscurantisme et la chasse aux sorcières [1].

(...)Ce n’est plus seulement la laïcité qui est revendiquée, mais l’athéisme. Et ce n’est plus la figure tutélaire de Jules Ferry qui est invoquée, mais l’autorité d’une figure plus radicale, marquée, située sur l’échiquier politique : celle de Marx, dont on répète, jusqu’à la nausée, la célèbre formule sur la religion, « opium du peuple ».

Cette posture antireligieuse n’est pas nouvelle, mais elle a connu à gauche, au cours des deux dernières décennies, un regain analogue à celui des postures laïcistes et féministes dans l’ensemble du champ politique. Depuis qu’il y a en France des « affaires de voile », et plus largement une « question musulmane », j’entends de plus en plus, dans tous les « milieux progressistes » que je traverse, des manifestations unitaires aux meetings du Front de gauche, du NPA ou d’Europe Ecologie, en passant par les espaces libertaires, sans oublier les salles des profs, des discours de rejet de l’Islam et des musulmans, du voile et des femmes qui le portent, dont le principal ressort argumentatif n’est pas la laïcité ou le féminisme mais une profession de foi athéiste et antireligieuse. Et dans tous ces territoires du peuple de gauche revient inlassablement, comme dans un rituel religieux justement, la célèbre citation de Marx.
(...)

Nous reviendrons, dans ce livre, sur le « cas Moussaïd », mais ce n’est pas de la personne d’Ilham Moussaïd qu’il sera question – celle-ci a amplement mérité, après la curée de 2010, qu’on lui foute un peu la paix – ni même de l’inconséquence du NPA ou de sa complaisance coupable avec l’islamophobie ambiante. Car si la gestion interne de cette affaire et son triste dénouement (la démission d’Ilham Moussaïd [2]) méritent assurément les critiques les plus sévères, on ne doit pas oublier que c’est en l’occurrence toute la gauche qui s’est levée comme un seul homme pour rappeler que la militance et la représentation politique étaient des domaines réservés, interdits en tout cas aux femmes voilées. Et s’il n’y a pas eu d’Affaire Moussaïd à Lutte Ouvrière, au PCF ou au Front de Gauche, c’est sans doute parce que la chape antireligieuse y est encore plus implacable, au point qu’aucune femme voilée n’a pu jusqu’à présent y concevoir ne serait-ce que le projet d’une adhésion et d’une candidature. [1]
(...)

C’est donc cette haine de la religion qui m’a intéressé – plutôt que la haine déclarée des arabes ou des musulmans. Il est vrai que, dans le contexte sociopolitique spécifique de la France des années 2010, ces différentes haines sont loin d’être toujours discernables – et une formule est d’ailleurs revenue souvent sous ma plume pour nommer le problème : « Le voile, l’islam ou la religion en général ». De fait, je ne peux souvent pas mieux dire car la plupart du temps nous sommes dans l’incertain et l’indécidable. Quelle est par exemple la question exacte qu’a posée Ilham Moussaïd ?

Qu’est-ce qui bloque ? Qu’est-ce qui est si difficile à accepter ? La religion ? Le voile ? L’islam ? Les Arabes ? Les « quartiers » ? La casuistique est ici nécessaire : il faut voir au cas par cas. Disons pour le moment ceci :
- d’abord qu’il existe effectivement quelques vrais antireligieux qui le sont aussi primairement, bêtement et méchamment face à des chrétiens ou face à des juifs que face à des musulmans ;
- ensuite que ces antireligieux conséquents et non racistes ne sont pas si nombreux que ça ;
- troisièmement, que même si elles ne sont pas racistes, la plupart des haines antireligieuses n’en demeurent pas moins bêtes et méchantes ;
- quatrièmement, qu’une tradition anticatholique qui s’enracine dans une séquence historique de lutte contre un Clergé puissant et étroitement lié à l’appareil d’Etat ne saurait trouver son équivalent contemporain dans une islamophobie dont les premières victimes sont les simples fidèles d’une religion minoritaire ;
- cinquièmement, que même lorsque le fondement d’une posture antireligieuse n’est pas raciste, l’irréligieux pas davantage qu’un autre ne vit en dehors de la société, d’un contexte politique où la religion et l’irréligion sont massivement mobilisés et agencés dans une construction rhétorique raciste dont le nom est islamophobie ;
- que de ce fait le premier réflexe de l’authentique irréligieux, s’il est aussi antiraciste qu’antireligieux, doit être de refuser qu’en son nom soit justifié l’injustifiable (et je parle ici de choses très concrètes : l’injure quotidienne, l’exclusion sociale des femmes voilées, la discrimination, à l’embauche notamment, fondée sur l’appartenance réelle ou supposée à l’islam et plus encore sur la visibilité d’une pratique musulmane) ;
- et enfin que, malheureusement, peu d’antireligieux adoptent cette posture de refus.
(...)

J’ai cela dit choisi, dans ce livre, de me concentrer sur la question religieuse, en la prenant au sérieux, en ne discutant donc pas – et en ne mettant pas même en doute – les professions de foi antiracistes des irréligieux que je critique. J’ai exprimé des doutes – et même davantage que des doutes – lors des précédentes affaires de voile [3], mais je me contenterai ici d’interroger en lui-même le parti-pris antireligieux, l’intolérance et l’ostracisme qu’il provoque, ses fondements et son coût politique.

Notes

[1] Cf. Pierre Tevanian, Dévoilements. Du hijab à la burqa : les dessous d’une obsession française, Libertalia, 2012

[2] Quelques mois après « l’affaire », à la fin de l’année 2010, fut rendu public le départ d’Ilham Moussaïd et de neuf de ses camarades du Comité NPA d’Avignon, accompagné d’une lettre de démission évoquant l’épuisant et insupportable climat de suspicion, d’hostilité, de procès d’intention et de cabales diverses qui a poussé « la voilée et ses amis » à s’éloigner eux-mêmes d’un parti où ils n’étaient, pour le moins, pas les bienvenus. Pour un aperçu des débats internes du NPA sur la candidature Ilham Moussaïd, avant et après le Congrès de février 2011, cf. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?mot6425

[3] Cf. Pierre Tevanian, Dévoilements. Du hijab à la burqa : les dessous d’une obsession française, Éditions Libertalia, 2012 et Faysal Riad, « Qu’est-ce qu’un musulman ? », lmsi.net

***

Ce n’est pas sa tasse d’athée

Quand Marx qualifiait la religion d’"opium du peuple", il visait surtout le christianisme et ses effets contradictoires : abrutissants mais aussi euphorisants.

Comme l’opium !.

D’accord avec son pote barbu Engels, plus prolixe sur le sujet, étudia moult exemples historiques où l’étendard chrétien a défendu la cause du peuple.

Pierre Tavanian, professeur de philosophie, aimerait que les marxistes d’aujourd’hui voient, à leur tour, le fait religieux sous sa double face.

Et qu’ils l’appliquent à l’islam.

Bataillant contre Michel Onfray et son "Traîté d’athéologie", qu’il juge réducteur, Tevanian analyse le cas d’Ilham Moussaïd, cette jeune candidate portant foulard que le NPA envisagea de présenter aux régionales de 2010 dans le Vaucluse.

Effrayé par la polémique, le parti de Besancenot, qui se réclame du marxisme, rétropédala, incapable d’affronter, regrette l’auteur, la possibilité d’"un islamo-gauchisme".

Pourquoi l’islam ne serait-il pas, lui aussi, contradictoire, menant "à l’apathie mais aussi à l’action", provoquant "un surcroît d’inquiétude" et en même temps "un supplément d’activisme" ? demande Tevanian, qui connaît ses classiques.

Il invoque Lénine

("Nous ne devons pas interdire aux prolétaires qui ont conservé tels ou tels restes de leurs anciens préjugés de se rapprocher de notre parti"), Rosa Luxemburg et ses avertissements contre l’"anticléricalisme bourgeois", sans oublier Ernst Bloch et so "Principe espérance".

Abordant la question de la laïcité, contestant que la religion soit seulement " une affaire privée ", il retourne l’épée contre les intégristes du "consensus laïciste" et recycle ironiquement les formules marxiennes :

"L’irréligion est le soupir du gauchiste déprimé, le supplément d’âme d’une gauche qui a perdu la sienne".

Une question complexe à l’heure où, de l’autre côté de l’Atlantique, le Parti québecois se prononce pour "une laïcité à la française".

Dans "L’Express" (6/3), le Premier ministre du Québec, Pauline Marois, se déclare "contre le port de signes religieux ostensibles dans les services publics".

De sacrées prises de Québec en perspective !.

Par Frédéric Pagès dans Le Canard enchaîné du 13/03/2013


La haine de la religion.
Ou comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche

Par Pierre Tevanian

(La Découverte)

Transmis par Linsay


[1Ce qui est faux en ce qui concerne la PCF avec une élue municipale du Dauphiné NDR



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