“Rentrez en Israël !”, mais quel Israël ?

samedi 10 décembre 2011
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Une campagne de publicité gouvernementale prônant le retour en Israël a été annulée après le tollé qu’elle a provoquée auprès des juifs américains. Pour l’éditorialiste Roger Cohen, Benyamin Netanyahou a des susceptibilités plus cruciales à ménager...Un démonstration du fait que la politique de l’état d’Israël, provoque des fissures dans son propre camp.

Quand des actions israéliennes semblent scandaleuses ou insultantes, le premier ministre Benyamin Netanyahou est capable d’agir avec diligence pour réparer les pots cassés - à condition que les personnes offensées soient des Juifs américains.

Telle est la leçon qu’on peut tirer du tollé suscité par une campagne de pub israélienne tuée dans l’oeuf : conçue pour pousser les expatriés de l’Etat hébreu aux Etats-Unis à rentrer au pays, elle tentait de leur faire honte en laissant entendre que l’Amérique n’est pas un pays de résidence pour de vrais juifs et que vivre dans la diaspora conduit inéluctablement à la perte de l’identité juive. Les Fédérations Juives d’Amérique du Nord ont jugé cette campagne « outrancière et insultante ».

De mauvais goût, pourrait-on dire surtout. L’un des spots, mielleux à souhait, montrait un petit Israélien qui, gavé d’Amérique, finissait par [appeler son père] « Daddy » au lieu d’« Abba ». La campagne, cela n’étonnera personne, avait été conçue dans un ministère dirigé par un ultranationaliste issu du parti d’Avigdor Lieberman, le ministre des Affaires étrangères. On ne s’étonnera pas non plus qu’à peine la polémique enclenchée, Netanyahou s’est empressé de suspendre les publicités. « Nous sommes très attentifs à la sensibilité de la communauté juive américaine », a justifié son porte-parole Mark Regev.

C’est incontestable : car la seule véritable menace contre l’existence d’Israël serait bien que le pays perde du soutien des Etats-Unis - ce qui n’arrivera jamais, mais enfin...

Cette petite saga m’évoque plusieurs réactions. Tout d’abord, je connais plusieurs Israéliens expatriés ou candidats à l’expatriation, et leur état d’esprit est assez uniforme. Ils sont dérangés par la dérive autoritaire de la politique israélienne, l’essor d’un nationalisme intransigeant, l’influence croissante des ultra-religieux, une « situation » visiblement vouée à ne jamais évoluer, et les tensions inhérentes à ce statu quo qui finiront un jour par mettre en péril la judéité d’Israël ou sa vocation démocratique.

S’ils sont partis ou cherchent à le faire, c’est parce qu’ils refusent tout cela, et qu’ils ne croient plus que des changements significatifs puissent intervenir. La campagne publicitaire joue sur la fibre patriotique israélienne, mais ce n’est pas de patriotisme que manquent les expatriés : ce qu’ils n’ont pas, c’est l’espoir de voir Israël préservée et la solution à deux Etats concrétisée.

Ma deuxième réaction est de penser qu’Israël serait en meilleure posture et moins isolée aujourd’hui si Netanyahou faisait preuve dans d’autres situations ne serait-ce que du quart de l’empressement qu’il manifeste aux juifs américains offensés : quand les Turcs sont offensés (par la mort de plusieurs de leurs ressortissants [à bord de bateaux de la flottille pour Gaza] dans les eaux internationales), quand Barack Obama est offensé (par la poursuite de l’expansion des colonies en Cisjordanie, contrairement à sa demande expresse), ou quand les égyptiens sont offensés (parce qu’Israël balaie d’un revers de la main leurs aspirations démocratiques).

C’est le sens des propos du ministre de la Défense [américain] Leon Panetta quand il invite l’Etat hébreu à « tendre la main et se réconcilier » avec la Turquie et l’Egypte et à s’engager dans « une diplomatie vigoureuse » plutôt que de mener des politiques qui se traduisent par « l’isolement croissant d’Israël par rapport à ses partenaires traditionnels dans le domaine de la sécurité ». Comme Panetta l’a dit, Israël doit « s’asseoir à cette foutue table de négociations » avec les Palestiniens. Cela ne dépend bien sûr pas uniquement des Israéliens, mais il est certain que cela ne se produira pas non plus tant que persiste cette attitude despotique dont le gouvernement Netanyahou a fait sa marque de fabrique.

L’ancien Moyen-Orient qui se caractérisait par de confortables relations d’armée à armée entre Israël et des pays comme la Turquie et l’Egypte appartient au passé. Un nouveau Moyen-Orient, où Israël doit traiter de peuple à peuple, est en train de naître. Une démocratie devrait y voir un phénomène encourageant : les peuples qui ont la main sur leur sort, y compris les Arabes, sont généralement plus soucieux d’améliorer ce sort que de chercher le conflit. L’essor de partis musulmans opposés au despotisme et qui s’efforcent dans la douleur de s’adapter à la modernité invite certes à la prudence, mais certainement pas à ce mépris manipulateur qu’affichent les Israéliens.

Troisième réflexion de ma part, les Fédérations Juives d’Amérique du Nord font très bien de trouver cette campagne insultante, mais j’apprécierais également qu’elles gardent un peu de leur indignation pour les manifestations plus violentes de l’insensibilité ou de l’arrogance israélienne (comme souvent à l’égard des Palestiniens de Cisjordanie).

Jonathan Freedland, éditorialiste au Guardian, s’est rendu récemment à Hébron et en a tiré un article intitulé « This is Israel ? Not the One I Love » [C’est ça, Israël ? Pas celle que j’aime], publié à Londres dans le Jewish Chronicle. Sur Hébron, il écrit : « Une carte indique en violet les routes interdites aux véhicules palestiniens, en jaune celles où sont interdits les commerces palestiniens, et en rouge celles que les Palestiniens n’ont pas même le droit d’emprunter à pied. »

« J’observe un vieil homme, un sac de ciment sur le dos, poursuit Jonathan Freedland, montant un escalier de contournement abrupt au motif que ses pieds sont interdits sur cette route, à partir de cet endroit. Ceux qui ont la malchance de vivre sur une route rouge ont vu leur porte d’entrée condamnée : ils ne peuvent quitter leur propre domicile que par une porte à l’arrière et doivent s’en extraire par une échelle. Tout a rendu le quotidien ici si pénible qu’on estime que ce quartier central d’Hébron a vu partir 42 % des familles qui y vivaient auparavant. »

Les Israéliens déambulent dans des rues couvertes d’odieux graffitis anti-arabes et bordées de magasins arabes aux stores baissés maculés d’étoiles de David : « Voir ce symbole tant aimé servir à cracher au visage d’une population chassée de chez elle est proprement glaçant, » déplore Freedland.

Tel est le résultat d’un insoutenable statu quo qui passe par la domination dévastatrice d’un peuple sur un autre.

J’ai pour ma part une idée de campagne de pub qui ferait un malheur : une photo d’un Netanyahou souriant, serrant la main du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, sous le slogan « Rentrez dans un pays en paix. »

Pardonnez-moi de rêver.

Par Roger Cohen source The New York Times le 08/12/2011

Transmis par Linsay



Documents joints

Extrait de la pub du scandale

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