L’estaca

dimanche 8 janvier 2012
par  Charles Hoareau
popularité : 4%

En ce temps là l’Espagne était sous le joug de la dictature franquiste. Personne ne devait sortir du rang. La moindre déclaration publique, le moindre texte écrit pouvait vous envoyer en prison. Dans les maisons quand on évoquait le dictateur on parlait à voix basse. C’était le règne de la censure. Dans leurs chansons les artistes pouvaient parler de fleurs, de papillons, de forêts mais pas de liberté ou de justice. Le Caudillo [1] n’avait il pas déclaré lors de la guerre civile qu’il était prêt à faire fusiller la moitié de l’Espagne pour arriver au pouvoir et montré qu’il en était capable ?

Pour exister, les femmes et les hommes libres, de l’ouvrier à l’artiste, devaient faire preuve de courage, mais aussi d’intelligence et de ruse face au pouvoir. C’est dans ces années là que Luis Llach, composa sa chanson l’estaca, le pieu.
Le pieu auquel on attache les chèvres.

La censure n’y vit pas malice et laissa passer la chanson où en fait le pieu désignait la dictature. Le peuple, en particulier celui de la Catalogne natale du chanteur ne s’y trompa pas, dès qu’il l’entendit, il comprit ce que désignait le pieu. Il montra à cette occasion que souvent l’intelligence n’est pas du côté de ceux qui gouvernent, mais de celles et ceux, de la femme de ménage à l’ouvrier des chantiers navals, qui dans leur vie sentent tous les jours le poids de l’oppression.
La chanson devint un symbole de la résistance à la tyrannie que l’on apprenait par cœur et que l’on se chantait à l’oreille.

Un soir Luis devait chanter dans l’une des plus grandes et plus prestigieuses salles du pays. La salle était comble deux heures avant le concert et l’atmosphère était pesante dans cette foule qui avait bravé le regard et le jugement des suppôts du régime pour venir écouter le chanteur rebelle et sa chanson d’appel à la lutte.

Quand Luis arriva sur scène, l’émotion était à son comble. Il prit la parole en disant « J’ai dans ma poche un arrêté qui m’interdit de chanter l’estaca. (Hurlements de colère dans la salle) Mais puisque vous chantez mieux que moi, et que vous n’avez pas reçu cette mise en garde je vais vous accompagner à la guitare. Les prisons de notre Pays ne pourront jamais nous enfermer tous ».

Aux premières notes de guitare, devant Lluis muet, la foule entonna en une immense clameur portée par 3000 poitrines gonflées d’espoir et de détermination et 3000 paires d’yeux embués, la chanson interdite …

Dans les jours qui suivirent, à chaque concert, la même scène se reproduisit. Parfois Luis était au garde à vous devant le public, parfois appuyé sur sa guitare. A chaque fois le peuple chantait.
Dans les rues, dans les cafés, partout la chanson était chantée.
Luis Llach devenait une figure de la contestation et sa chanson un caillou de plus en plus gros dans la chaussure des généraux qui ne pouvaient endiguer le phénomène.
Luis avait eu raison, le pouvoir ne pouvait pas mettre en prison le peuple tout entier.

4 ans plus tard dans le Portugal voisin la révolution des œillets renversait le dictateur Caetano.
L’année d’après Franco mourait et la dictature avec lui.

Le pieu était tombé.

40 ans plus tard les indignados des places espagnoles sont les dignes enfants des chanteurs de l’estaca d’hier.
En Tunisie en Grèce et ailleurs, des peuples tirent fort sur le pieu qui les enchaîne.

Ici en France, où notre pieu à nous est une monarchie élective et la dictature des marchés, devant ce système en crise qui craque de toutes parts, il est temps de reprendre la chanson du vieux Siset :

« Si nous tirons tous, il tombera
Et ça ne peut plus durer longtemps
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera !
Il est déjà tout vermoulu
Si tu le tires fort par ici
Et moi je le tire fort par là
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera
Et nous pourrons nous libérer. »

En 2012 tirons ensemble l’estaca à chaque rendez vous que la vie nous donne !

Premier rendez vous à celles et ceux qui le peuvent,

Vendredi 13 pour les vœux de Rouge Vif.

La vidéo de Luis chantant l’estaca en 1985

Le pieu

Le grand-père Siset en parlait
De bon matin au portail
Tandis qu’attendant le soleil
Nous regardions passer les charrettes
Siset ne vois-tu pas le pieu
Où nous sommes tous attachés ?
Si nous ne nous détachons pas
Jamais nous ne pourrons marcher !

Refrain :
Si nous tirons tous, il tombera
Et il ne peut plus tenir très longtemps
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera !
Il est déjà tout vermoulu
Si tu le tires fort par ici
Et moi je le tire fort par là
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera
Et nous pourrons nous libérer.

Mais Siset ça fait déjà longtemps
Que les mains sont en train de s’écorcher !
Et quand la force m’abandonne
Il semble plus large et plus grand qu’avant.
Bien sur je sais qu’il est pourri
Pourtant Siset il pèse tant
Que parfois la force me manque
Alors chante moi encore ta chanson

Si nous tirons tous, il tombera
Et ça ne peut plus durer longtemps
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera !
Il est déjà tout vermoulu
Si tu le tires fort par ici
Et moi je le tire fort par là
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera
Et nous pourrons nous libérer.

Le vieux Siset ne dit plus rien
Un mauvais vent l’a emporté
Qui sait où il est passé ?
Et je reste seul au portail
Et quand passent des jeunes
Je lève la tête pour chanter
Le dernier chant de Siset
Le dernier qu’il m’ait appris...

Si nous tirons tous, il tombera
Et ça ne peut plus durer longtemps
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera !
Il est déjà tout vermoulu
Si tu le tires fort par ici
Et moi je le tire fort par là
C’est sur qu’il tombera, tombera, tombera
Et nous pourrons nous libérer.


D’après un envoi d’Alain Chancogne qui assista au concert au Liceo, une salle populaire de Barcelone.


[1nom donné à Franco



Documents joints

Invitation aux voeux de Rouge Vif

Commentaires

jeudi 12 janvier 2012 à 15h30
dimanche 8 janvier 2012 à 19h36

magnifique.. ;merci Charles je fais suivre partout