Quand les « nervis en col blanc »* récidivent…

mardi 19 juillet 2011
par  Charles Hoareau
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De fusions en rachats, d’externalisations en transformations en produits financiers, d’Alcatel à Nextira One, les méthodes des « nervis en col blanc » contre les salarié-e-s et plus particulièrement la CGT, n’ont pas tellement changé…Ou justement c’est pour pouvoir mieux poursuivre en toute tranquillité dans sa logique financière qui pénalise l’emploi, que la direction s’en prend aujourd’hui à nouveau à deux élus CGT

Au départ il y a le géant ALCATEL qui œuvre dans la téléphonie, et ses filiales qui se font et se défont au gré des marchés financiers. Ainsi Paul MICHEL, jeune marseillais, embauché en CDD en 1977 par la maison mère est ensuite « basculé » en CDI sur Ferrer Auran.

En 1980 il participe à la première grève de défense de la sécurité sociale. Mal lui en prend : la sanction est immédiate : déplacements pendant un an au Tricastin, Sète et Sarrebourg…

Loin de le faire taire ça le conforte dans son combat et il devient élu CGT. La boite elle évolue, Ferrer Auran devient Thomson CSF, puis Alsthom/ Alcatel, puis Opus Alcatel, puis ARE qui cède une partie des salarié-e-s à Marine Consulting, puis Nextira One réseau Sud, puis Nextira One…le Monopoly de la téléphonie en quelque sorte.

Evidemment ses évolutions sont accompagnées de ce que les directions successives nomment pudiquement des plans sociaux et qui sont en fait des plans de licenciements auxquels les salarié-e-s et la CGT ripostent.

Les plans « sociaux » et les ripostes

-  1981/82 Ferrer-Auran :
2 plans visant à supprimer le service électrique
Occupation de locaux Ferrer-Auran contre la fermeture du service électrique et l’Atelier entrainant les licenciements de 180 personnes. Assignation de la direction au TGI de Marseille pour « entrave au travail »

-  1996 Alcatel Fusion des réseaux Alcatel
_ 600 Suppressions d’emploi. Occupation jour et nuit en plein mois de juillet des locaux Alcatel à Aubagne

-  1998 Dossier Marine
_ 600 personnes transférées illégalement
Occupation des locaux de l’agence de Marseille. Finalement la cour de cassation jugera ce transfert illégal et l’entreprise sera condamnée à verser 1 million d’euros à 640 salarié-e-s. Ce sera sa 3e condamnation pour une externalisation qui est en fait un moyen de licencier à moindres frais…

-  1999 Deuxième « transfert »
300 personnes
Nouvelle occupation des locaux Bd de Paris pendant 2 semaines.

-  2004 – Plan « social au noir », par des départs massifs sous forme de licenciements sur le la base de pseudo fautes : condamnation de Nextira One par le TGI de Lyon

-  2005 – Plan social Nextira One : 325 personnes concernées. Suite aux actions engagées devant les tribunaux, la direction a été contrainte de suspendre la procédure.

Et cela sans parler de toutes les actions menées à l’appel de la CGT pour les salaires, pour le refus des augmentations individuelles ou la dégradation des conditions de travail.

Une CGT qu’il faut faire taire à tous prix…

Dans ce contexte de bras de fer permanent qui dure depuis des décennies, les directions successives…au service des mêmes actionnaires ou de leurs cousins, en viennent à la conclusion qu’il faut faire taire cette empêcheuse de licencier en rond qu’est la CGT quelque soit le prix à payer et la légalité de la méthode. Leur volonté est d’autant plus farouche que malgré tous leurs efforts la CGT demeure première organisation syndicale et même se renforce. [1]

Pourtant la direction tente tous les moyens pour arriver à ses fins. Elle utilise ses plans de licenciements pour essayer de faire passer dans les charrettes qui se suivent un maximum de militants CGT. Comme le raconte déjà en 2004 Paul MICHEL « avant de céder cette filiale à l’Américain Nextira One en avril 2002, Alcatel a procédé à une réduction massive des effectifs, ramenés de 4 100 à 2 400 salariés en France. On a connu trois plans sociaux en 1996, 1997, 1998, puis un plan de départs « volontaires » en 2001. Chaque fois, systématiquement, la direction essayait de mettre le plus possible de délégués CGT dans la charrette. Les licenciements ont touché 9 % des salariés, mais 70 % des élus CGT ! Ils ont tous été refusés par l’inspection du travail, qui a établi le lien entre le licenciement et le mandat. » [2]. La riposte encore…

Quand les plans de licenciements collectifs ne suffisent on s’en prend individuellement à des délégués à qui on trouve des fautes. En tout ce n’est pas moins de 7 fois que l’entreprise sera condamnée pour discrimination syndicale envers des élus CGT !! Le cas le plus emblématique est sans doute celui de JP Ottaviani, délégué CGT, licencié pour « faute » et qui vient d’être réintégré en mai 2011 après 10 ans de procédure !!

Quand on dit à tous prix, c’est vraiment à tous prix. La CGT de l’entreprise avait révélé dans l’Humanité du 14 janvier 2004 l’existence « d’une " proposition d’intervention " rédigée pour leur direction régionale par le cabinet Alpway Conseil Ressources humaines. L’auteur du devis, le " consultant senior " Philippe Lecat, " résume ainsi la demande de Nextira One : la normalisation des relations avec les élus du personnel. " Il précise que " la réalisation de cet objectif s’illustrerait par une baisse des contentieux, une atmosphère plus détendue pendant les CE, et à court terme une désaffection de l’électorat CGT aux prochaines élections." Il s’engage à tout faire pour "Dénoncer la vacuité des actions de la CGT pour faire diminuer l’audience de la CGT ". »

Pour ce faire, il propose onze jours d’intervention au tarif de 1 250 euros HT la journée [pour étudier dans un premier temps] " le comportement de la CGT, l’impact de ce comportement sur la direction et le personnel ". »

Evidemment la CGT ne s’est pas laissée faire et l’entreprise, ainsi que le directeur de l’époque et son consultant, ont été condamnés, le 2 septembre 2008, par un arrêt très étayé de la cour de cassation précisant entre autres « le chef d’entreprise et ses représentants ne doivent employer aucun moyen de pression en faveur ou à l’encontre d’une organisation syndicale quelconque »

…Pour pouvoir empêcher la lutte

Ces derniers mois les motifs de bataille de la CGT ne manquent pas. Citons pêle-mêle :

-  Action des salariés qui refusent d’être « repositionnés » a l’accueil téléphonique dénommé « welcome ». L’objet de cette crainte ? les salariés de ce service avaient auparavant fait l’objet d’externalisation
-  Action juridique et condamnation de Nextira One pour l’obliger à traduire ses logiciels en français
-  Action sur la question de l’amiante après le décès d’un salarié de Toulon et la reconnaissance de deux autres cas par le TAS [3] de Clermont Ferrand. Bien entendu la direction fait obstacle dans ce dossier sur l’action du CHSCT.
-  Procédure de droit d’alerte du CCE sur la situation financière de l’entreprise suite aux affirmations de la direction disant qu’on était à nouveau en « situation de plan social ». Le cabinet avec lequel travaillent les élus [4] a du, (on allait dire évidemment), faire appel avec le Comité central d’entreprise, aux tribunaux pour que la direction remette tous les documents demandés. En particulier ceux sur le LBO ce que les juges ont ordonné.

Car conclusion logique du Monopoly, l’entreprise est devenue un produit financier, un de ces fameux LBO qui sont le nouveau credo des mêmes financiers qui prônent la rigueur financière pour les peuples grecs ou français mais font pour eux-mêmes du recours à l’emprunt un moyen de s’enrichir. [5] s.

Dans ce contexte d’actions soutenues et de remises en cause des choix de la direction cette dernière ne désarme pas et tente de passer en force. Le directeur des « relations sociales » (sic !) un certain M. Bigo s’en prend nommément aux élus, pratiquant l’insulte et l’anathème lors de nombres de réunions d’instances. Et les exemples ne manquent pas : menace d’agressions physiques contre un élu CGT, puis contre un élu CFDT, violences verbales qui ont servi de prétexte à une suspension générale de toutes les instances CE (sanctionnée par les inspecteurs du travail), mises en cause personnelles de tel ou tel élu…

Tout cela pour en fait contester l’existence même des élus et des instances normalement prévues pour le dialogue…social. Mais ce mot a jamais-t-il eu un sens chez ALCATEL, Nextira One et consorts ? Ainsi sont notamment visées : la suppression des comités d’établissements (la direction ira jusqu’à prétendre, avant de se rétracter, qu’une réunion CE coûte 10 000€ par jour !) et la suppression des instances DP (refusée par l’inspection du travail).

Le nouveau coup de force du 27 mai.

Le 27 mai dernier, lors d’une réunion de délégués, la direction a tenté un nouveau coup de force. Le M. Bigo en question, lors d’une discussion une nouvelle fois orageuse, essaie de créer un incident en glissant volontairement de sa chaise et en accusant deux délégués, Paul MICHEL et Francis BATTISTA, de l’avoir bousculé…Evidemment dans la foulée, la direction entame deux procédures de licenciements contre eux. La ficelle est grosse mais la direction espère obtenir l’autorisation de licenciement de ces deux salariés protégés.

La photo qui accuse

La ficelle est d’autant plus grosse que l’entreprise a un lourd passé en matière de tentative de licenciement des élus. Ainsi, pour illustrer l’article de 2004 déjà cité, l’Huma avait fait une photo de 9 élus CGT de l’époque. 7 ans après la photo parle d’elle-même pour qui sait ce qu’il est advenu des 9 élus : l’entreprise à essayé de se débarrasser de chacun d’eux !

En rouge [6] les deux délégués visés par la procédure actuelle. Une photo qui fait dire à Paul : « Jusqu’alors j’étais le dernier contre qui ils n’avaient pas tenté »....

Une nouvelle fois la CGT, de l’entreprise à l’union locale des quartiers nord de Marseille, où se trouve le siège de l’agence commerciale marseillaise (en pleine zone franche évidemment, pour un grand groupe il n’y a pas de petites économies !), ne s’est pas laissée faire : rassemblement, arrêt de travail...

L’Inspection du travail, pas dupe vient de refuser les deux licenciements. Bien sûr la direction fait appel. Nextira One devrait pourtant tirer leçon du passé et se dire qu’elle n’arrivera pas à ses fins…

On ne licencie pas une idée.


* Expression empruntée à l’article de l’Huma cité ici.
Merci à Fanny Dumayrou, auteure de ce dernier, pour ses recherches photographiques.


[1Aujourd’hui la CGT est le premier syndicat avec 34 % aux élections d’octobre 2010 où 6 organisations se présentaient. Il y a 2 collèges : le 2e collège Etam et 3e collège cadres, qui représentent respectivement 40% et 60% des effectifs. La CGT a obtenu 48% dans le 2e collège et 30% dans le 3e collège

[2L’Humanité 14 janvier 2004

[3Tribunal des Affaires Sociales

[4Curieusement, alors que la CGT a fait appel au cabinet Syndex, la direction voudrait, elle, que les élus fassent appel à SECAFI autre cabinet connu et dont elle espère peut être des conclusions moins défavorables

[5Le LBO ou leveraged buy-out, est le procédé qui consiste à l’acquisition par emprunt, d’une entreprise. L’emprunt est alors remboursé par des prélèvements sur la trésorerie de l’entreprise…avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l’investissement et l’emploi.

(schéma tiré du site collectif-lbo)

L’affaire est d’autant plus juteuse que la société acheteuse (ou holding) créée pour l’occasion, formera avec la société achetée un groupe bénéficiant en France de facilités fiscales importantes comme par exemple la possibilité de déduire de la base d’imposition les intérêts d’emprunt

[6pour une meilleure lisibilité voir en document joint



Documents joints

Un autre exemple de <span class="caps"
La photo qui accuse

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