Une radiographie de la discrimination

Rapport d’Amnesty International sur l’exclusion des musulmans en Europe
dimanche 29 avril 2012
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Deux articles le même jour, dans la même rubrique, sur le même sujet, c’est rare. Mais la situation le justifie pleinement. En plus en ce qui concerne celui-ci c’est d’Amérique du sud que nous vient le regard et les commentaires sur le rapport d’Amnesty, et il est éclairant.

S’appeler Ahmed, Mohamed, Amel ou Fatima est une condamnation.

Discrimination pour obtenir un travail, un logement, méfiance des regards dans les commerces, rejet à tous les niveaux. Le rapport que vient de publier Amnesty International sur la discrimination dont sont l’objet les musulmans en Europe est une radiographie limpide d’un processus d’exclusion qui se développe avec l’influence croissante des partis d’extrême droite populistes qui pullulent sur le Vieux Continent.

Le rapport intitulé « Choix et préjugé, les discriminations contre les musulmans en Europe » est le premier de ce type par son amplitude continentale. Le travail analyse la situation dans des pays comme l’Espagne, la Belgique, la France, la Hollande et la Suisse et tire une conclusion immédiate sur les statistiques discriminatoires : « Les partis politiques alimentent la peur de l’Islam en Europe » (John Dalhuisen, directeur du programme Europe-Asie Centrale à Amnesty International). La seconde conclusion réside dans le fait que les pratiques discriminatoires motivées par l’appartenance culturelle religieuse sont valides « y inclus dans les pays où la discrimination fondée sur la religion ou les convictions est illégale ».

Cette investigation exhaustive de terrain démontre comment « les stéréotypes liés aux pratiques religieuses et culturelles musulmanes entraînent l’apparition de discriminations sur le marché du travail et dans les écoles contre les personnes qui portent des signes distinctifs ou des vêtements associés à l’islam ». Concrètement, une femme musulmane hyperqualifiée, avec des diplômes prestigieux et un cv idéal, ne sera pas embauchée si elle porte un voile sur la tête.

Amnesty cite de nombreux cas. Un d’entre eux, celui de Ahmed, un suisse originaire d’Afrique du Nord qui travailla durant 15 ans dans la même entreprise. Selon ce qu’il indique, il n’exhiba jamais sa pratique religieuse. Il fut toujours discret et jamais ne demanda un congé pour un jour de fête musulmane. Quand il se laissa pousser la barbe, ses collègues commencèrent à lui dire qu’il ressemblait à Ben Laden. Son destin fut scellé au moment où entra dans l’entreprise une femme qui détestait les arabes et les musulmans. En dépit d’un état de service exceptionnel, ils le licencièrent sans motif. Amel vécut en France une situation inverse : ils ne la congédièrent pas, mais ne l’embauchèrent pas parce qu’elle portait un foulard sur la tête. En plein XXIe siècle, avec des sociétés imprégnées de multiculturalisme et hyper connectées grâce à l’information et aux réseaux, les arabes et les musulmans continuent de susciter de la peur et du rejet, comme s’ils étaient d’une autre espèce. Le rapport d’Amnesty rend compte de très nombreux cas où les personnes se furent refuser un travail parce que le foulard qui couvre leur tête ou tout autre signe « déplaît aux clients » ou « détériore l’image de l’entreprise ».

L’incompréhension est immense, comme la rude et sale campagne que l’extrême droite européenne mène contre les musulmans, même quand ils ont la nationalité du pays dans lequel ils résident parce qu’ils sont la deuxième ou troisième génération et sont nés ici. Amnesty met aussi en cause le principe adopté en France en 2004-élargi ensuite à d’autres domaines et ensuite à l’Espagne, la Belgique, la Suisse, la Hollande et la Turquie-qui interdit l’usage de « signes religieux distinctifs » dans les écoles publiques et les lieux publics. Ces « prohibitions » constituent pour l’ONG des « discriminations contre les élèves musulmans, qui ne peuvent exercer le droit à la liberté d’expression, à la liberté religieuse ou à la liberté des convictions ».

La chasse aux musulmans est globale.

Amnesty cite de nombreux exemples. Un, en Espagne : une adolescente musulmane de 16 ans fut interdite d’assister aux cours du lycée public Pozuelo de Alarcon, dans la région de Madrid, parce qu’elle portait le voile. Deux, en Hollande : une école catholique de la ville de Volendam a interdit l’usage du voile. Avec cette mesure on interdit à un élève musulman de suivre les cours. Dans ce contexte, Amnesty met en question l’argument français, lequel justifie ces mesures pour que soit respectée la laïcité : « Selon le droit relatif au droits humains, la laïcité n’est pas un motif légitime pour restreindre la liberté d’expression, la liberté religieuse ou de conviction ». Il convient de rappeler que sous le mandat du président Nicolas Sarkozy on a interdit également l’usage de la « burka », le voile intégral. Les millionnaires des monarchies du Golfe qui venaient faire leurs achats à Paris vont maintenant à Londres. La Belgique a aussi adopté un mesure similaire.

La persécution s’étend à la construction ou l’implantation de lieux de culte musulman.

La preuve la plus délirante de cette politique est le fameux référendum organisé en Suisse en 2009 (qui fut approuvé par 57% des électeurs) par lequel on approuva la prohibition de construire de nouveaux minarets dans le pays. Dans toute la Confédération Helvétique il existe seulement quatre minarets. Dans les autres pays cités par le rapport, bien qu’il n’existe aucune loi similaire à la Suisse inscrite dans la Constitution, les musulmans rencontrent de grandes difficultés pour construire des lieux de culte. Dans la conclusion du rapport, Amnesty International formule une série de recommandations aux pouvoirs publics. L’ONG appelle les gouvernements d’Europe à « agir plus pour combattre les stéréotypes négatifs contre les musulmans, stéréotypes qui alimentent les discriminations ». Ici s’exprime pleinement la responsabilité des dirigeants politiques dont les idéologies, au lieu d’apaiser, soufflent sur les braises. Amnesty rappelle que, « au lieu de combattre les préjugés, les partis et les responsables publics suivent trop la direction des préjugés dans le but d’en tirer de bénéfices électoraux ».

Le parti d’extrême droite français Front National a obtenu quasiment 18% des voix au premier tour des élections présidentielles (du 22 avril). Son principal recours est le racisme global et son ennemi central est les musulmans. Les bénéfices de la haine, de la peur, les préjugés et la propagande politique sont parfaitement quantifiables.

Eduardo Febbro
Pagina 12

Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant


En médaillon tract publié sur Bakchich dans un article de janvier 2012 dénonçant la montée croissante de l’islamophobie en France



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