La révolte des esclaves de Buenos Aires.

samedi 8 juillet 2006
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Ils sont boliviens et travaillent dans des ateliers de confection sordides de la capitale argentine.
Malgré la peur et les pressions, une association leur vient en aide et recueille leurs témoignages.

Buenos Aires.

De l’extérieur, ces immeubles ressemblent à n’importe quels autres de la capitale argentine.

Mais, à l’intérieur, ce sont des prisons pour Boliviens sans-papiers, contraints de travailler dix-huit heures par jour, du lundi au samedi, dans de déplorables conditions sanitaires.

Ils dorment avec leurs enfants, entassés les uns sur les autres comme du bétail.

Théoriquement, ces ouvriers sont rémunérés 400 pesos par mois (environ 100 euros). Mais, en pratique, ils n’en voient jamais la couleur, leurs généreux patrons leur promettant de les payer « lorsque tu voudras rentrer dans ton pays ou aller ailleurs ».

Quand l’un de ces travailleurs vient réclamer les salaires qu’il n’a pas perçus depuis plusieurs années, il est généralement roué de coups et jeté à la rue avec sa famille.

« Tu n’as qu’à aller te plaindre, tu es sans-papiers, tu seras expulsé », les menacent sans aucun scrupule les patrons.

Ce mensonge permet aux exploiteurs, de les tenir en captivité.

L’existence d’au moins quarante ateliers de confection, installés sur quinze pâtés de maisons du quartier de Parque Avellanneda, est connue des autorités. Chacun y emploie de quinze à trente personnes attirées dans le pays par des rabatteurs qui recrutent à la frontière argentino- bolivienne.

Et pas question pour ces boliviens de faire appel à la police : plusieurs d’entre eux racontent que des agents de police passent régulièrement à l’atelier pour toucher leurs 400 pesos de commission.

Le bureau de défense du peuple de Buenos Aires (institution indépendante rattachée au Parlement) s’est mobilisé pour que ces « semis-esclaves » puissent obtenir un « certificat de pauvreté ». Un précieux sésame, qui leur permettrait de demander les documents de résidence à un prix réduit.

En effet, les 500 pesos actuellement exigés pour entamer la procédure représentent une véritable fortune pour ces ouvriers.

Les avocats du Bureau de défense du peuple reçoivent et conseillent les sans-papiers au siège de la cantine communautaire de La Alameda où beaucoup d’entre eux se retrouvent, assaillis par la faim et obnubilés par leur douloureuse histoire.

Mais peu à peu, ces travailleurs ont commencé à s’organiser pour exiger des autorités qu’elles fassent simplement respecter le droit du travail argentin.

Leur histoire commence souvent par une petite annonce radiophonique. Les offres d’emploi sont récurrentes sur les ondes de plusieurs radios de La Paz, la capitale bolivienne.

« En Bolivie, il y a la faim, mais pas de travail », racontent ceux qui ont cru à la promesse d’un emploi bien payé dans le textile en Argentine.

Ne pas avoir de visa n’est jamais considéré comme un obstacle. Le patron les amène en bus par dizaines et ils franchissent la frontière comme si le rêve de Simon Bolivar (le héros de l’indépendance face à l’Espagne, qui souhaitait une Amérique latine sans frontières) était devenu réalité.

Ils sont ensuite conduits et installés à Buenos Aires dans un atelier de confection dernier cri.

Ils sont mis au travail sans attendre.

La nourriture est exécrable et leurs enfants doivent être enfermés dans la pièce, « parce que les patrons n’aiment pas voir les petits dans la cour », témoignent ceux d’entre eux qui ont pu en sortir.

Plusieurs acceptent de témoigner à la cantine de La Alameda. L’association La Alameda a été créée le 20 décembre 2001, au début de la terrible crise économique qui a frappé l’Argentine.

Elle s’est d’abord donné pour but de nourrir les pauvres du quartier. Puis, grâce aux récits des premiers témoins boliviens, elle s’est intéressée aux souffrances de centaines d’autres.

Quand aux ouvriers sans-papiers, ils refusent qu’on les prenne en photo et choisissent un pseudonyme pour raconter leur histoire. « Sinon je suis foutue », explique Marta dans un demi-sourire. « Ils m’ont fait venir de Bolivie. J’avais entendu à la radio qu’ils cherchaient des jeunes sachant coudre », raconte-t-elle.

« TU NE SERS A RIEN QUAND TU ES MALADE ».

Marta vivait en couple depuis peu, elle avait dix-sept ans et aucune perspective de travail à La Paz. Elle et son compagnon ont décidé de partir.

Watas, le patron, leur offrait le passage de la frontière, un toit, le couvert et un bon salaire.

Elle a travaillé pour lui pendant six ans.

« En fait, il gardait tout mon salaire. Il disait que sinon , je le perdrais ou qu’on me le volerait. »Quand tu t’en iras,je te donnerai tout ce que je te dois« , promettait-il ».

Quelque temps après, Marta s’est retrouvée enceinte. « Le patron s’est mis à me haïr. Il disait : »Tu ne me sers à rien quand tu es malade. Tu n’es déja plus aussi productive".

Mais les problèmes ont commencé quand Marta et son compagnon, épuisés par tant d’animosité, ont décidé de plier bagage.

Leur employeur leur devait 2 000 pesos convertibles (avant la crise de 2001-2002, 1 peso valait 1 dollar).

Pour récupérer cette somme considérable, il a fallu l’intervention du consulat de Bolivie. L’affaire a traîné, Marta a fini par toucher 2 000 pesos dévalués, soit quatre fois moins que ce qui devait lui revenir. Elle fabrique aujourd’hui avec trois autre personnes des vêtements pour La Salada, un immense marché de contrefaçons au bord du Riachuelo -la rivière nauséabonde qui marque la limite sud de Buenos Aires).

Elle craint encore les représailles des hommes de main de son ancien patron.

Claudia, elle, est arrivée avec son mari et leurs trois enfants de 6, 8 et 10 ans. « Parler nuit », disait l’affiche placardée au mur contre lequel les machines tournaient sans interruption de 8 heures à minuit.

Ils vivaient tous dans une petite pièce « où il y avait des goutières », se souvient-t-elle. Sur place, on leur passait à toute heure et à plein volume des airs de cumbia bolivienne « pour que nous ne puissions pas parler entre nous ».

Claudia a finalement abandonné son travail. Son mari continue, mais souffre de hernies parce qu’il travaille dans ces conditions depuis l’adolescence.

Eduarda fond en larmes lorsqu’elle raconte son calvaire personnel.
Son mari est arrivé en Argentine il y a deux ans, sans savoir qu’il allait être réduit en esclavage de cette façon. Elle était restée en Bolivie. Au bout de quelques mois, son mari a eu un accident du travail et s’est fait renvoyer. L’accident du mari était dû à l’alcool.
Une fois au chômage, il a sombré. « Il m’a appelé, complètement ivre, et m’a dit : » Je meurs de faim, à l’atelier ils m’ont confisqué mon porte-feuille, avec tous mes papiers boliviens", raconte-t-elle.

Elle décide alors de partir pour Buenos Aires avec son fils de 9 ans afin de le retrouver, sans savoir où le chercher.« Dans les ateliers, personne ne savait où il était ».

C’est sur une place que son fils l’a repéré, sale, pieds-nus. Ils sont restés trois mois dans la rue, « sans manger », raconte Eduarda, une casquette du club de foot de Boca vissée sur la tête, le visage vieilli par la misère.
Son mari a finalement retrouvé un emploi dans un atelier ou il touche 300 pesos.

Il leur en faut 100 pour payer leur pension sordide, « sombre, sans lumière, sans eau ni toilettes ». Les 200 pesos qui restent sont envoyés à la famille en Bolivie.

Gustavo Vera, le président de la Alameda, affirme que son organisation va entamer « une action en justice pour que les machines soient confisquées et confiées aux travailleurs. Pour compenser les économies sur le travail qu’ont faites les patrons en ne payant pas les charges sociales ».

Pour Gustavo Vera, « les employés doivent s’organiser en coopérative, ceux qui y travaillent comme ceux qui y ont travaillé ». C’est le système adopté par l’atelier de confection installé au siège de La Alameda.

« La convention collective prévoit huit heures de travail et un salaire de 1 000 pesos, et nous la respectons », précise-t-il, avec le document en main.

Et c’est ce papier officiel qu’il donne à tous les ouvriers qui viennent ici s’informer.

Art de « Sebastian Ochoa », dans « Le courrier international », transmis par Linsay.



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