L’opération Charlie Hebdo : textes choisis

dimanche 23 septembre 2012
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Les réactions ont été nombreuses et de ce point de vue Charlie Hebdo a réussi son coup commercial. Nous en avons choisi 3 qui, chacune dans leur style, résument assez bien ce que nous inspire cette pitoyable opération.

« Charlie Hebdo », la liberté d’expression et l’islamophobie

Dans un éditorial du Figaro (19 septembre), « Islamisme : le devoir de réagir » (accessible aux abonnés), Yves Thréard conclut par ces mots : « les pouvoirs publics doivent interdire [les prochaines manifestations], s’interposer, condamner leurs instigateurs », avant de lancer son cocorico : « La France ne peut se laisser marcher sur les pieds. » Et le quotidien titre sur trois colonnes à la « une » : « Les islamistes veulent encore manifester à Paris. »

Paradoxalement, les mêmes qui se mobilisent pour la liberté de la presse et pour Charlie Hebdo appellent à interdire les manifestations des « islamistes ». Rappelons que le petit rassemblement tenu devant l’ambassade des Etats-Unis a regroupé à peine deux cents personnes, pour la plupart de jeunes Français qui ont fini au poste ; qu’il n’y a eu aucune violence. C’est vrai, il n’était pas autorisé. Mais est-ce si grave, au point de justifier ce déferlement médiatique ? N’y a-t-il jamais eu en France des manifestations non autorisées d’ouvriers en grève ou de porteurs de multiples revendications ? Je confesse que ma première manifestation non autorisée a eu lieu en 1965 devant l’ambassade des Etats-Unis justement, sur cette même place de la Concorde, contre les bombardements américains sur le Nord-Vietnam. Elle m’a valu un coup de matraque et m’a coûté une paire de lunettes…

Mais, bien sûr, dans ce cas il s’agit d’« islamistes », terme assez vague pour englober les Frères musulmans et les salafistes, le Hezbollah et Al-Qaida. « Ils » sont donc coupables parce qu’ils sont islamistes, clament ceux-là même qui défendent la liberté d’expression, le blasphème et toute idée iconoclaste. Il est vrai que ces islamistes « menacent Paris d’une nouvelle manifestation », toujours selon Le Figaro. Et le droit de manifester ?

Décidément, la liberté d’expression et de manifestation est à géométrie variable. Charlie Hebdo, qui s’en réclame pour publier de nouvelles caricatures (quel courage !), a viré un de ses dessinateurs vedettes, Siné, sur des accusations mensongères d’antisémitisme. On peut retrouver le dossier dans « Affaire Siné : les points de vue de Charb et Cavanna, historiques de “Charlie Hebdo” » (Le Nouvel Observateur, 27 juillet 2008). Et lire, en particulier, les pitoyables arguments de Charb pour expliquer et justifier le licenciement de Siné.

Ivan Rioufol, dont les chroniques dans Le Figaro et sur son blog sont une défense et illustration des thèmes de l’extrême droite anti-immigrés et islamophobe, explique dans son dernier opus du 19 septembre pourquoi « “Charlie Hebdo” sauve l’honneur de la presse ». Pourtant, même en acceptant l’idée que l’islamisme (au singulier) est une idéologie totalitaire, faut-il interdire « les démonstrations de force, comme celle qui s’annonce sur le Net pour samedi à Paris en défense du Prophète » ? Et pourquoi laisse-t-on un parti comme le Front national, bien plus influent que les quelques groupes radicaux islamistes, s’exprimer librement et sans contrainte ? Qui menace vraiment la démocratie ?

Pour éviter tout procès d’intention, je tiens à dire que l’on ne saurait tolérer des menaces contre quelqu’un qui a usé de la liberté d’expression, même à mauvais escient. Les lois protègent ce droit et il n’est pas question d’accepter leur remise en cause. Même les imbéciles ont droit à la parole…

Mais laissons là l’hypocrisie d’une droite et d’une gauche qui agitent le chiffon rouge de l’islamisme depuis des années à longueur de déclarations et de colonnes de journaux, mais qui n’expliquent pas comment les quelques millions de musulmans (trois, quatre, cinq ; personne ne sait vraiment, parce que personne ne sait définir un « musulman ») pourraient menacer la République, eux qui sont ostracisés, dont une fraction est reléguée dans de lointaines banlieues, qui sont en plus profondément divisés (socialement, politiquement et même religieusement). Dans un pays qui connaît un chômage et une pauvreté de masse, où le gouvernement socialiste accepte les politiques d’austérité, où les riches s’enrichissent, comme il est commode de retourner la colère populaire contre ces gueux, qui ne sont même pas de « vrais » Français. Rappelons que la première mesure prise par la nouvelle majorité socialiste du Sénat avait été une loi contre les nounous voilées...

Le tollé autour de Charlie Hebdo est bien sûr une autre diversion, mais peut-on laisser sans réponse ce type d’attaques ?

Imaginons, en 1931 en Allemagne, en pleine montée de l’antisémitisme, un hebdomadaire de gauche faisant un numéro spécial sur le judaïsme (la religion) et expliquant à longueur de colonnes, sans aucune connotation antisémite, que le judaïsme était rétrograde, que la Bible était un texte d’apologie de la violence, du génocide, de la lapidation, que les juifs religieux portaient de drôles de tenues, des signes religieux visibles, etc. Evidemment, on n’aurait pas pu dissocier cette publication du contexte politique allemand et de la montée du nazisme, et écarter d’un revers de main, comme le fait Charb dans Libération du 20 septembre, les conséquences de telles prises de position.

Nous vivons en Europe la montée de forces nationalistes, de partis, dont l’axe de bataille n’est plus, comme dans les années 1930, l’antisémitisme, mais bien l’islamophobie. Un climat malsain s’est installé et les idées hostiles à l’immigration et particulièrement aux musulmans se répandent dans les formations de droite comme de gauche. Notre ministre de l’intérieur Manuel Valls ne se différencie que peu de son prédécesseur. Bien sûr, tout cela ne prouve pas que l’on est à la veille de la prise de pouvoir du fascisme, et en dehors de quelques illuminés (comme Breivik), personne ne réclame un génocide des musulmans. Mais peut-on faire comme si ces forces n’existaient pas ? Peut-on reprendre le discours et les propositions de ces groupes, accepter le terrain sur lequel ils se placent, sans risques sérieux ?

Je reviendrai dans un autre billet sur la dimension internationale de cette crise.

Alain Gresh
Le Monde diplomatique

Transmis par Linsay

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Charb ou l’imbécile heureux !

"Ce n’est pas un délit" dit-il ! Et selon Charb et quelques autres, "il ne faudrait pas avoir peur de quelques islamistes !"

Il me semble que là n’est pas la question. Bien sûr que le droit de s’exprimer librement existe en France. Mais, est-ce une raison pour l’utiliser bêtement ou méchamment, ou les deux ?

Ce sont des millions de travailleurs et de travailleuses honnêtes et de religion musulmane qui se sentent blessées et humiliées par une attitude de sectarisme religieux qui en plus confine au racisme envers les peuples musulmans. Cette humiliation entraîne certains à des gestes disproportionnés.

Avec Charb, la caricature est la forme, mais le fond c’est, dans le cas des caricatures du Prophète Mahomet dans Charlie Hebdo, un sectarisme antireligieux frisant le racisme.

Comme le disait déjà si bien Lénine qui citait Engels, "Proclamer la guerre contre la religion ... n’est qu’une simple pose anarchiste ". (Lénine, Sur la Religion, 1905)

Lénine disait aussi qu’il n’avait aucune opposition de principe à ce que des travailleurs croyants et pratiquants adhèrent au Parti bolchevique...

Les communistes soviétiques d’ailleurs acceptaient les musulmans de gauche comme membres à part entière du parti.

Dans cette galère, Charb se retrouve sur le même banc que les Le Pen, Collard et compagnie, qui le félicitent. Nos médias les font d’ailleurs passer en boucle sur nos écrans, sans donner beaucoup la parole aux démocrates, musulmans ou pas, que tout cette "corrida" attriste !

Une certaine confusion semble régner dans les esprits, et même à gauche, on trouve des voix qui mélangent droit bourgeois et justice pour le monde du travail, liberté d’expression et liberté de nuire, et qui rêvent peut-être aussi, en compagnie de Charb, de "dépasser" Lénine ! En ont-il la carrure ?

Hervé Fuyet

***

Quand Charlie Hebdo fait de l’humour…

On lit des fois, chez Wikipédia, d’intéressantes contributions, qui éclairent l’actualité d’une lumière nouvelle.

C’est le cas, par exemple, de celle qui narre que les auteurs des illustrations – et autres infectes « œuvres » - antisémites du Moyen-Âge ne dédaignaient point d’user du « thème du cochon », qui visait « à humilier », puisque, dans la religion juive, « le porc est considéré comme un animal impur et interdit à la consommation selon les lois de la cacherouth ».

On lit là que les productions de ces caricaturistes remplissaient « trois fonctions principales ».

Il s’agissait, d’abord, et « cela supposait déjà des préjugés anti-Juifs chez le spectateur », de « livrer les Juifs à la dérision de la population, tout en faisant allusion à leurs soi-disant comportements typiques ».

Mais aussi – deuxièmement - de « stabiliser ces préjugés en les limitant envers les Juifs », et d’« encourager de façon indirecte des actions contre ceux-ci ».

Et encore, troisièmement : d’« attaquer les Juifs eux-mêmes dans leur propre image religieuse de soi et les blesser intérieurement ».

À cette fin : « Ces caricatures grossières représentaient une intimité entre l’animal et les personnes avec fréquemment des phénomènes de sécrétions et de digestion, visaient une calomnie efficace par une aggravation extrême et symboliquement réduite du message "typique" à faire passer ».

De telle sorte que : « L’obscénité des images conduisait le spectateur à un sentiment de dégoût, de honte et de haine. Ceci avait pour but de dénigrer en public les fidèles de la religion juive de façon particulièrement humiliante, et à les exclure de la communauté des humains. »

Cette imagerie médiévale montrait, dans la plupart des cas – il convient d’y insister un peu –, « un cochon en contact intime avec des gens. Les figures humaines » étaient « très identifiables » et portaient « des indices permettant d’identifier les Juifs, tels que le chapeau juif de l’époque ».

Dans certaines de ces représentations : les Juifs caricaturés chevauchaient un « cochon à l’envers, avec le visage tourné vers l’anus de » l’animal, « et recevant en plein visage l’urine qui gicle ».

Dans d’autres variantes : « Ils enlaçaient et embrassaient le cochon ».

Ainsi, « pour le spectateur, l’image suggérait que les Juifs, en faisant ces choses repoussantes, n’étaient plus des êtres humains, mais d’une espèce voisine de celle du cochon. Cela leur déniait la dignité d’homme. »

Par la suite – dans de plus tardives époques : la tradition de ces abjectes caricatures s’est renforcée.

Et bien sûr : les nazis l’ont perpétuée - dans les pages, notamment, de l’hebdomadaire Der Stürmer, qui ne dédaignait point d’user, pour mieux diffuser son venin antisémite, de la « pornographie » et des« caricatures ».

Aujourd’hui, ces atrocités tombent évidemment sous le coup de la loi, qui les punit sévèrement.

Mais heureusement, il reste les musulmans : ça serait quand même dommage, que Charlie Hebdo ne puisse plus faire d’humour…

Sébastien Fontenelle
Bakchich


En médaillon dessin de la chronique du Bdouin sur Foulexpress



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vendredi 28 septembre 2012 à 08h19 - par  chb

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