La haute route de l’Everest (IV)

Carnet de voyage d’un naïf
dimanche 8 août 2010
par  Charles Hoareau
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Harmonie à Thame

(...)Nous montons à Thame, village situé à 3900 mètres soit, conformément à la règle d’acclimatation, 400 mètres au-dessus de Namche. On pourrait dire de Thame que c’est la capitale népalaise de la patate, puisqu’il est communément admis que c’est ici que l’on trouve les meilleures pommes de terre du Khumbu. En purée, à la poêle, en frites, bref sous toutes leurs formes on aura goûté des tubercules et effectivement nous confirmons : les patates de Thame sont délicieuses.

En montant, entre une longue caravane de yacks et une très longue passerelle qui danse elle aussi à des dizaines de mètres au-dessus d’un impressionnant torrent bouillonnant, nous sommes subjugués par une énorme peinture de plusieurs mètres de haut faite à même la roche et représentant Bouddha et Shiva. Quand on connaît les moyens techniques dont disposent les népalais on ne peut être qu’admiratifs (et interrogatifs !) devant le travail que représente une telle œuvre en pleine montagne. (...)Quelques mètres après la traversée du torrent je me retourne pour contempler le paysage.

Imaginez un peu : une gorge étroite que le soleil inonde à son entrée, là où se trouve la fresque démesurée aux couleurs vives, étincelantes sur la face rocheuse gris clair ; dans le creux de la gorge une passerelle qui enjambe le flot tumultueux et vrombissant d’écume blanche ; l’étroit sentier qui, de part et d’autre de la passerelle, remonte entre des rochers escarpés le long des parois abruptes qui dominent l’immense vallée du Nangpala ; dans ce concert de roches, de lumières et de couleurs, le ballet incessant des lilliputiens multicolores que nous sommes croisant, sous le regard protecteur du Bouddha, des yacks haletants sous des charges multiples et variées ; l’ensemble forme un tableau grandiose dont nos appareils photos dérisoires, que nous sortons d’un geste unanime, donneront un bien faible aperçu.

Peut-être est-ce dû à l’automne mais en ces premiers jours de marche, nous avons du mal à avoir un ciel dégagé. Si nous avons du soleil « en bas » au-dessous de 4000 mètres par contre des nuages à quelques rares exceptions près, nous masquent en permanence les hautes montagnes. Dans la montée vers Thame, au sortir d’une forêt surréaliste tant par sa végétation que son altitude, une trouée de nuages nous laisse enfin entrevoir longuement notre premier haut sommet depuis le vol vers Lukla. Evidemment, là aussi les appareils photos, promptement sortis, saisissent le spectacle.

La forêt que nous venons de quitter était surréaliste, comme toutes les forêts que l’on traverse régulièrement depuis notre départ de Lukla, par sa végétation. Au milieu de résineux qui ressemblent fort aux nôtres on rencontre des essences tout à fait inconnues : des arbres chevelus dont la crinière vert clair pend de chaque branche, des feuillus tourmentés dont les « troncs-lianes » poussent en décrivant des arabesques qui s’enlacent sur elles-mêmes, des chênes noueux, tels des bonzaïs immenses, à la ramure nerveuse et torturée et, les plus nombreux, les plus imposants, ceux dont le feuillage est le plus dense, des rhododendrons impressionnants pouvant atteindre jusqu’à vingt mètres de haut.

L’automne est là qui peu à peu va teinter d’ocre et de rouille ces forêts profondes où le jour passe à peine, donnant alors aux vallées, quand nos regards, au sortir des bois retrouvent la clarté du jour et l’étendue du paysage, l’apparence de palettes immenses où le peintre de la nature aurait disposé au hasard, des tâches lumineuses de toutes les nuances de vert, de jaune, d’orange et de rouge.

A quelle saison doit-on aller au Népal ? A priori il faut exclure l’été qui est la saison de la mousson. Des gens que je connais, pour des raisons professionnelles avaient comme seule possibilité les mois de Juillet, Août pour tenter un 8000 mètres. Pour faire un sommet de cette altitude, il faut compter en principe au minimum 6 semaines, mais leur expédition a été confrontée à des chutes de neiges énormes. Dans tout l’Himalaya, les précipitations sont à la dimension du relief. Chaque fois qu’il neigeait ils étaient évidemment bloqués, puis devaient attendre que cela « purge » comme on dit en langage montagnard, c’est-à-dire que l’excès de neige fraîche tombe en avalanche pour pouvoir reprendre l’ascension. Bien sûr ils ont été considérablement retardés.

Arrivés à 7200 mètres, pris par le temps, ils ont dû rebrousser chemin. Comme le dit humoristiquement l’un d’eux « on a passé plus de temps à jouer aux cartes sous la tente qu’à monter ».

L’hiver aussi est en principe à proscrire même si maintenant quelques himalayistes extraterrestres se mettent à tenter des hivernales. Restent le printemps et l’automne.

Le printemps pour nous posait le problème de la préparation physique et du temps que nécessite celle-ci. Nous avons donc choisi l’automne en profitant de l’été pour aller marcher dans les Alpes si proches. Nos compagnes de la région parisienne ont fait du footing, de la natation et de la marche sportive en région. Une autre a même fait le Mont Blanc en septembre ce qui constitue sans nul doute la meilleure préparation. Avec le recul si c’était à refaire, j’essaierai de programmer juste avant de partir, un séjour d’une semaine dans un refuge au-dessus de 3000 mètres afin d’acclimater mon corps à l’altitude.

Arrivés à Thame, comme chaque jour, nous récupérons les sacs des porteurs, prenons possession de nos chambres et après un repas rapide, montons au col qui surmonte le village à 4200 mètres. Nous n’y restons pas. Le brouillard est épais et l’humidité qui l’accompagne nous transperce les vêtements, mais nous pouvons nous en retourner tranquilles : la sacro-sainte acclimatation a eu son compte journalier.

Vu d’en haut, Thame ressemble à un immense puzzle dont les contours des pièces irrégulières comportant un petit rectangle bleu et une grande étendue verte, sont dessinés par les murets. Les yacks, minuscules points marron et noirs, le parcourent lentement. Et au milieu du puzzle coule une rivière…

En redescendant nous nous arrêtons à un monastère bâti sur un nid d’aigle qui domine le village. Là encore émerveillement devant les peintures, statues multiples et multicolores, livres de prières dépliés, hautbois, gongs… tout un intérieur que l’on n’a pas le droit de photographier. Les images resteront dans nos têtes.

Il fait nuit quand nous retrouvons le lodge. C’est un lodge en construction, tout y est soigné et fait avec goût. Comme nombre de constructions que nous avons vues elles allient la simplicité et le raffinement. Ici les boiseries sont sculptées, les murs sont peints avec de multiples couleurs, des fresques couvrent les plafonds, des coussins chatoyants sont posés sur les banquettes en bois du salon. Dans la partie en construction nous pouvons admirer le travail d’un peintre, je devrais dire d’un artiste peintre qui, perché sur un assemblage fait d’échelles horizontales et verticales, peint avec minutie des triangles bleus, des cercles rouges, une bande jaune, et tout un tas de motifs qui au final constitueront une fresque multicolore et harmonieuse d’un mètre de hauteur.

Harmonie, le mot est lâché. C’est le maître mot de la philosophie bouddhiste, harmonie de l’homme avec lui-même, harmonie avec les autres, harmonie avec la nature, harmonie dans son travail millénaire, harmonie que la peinture, art majeur dans ce pays exprime en permanence.

Le village du Yéti

Aujourd’hui on monte au village du Yéti, du moins celui que la légende présente comme tel, Marulung, situé à 4200 mètres.
Depuis Thame, nous ne cessons de croiser des yacks, à l’allure pacifique malgré leurs cornes impressionnantes de grande dimension. C’est paradoxal alors que d’un seul coup de leurs cornes ils pourraient nous embrocher vivants, des siècles de domestication leur ont appris la crainte de l’homme et un simple geste ferme ou un coup de sifflet suffit à les faire s’éloigner. Les tibétains ou les népalais qui conduisent les caravanes de yacks sifflent donc très souvent pour guider les bêtes sur le chemin. Certains les suivent munis d’une corde qui, si le besoin s’en fait sentir se transforme en fronde avec une pierre ramassée sur le chemin et qu’ils lancent avec adresse sur le récalcitrant, l’attardé ou le fugueur imprudent.

Comme maintenant chaque matin tôt, un ciel sans nuage laisse voir des pointes enneigées, des reliefs glacés, des rochers indomptables, que le soleil orne de couleurs changeantes de l’orangé au doré au fur et à mesure qu’il s’élève, couleurs qui contrastent avec l’ombre encore grise de la fin de la nuit.

Dans la fraîcheur du matin, dans le tintement des cloches de yacks, dans le bruit du torrent qui monte du fond de la vallée, dans les senteurs nouvelles de cette nature inconnue, nous montons. Si Beethoven était venu ici nul doute qu’il y aurait composé une de ses plus belles symphonies que l’on aurait alors nommée symphonie himalayenne et à côté de laquelle sa symphonie pastorale aurait paru manquer sérieusement de relief !.

J’imagine alors un concert donné dans ce cirque enneigé. Là il y aurait des cors auxquels les montagnes répondraient ; ici des violoncelles s’accordant au souffle du vent ; plus bas une harpe éclaboussant ses notes à la surface du torrent ; et en harmonie de tout cela un ensemble de voix humaines accompagnant le pas lent des marcheurs.

Il y a en Corse deux lacs, le Mello et le Capitello, l’un surmontant l’autre et déversant dans son eau bleue turquoise un névé qui résiste au soleil de l’été. Dans cet endroit magique se déroule tous les ans un concert sous le ciel étoilé que je n’ai pas encore eu la chance de pouvoir voir, écouter, humer.

J’ai assisté aux répétitions d’une chorale au milieu du féerique cirque de Gavarnie, croisé tel récital donné au bord d’un lac ténébreux du Jura, eu vent de soirées lyriques dans le théâtre antique d’Orange, dans une forêt majestueuse de Gascogne ou d’ailleurs, de concerts de piano dans le magnifique décor naturel de La Roque d’An Théron.

Mais ici !...

A plus de 4000 mètres d’altitude ! Quel spectacle pourrait supporter la comparaison ?...
Evidemment pour monter le piano et la contrebasse cela poserait problème….

Une mer de nuages par vagues moutonneuses vient s’accrocher aux pentes et peu à peu nous enveloppe de son coton cardé. Et le silence reprend ses droits…

A Marulung le lodge rustique est en terre battue, les gens font ce qu’ils peuvent…

Depuis Namche les habitations sont en pierres, le seul matériau que l’on trouve à proximité. La construction est sommaire et l’isolation inexistante. Le vent s’engouffre par les jointures des menuiseries et la froidure traverse les pierres. Seul parfois un tapis mural permet de s’appuyer sur un mur sans sentir la morsure du froid. L’après-midi dans un brouillard humide et glacial, nous montons à flanc de colline en direction d’un village situé à 4600 mètres. A 4400 mètres, notre groupe se sépare en deux : six redescendent et cinq dont je fais partie continuent la montée. Ai-je fait une erreur dans ce choix là ou bien le lendemain quand le même choix me sera posé ? En tout cas à 4600 mètres, je suis épuisé. Nous grimpons hors sentier à flanc de colline et je n’ai plus de souffle. J’ai voulu monter pour voir toujours plus haut mais aussi un peu pour respecter le principe de l’acclimatation. Encore faut-il, pour que ce principe soit valable, que ce faisant on n’entame pas trop sa force et ses réserves physiques. En fait en montagne, il y a un maître mot - et plus on s’élève plus ce mot est important : gérer. Une erreur de gestion est souvent lourdement payée.

Que l’on parte trop vite par rapport à ses capacités physiques pour imiter quelqu’un ou simplement par étourderie, va conduire à des conséquences d’autant plus graves que l’on est plus haut. S’il s’agit, au départ d’Aubagne, en partant trop vite de gravir le Garlaban qui culmine à la respectable altitude de 700 mètres peut-être n’y arrivera-t-on pas ou sera-t-on bien fatigué à l’arrivée à la croix qui le surplombe. Les conséquences s’arrêtent là. Mais en haute montagne, des erreurs de gestion peuvent avoir des conséquences hautement plus dramatiques. Il faut gérer le poids de son sac, l’acclimatation, la persistance de l’effort physique, le rythme de la montée, le souffle… et prendre garde au fait qu’en altitude toute affection, même bénigne peut avoir des conséquences importantes.

Depuis Namche, j’avais un rhume que j’aurais oublié le lendemain à Marseille, sauf que là en évoluant entre 3500 et 4600 mètres, le rhume est devenu état grippal et en altitude le mal des montagnes naissant j’étais fracassé.

La montagne rend humble et elle oblige, pour gérer à bien se connaître. Se gérer, c’est observer sans s’angoisser, tant il est vrai que le mental joue un rôle déterminant dans la réussite de courses de montagne qui demandent un fort engagement.

« Cette douleur thoracique, ce n’est pas un début d’infarctus ?
-Mais non andouille, ce sont des douleurs intercostales dues au poids de ton sac !
-Mais cette brûlure dans la poitrine, ce n’est pas un début d’œdème ?
-Mais non voyons c’est la combinaison du froid et de l’effort
-Je m’étouffe, je ne vais pas y arriver !
-Imbécile tu es parti trop vite ! Arrêtes toi, reprends ton souffle et repars doucement en respirant à chaque pas ! ».

Un hypocondriaque ne pourrait pas monter… ou alors il guérirait !

La montagne comme d’autres sports sans doute, apprend beaucoup sur soi-même, sur ses capacités et donne à réfléchir sur son existence. Je ne prétends pas ce soit une règle absolue, ni même une règle générale mais chez nombre de marcheurs vraiment amoureux de la nature que j’ai rencontrés, je crois avoir observé cela. Comme si avec le temps et l’expérience une harmonie de l’homme et de son environnement se construisait dans l’effort, un effort qui a pour but essentiel la contemplation des merveilles montagnardes.

C’est une autre dimension que celle du sport. Le sport aide à garder la forme, quelque fois à faire de la compétition, il peut être d’une grande utilité et les marcheurs qui n’ont près de chez eux que peu de dénivelé à faire pratiquent en vue des vacances footing, natation, marche sportive… mais le sport ne porte pas en lui cette dimension de retour sur soi même, de communion avec la nature. Peut-être d’autres activités peuvent produire cette sensation, je pense en particulier aux marins.

Habitant un port, j’ai connu, mon enfance durant, cette passion de la mer sous toutes ses formes. Je n’ai jamais eu de bateau mais j’ai connu des marins fous de la mer, de ses tempêtes et de ses calmes sereins, rêvant de traversées et d’alizés lointains. Oui je pense qu’il doit y avoir des choses à partager avec eux sur l’harmonie de l’homme et des éléments.

Pour en revenir à Marulung, lors de la redescente vers le refuge on traverse des prairies remplies de petites fleurs blanches aux reflets gris clair. Incroyable mais vrai !
Ce sont des edelweiss qui ici abondent et forment des tapis….Méticuleusement Pemba, notre aide sirdar en fera plusieurs bouquets pour les femmes du groupe.

Dire qu’en France ces fleurs sont devenues tellement rares qu’il est interdit de cueillir celles que par chance l’on peut rencontrer ! En regardant ce champ entier je ne peux m’empêcher de repenser à cette fois où, en haute Savoie, juste après avoir passé la tête de Bostan, je m’étais allongé dans l’herbe, à un endroit connu des randonneurs, pour observer quelques-unes de ces fleurs immortelles !!!

Le soir en rentrant au lodge, on discute à quelques-uns et en particulier avec Olivier qui d’ailleurs vient de suivre un stage avec des médecins d’altitude, de mon mal de crâne que l’aspirine ne calme pas, de ma fatigue, de mes diverses douleurs. Là aussi, sans tomber dans l’hypocondrie il faut parler. Se taire peut même être dangereux et on décide donc qu’il faut que j’entame le DIAMOX [1].

Voir les photos : cliquer ici


[1médicament contre le mal des montagnes



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