Samira Ibrahim, femme courageuse

mercredi 14 décembre 2011
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Arrêtée lors d’une manifestation en mars dernier, molestée et condamnée à subir un humiliant test de virginité, cette jeune militante a porté plainte contre le Conseil suprême des forces armées. Avec l’appui de son père, mais sans celui des partis d’opposition (aucun ?)...pour l’instant.

N’importe quelle autre jeune femme se serait cloîtrée chez elle de honte et n’aurait plus osé se montrer dans la rue après une telle humiliation : un test de virginité infligé par des hommes de la police militaire. Or Samira Ibrahim a décidé de ne pas se laisser faire et a porté plainte contre le Conseil suprême des forces armées (CSFA) [1]. « Je ne renoncerai pas à mes droits », dit-elle fermement quand nous la rencontrons.

Son histoire commence le 9 mars lors d’une manifestation sur la place Tahrir pour demander que le président déchu, Hosni Moubarak, ainsi que d’autres hauts personnages de l’ancien régime soient transférés devant la justice. Cette manifestation avait été dispersée par l’intervention musclée des forces de l’ordre [2]. Selon Samira, certains participants, dont elle-même, ont été emmenés vers le Musée égyptien, qui se situe à côté de la célèbre place, où ils ont subi des tortures – notamment celle des décharges électriques.

Ensuite, selon le témoignage de Samira, enrégistré sur vidéo par Human Rights Watch, « ils nous ont mis dans un grand fourgon avec un groupe de filles portant des abayas noires [3]. Les officiers nous ont insultées et nous ont mis des cocktails Molotov entre les mains, pour nous prendre en photo et pouvoir dire ensuite que nous faisions partie d’un groupe de voyous et de proxénètes. »

Dans la prison, elle a été surprise de constater que la photo de l’ancien président était toujours accrochée au mur, un officier leur lançant : « Et alors, on lui est fidèle, nous ! » Ensuite, « une femme nous a demandé de nous déshabiller, alors que la porte n’était même pas fermée, ni les rideaux tirés. Quand on a refusé, des soldats sont arrivés et l’un d’eux a commencé à nous frapper. » Et de poursuivre : « Nous avons été forcées de nous déshabiller, pendant que des militaires étaient là à nous regarder et à se moquer de nous. J’avais envie de mourir. Ils nous ont séparées en deux groupes, et mises dans deux cellules. Ensuite, il a fallu se déshabiller entièrement et il y a eu le test, puis la remarque : ’T’es encore une jeune fille.’ »

Samira a écopé d’un an de prison avec sursis pour s’être révoltée contre un officier, avoir dégradé des biens publics et avoir incendié des voitures.

C’est pendant son passage de quatre jours en prison, du 9 au 13 mars, qu’elle a eu l’idée de porter plainte contre le CSFA, afin de défendre sa dignité. « J’en ai parlé à mon père, qui est un vieil opposant et je suis fière qu’il m’ait soutenue et même encouragée », explique-t-elle. En revanche, les partis d’opposition sur lesquels elle avait compté l’ont « trahie » : « Ils n’ont pas voulu de problèmes avec les militaires. » Dès la plainte déposée, elle a commencé à recevoir des appels menaçants, avec numéro masqué. D’autres l’ont invitée à se taire « afin de ne pas nuire à l’autorité de l’Etat » ou ont mis en doute son patriotisme. Elle a également perdu son emploi, alors qu’elle affirme y avoir été bien notée avant cette affaire.

Samira a commencé à militer de bonne heure : elle a été arrêtée pour s’être exprimée au sujet d’Israël et des armées arabes et a également participé aux événements de la ville de Mahalla Al-Koubra. [4] Les élections en cours ? Elle les a boycottées, puisqu’elles se déroulent « en dehors de toute légitimité ». Selon elle, c’est l’armée qui a provoqué les récents affrontements autour de la place Tahrir [5]. « L’armée voulait que l’opposition se divise entre les uns qui descendent dans la rue au risque de leur vie et les Frères musulmans qui ont refusé de participer à la manifestation. C’est pour user les forces révolutionnaires », selon son analyse.

Et que pense-t-elle des résultats [6] ? « On a chassé un parti unique et en on a maintenant droit à un autre, qui lui aussi achète des voix. » Elle participe désormais à des campagnes pour dire à l’homme de la rue que la révolution lui a été volée – souvent les personnes lui réservent un bon accueil.

La décision concernant sa plainte contre le CSFA doit être prise le 27 décembre. Assistée par de nombreuses organisations de la société civile, elle s’attend à ce que le juge se déclare incompétent : « S’il était vraiment indépendant du pouvoir, il prononcerait un jugement en ma faveur. En même temps, ce ne sera pas facile de me condamner. » Quoi qu’il advienne, elle promet de ne pas lâcher l’affaire : « Si le Conseil d’Etat se déclare incompétent pour cette affaire, je trouverai d’autres voies juridiques. Je ne veux pas qu’on sacrifie un ou deux lampistes de l’armée, comme cela a été le cas dans le procès concernant le décès de manifestants. Je veux qu’on enquête au niveau de ceux qui ont donné l’ordre de prendre d’assaut la manifestation du 9 mars, et de ce qui s’est ensuivi. »

Par Alya Hamid source Al-Shourouk le 13/12/2011

Transmis par Linsay


[1qui exerce le pouvoir exécutif en Egypte depuis la chute de Moubarak en février

[2en fait, il s’agissait du premier signe d’un divorce de plus en plus prononcé entre les autorités intérimaires et les insurgés qui avaient été à l’origine de la chute de l’ancien régime

[3capes couvrant tout le corps

[4En 2008, de grandes grèves dans l’industrie avaient donné une première indication de la contestation croissante dans la population.

[5ayant fait plus de 40 morts, essentiellement par asphyxie après inhalation de fortes doses de gaz lacrymogène mais aussi par tirs à balles de caoutchouc, voire à balles réelles

[6partiels, les législatives ne s’achevant que début janvier



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