La crise de la dette européenne : véritable manne financière pour les argentiers

mercredi 7 mars 2012
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L’Union européenne, qui formait autrefois avec les États-Unis un bloc de prospérité pour les détenteurs de capitaux suscite désormais le doute ! Cette crédibilité bafouée est en grande partie imputable à l’extraordinaire expansion de sa dette publique.

La dette ou comment s’enrichir sans risque ?

L’accroissement de la dette publique européenne est la conséquence directe de décennies de politiques fiscales favorables aux grosses fortunes et aux grandes entreprises. Suite à la crise des subprimes aux États-Unis, de nombreuses banques européennes qui détenaient des actifs toxiques se sont trouvées au bord de la faillite. Les plans de sauvetage mis en place par les États n’ont rien amélioré, tout du contraire ! Entre 2008 et 2009, pas moins de 2.000 milliards d’euros ont été injectés pour contrer la déroute des banques [1]. Résultat : les dettes massives du secteur privé (des banques) ont été transférées vers le secteur public (Les Etats), sans que la moindre contrepartie réelle ne soit exigée. Partout les gouvernements européens ont augmenté la dette publique pour « sauver » le système bancaire de la zone euro sans nullement en profiter pour prendre le contrôle du secteur financier afin d’en changer radicalement les pratiques.

L’un des effets les plus pervers de la crise est dû aux décisions politiques qui ont permis aux banques de l’ouest européen (principalement françaises et allemandes mais aussi belges, néerlandaises, luxembourgeoises, britanniques, irlandaises…) de faire du profit sur la dette des Etats, largement creusée par le sauvetage de ces mêmes banques. Le mécanisme est simple : les fonds massivement prêtés à très bas taux d’intérêts par la Réserve fédérale des États-Unis et par la BCE (Banque Centrale Européenne) sont à leur tour prêtés aux États (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne) [2] mais à des taux d’intérêt largement supérieurs.

L’allégeance aux banques : règle d’or de la BCE

Au centre de la gestion de la crise de la dette de l’Union européenne, la BCE est très largement assujettie aux intérêts des banques privées. Deux mécanismes parmi tant d’autres permettent d’en témoigner. Tout d’abord, les statuts de la BCE ainsi que le Traité de Lisbonne lui interdisent de prêter directement aux États. Elle prête donc aux banques privées et autres investisseurs institutionnels (les assurances, les grandes banques, fonds spéculatifs, les fonds de pension…) qui à leur tour prêtent aux États en prélevant au passage une juteuse commission. Ainsi, les banques empruntent à la BCE à du 1 ou 1,5% pour prêter à certains États à un taux qui varie entre 3,75 et 5% [3].

Grâce à ces taux d’intérêt plus élevés, les banques privées avaient devant elles la perspective de juteux profits et ont encouragé les États, notamment de la périphérie de la zone euro, à emprunter sans compter [4] !

Elles ont indéniablement une grande part de responsabilité dans l’endettement massif des pays européens. Les banques n’ont pas hésité à prendre des risques estimant que les grands pays européens voleraient à leur secours dès qu’elles seraient menacées par le défaut de paiement d’un État sur-endetté. L’histoire leur a donné raison : jusqu’à présent, les gouvernements, la BCE et la Commission européenne leur ont apporté un soutien sans faille au prix du saccage des finances publiques.

Cependant, l’accumulation de dettes dans les pays européens de la périphérie constitua progressivement une réelle menace pour les banques ouest-européennes [5].

Inquiètes à l’idée de se voir imposer un rééchelonnement des paiements ou une réduction de la valeur de leurs créances (dans le cadre d’éventuelles renégociations de dettes) détenues sur les titres de la dette des pays dits « à risque » (essentiellement la Grèce et l’Irlande), les banques privées et autres acteurs des marchés financiers ont exigé de ces pays des taux d’intérêt de plus en plus élevés [6].

Parallèlement, les banques ont pris soin de diminuer leur exposition sur les dettes souveraines. Les banques françaises et allemandes se sont ainsi défaites de titres grecs pour des sommes non négligeables (coté français, en 2010, leurs engagements sont passés de 27 à 15 milliards d’euros et pour les banques allemandes de 16 à 10 milliards d’euros entre mai 2010 et février 2011). Toujours à la rescousse des banques, qui sans son intervention étaient contraintes de vendre au rabais les titres grecs et ceux d’autres États en difficulté, la BCE, à partir du 8 aout 2011, racheta nettement au-dessus du prix du marché et en très grosse quantité les obligations de ces États « à risque ». Cette énième manœuvre au service des intérêts privés illustre bien la totale soumission de la BCE aux marchés financiers.

Un pour tous, tous pour un ! Le FMI, fidèle destrier de la finance

Outre la BCE, les banques privées peuvent compter sur le soutien inconditionnel de deux autres alliés d’importance : le FMI et la Commission européenne. Après avoir mis à genoux les populations du Sud, après avoir perdu toute sa légitimité entre 2004 et 2008, le FMI, suite au G20 de Londres en 2009, sévit désormais en Europe. Il y applique exactement les mêmes recettes empoisonnées que celles assénées pendant près de trente années aux pays du Sud [7]. Si les acronymes diffèrent (les plans d’ajustement structurels se sont mués en politique d’austérité…), la logique mortifère demeure. Toujours fort soucieux de la sauvegarde des intérêts privés au détriment de ceux des peuples, le FMI alloue des prêts aux pays en difficulté afin que ceux-ci puissent rembourser les banques privées en contrepartie d’une austérité brutale et injuste. Si ces États n’avaient été renfloués, ils n’auraient pu « honorer » leur dette … détenue à 80% par les banques et d’autres compagnies d’assurance, leur occasionnant ainsi des pertes sèches. On comprend dès lors que ces prêts ne servent nullement les intérêts des populations des États « aidés ». Au nom d’une dette publique estimée pléthorique, ces plans d’ « aide » sont la courroie d’imposition de mesures d’austérité drastiques portant atteintes aux droits sociaux des peuples.

Non à la servitude du système dette ! Les peuples s’opposent et auditent

Face à ces politiques néolibérales qui touchent les plus vulnérables et épargnent les différents responsables de la crise, face à cette dette détenue par les marchés financiers qui détruit l’Etat social et spolie les populations, nous devons réagir. Il nous faut auditer les comptes publics des Etats pour décider si les peuples doivent ou non continuer à payer une dette en grande partie illégitime car consécutive d’une politique ayant favorisé une infime minorité au détriment de la majorité des citoyen-ne-s.

L’objectif d’un audit, réalisé sous contrôle citoyen, est d’aboutir à une annulation de la partie illégitime ou odieuse et illégale de la dette publique et d’en réduire fortement le reste.

Progressivement, l’exigence de la réalisation d’audits gagne du terrain en Europe. En 2011, un collectif national pour un audit citoyen de la dette publique s’est mis en place en France (www.audit-citoyen.org). Cette initiative rassemble de nombreux mouvements sociaux et politiques, et l’appel à sa constitution a été signé par des dizaines de milliers de personnes. Dans plus de la moitié des départements français, des collectifs locaux se sont créés. Le collectif pour un audit citoyen de la dette publique réfute le discours sur la nécessite de « rembourser la dette » et de « rassurer les marchés financiers ». Il remet en cause la culpabilisation de la population qui aurait « trop dépensé » alors que les dépenses sociales n’ont pas augmenté depuis des décennies et que c’est la baisse des recettes (consécutive des cadeaux fiscaux aux riches et aux grandes entreprises et des sauvetages des banques) qui a creusé les déficits publics.

Le collectif entend impulser un large débat démocratique sur la façon dont sont gérés les fonds publics. De la sorte, il incarne la volonté des citoyen-ne-s d’exercer un contrôle démocratique sur les affaires publiques et donc communes[[D. Millet et E. Toussaint, « L’audit citoyen de la dette : comment et pourquoi ? » , 30 décembre 2011. En Grèce, en Irlande, en Espagne, au Portugal, en Italie et en Belgique des initiatives pour la mise en place d’audits citoyens progressent également. L’annulation des dettes illégitimes, odieuses et illégales et la réduction de l’endettement public est un premier pas pour sortir par le haut de la crise. De nombreuses mesures complémentaires sont indispensables pour avancer vers un monde socialement et écologiquement juste : arrêt des plans d’austérité, réforme fiscale redistributive, transfert du secteur de la finance dans le domaine public, resocialisation des secteurs clés, réduction du temps de travail avec maintien des revenus et embauche compensatoire, etc.

Seules des mobilisations citoyennes fortes et radicales dans la rue permettront de changer le rapport de forces et dès lors, de rendre tous ces changements possibles.

Par Christine Vanden Daelen du CADTM le 27/02/2012

Transmis par Linsay



[1Commission européenne, « Document de travail des services de la Commission, Résumé de l’analyse d’impact accompagnant le document Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement », 20 juillet 2011.

[2Entre Juin 2007 (début de la crise des subprimes) et septembre 2008 (faillite de Lehman Brothers), les prêts des banques d’Europe occidentale à la Grèce ont augmenté de 33% passant de 120 à 160 milliards d’euros. Voir E. Toussaint, « Dans l’œil du cyclone. La crise de la dette de l’Union européenne », octobre 2011,

[3Ce mécanisme est toujours d’actualité : le 21 décembre 2011, la BCE a accordé le plus gros prêt de son histoire aux banques. Au total, 523 banques lui ont emprunté près de 500 milliards d’euros pour 3 ans à un taux voisin de 1%. Tout laisse présager que cet argent va être replacé sur les marchés à des taux élevés dans une logique purement financière. Il servira ni à desserrer le crédit ni à financer le secteur productif mais seulement à permettre aux banques d’engranger encore plus de profits.

[4En octobre 2009, la Grèce a émis des titres du Trésor à 3 mois avec un rendement très bas : 0,35%. Le gouvernement grec cherchait alors à réunir la somme de 1,5 milliard d’euros. Les banquiers et autres zinzins (investisseurs institutionnels ) ont proposé plus de 7 milliards, soit près de 5 fois cette somme. Finalement, le gouvernement a décidé d’emprunter 2,4 milliards d’euros.

[5Elles détiennent plus de 80% de la dette totale d’un ensemble de pays européens en difficulté comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne et les pays de l’Est européen. Cf. E. Toussaint, Op. Cit.

[6En mai 2011, les taux grecs à dix dépassaient 16,5%, ce qui a obligé ce pays à n’emprunter qu’à trois ou six mois, ou à s’en remettre au FMI et aux autres gouvernements européens. Cf. D. Millet et E. Toussaint, Op. Cit.

[7Les plans d’ajustement structurel furent synonymes : de réduction drastique des budgets sociaux, de privatisations massives, de la libéralisation absolue de l’économie, d’ouverture des marchés favorisant les multinationales au détriment des producteurs locaux…



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