25 jours de grève pour les salaires…et ce n’est pas fini !

jeudi 1er avril 2010
par  Charles Hoareau
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Mettant en pratique les conclusions découlant de leur enquête sur l’évolution des salaires, prix et profits dans leur entreprise, les FRALIB de l’usine de Gémenos se sont mis en grève le 8 mars pour obtenir 200€ pour toutes et tous ce qui ne serait qu’un premier pas vers une répartition plus juste des richesses…un pas à 0,02cts par boite de thé vendue entre 1,80 et 2,60€….
D’abord grève reconductible votée par des assemblées qui se réunissaient tous les matins, elle s’est rapidement transformée devant le refus de discuter et les provocations de la direction, en grève illimitée.

Comme ils le disent sur leurs autocollants qui ornent leurs vestes, les grévistes qui d’ordinaire fabriquent les sachets de thé et d’infusion qui vont se retrouver dans nos tasses, en ont ras la théière.
Et ils le font savoir !

L’usine de 185 salarié-e-s qui fonctionne en 3X8 est en grève à plus de 80% et la production est totalement arrêtée sans qu’il y ait besoin de bloquer les accès. Chaque jour les grévistes, loin de rester enfermés dans leur usine, mènent des actions à l’extérieur de l’entreprise afin tout à la fois de faire connaître le conflit et de pousser pouvoirs publics et patronat à faire en sorte que de sérieuses négociations s’entament.

Opérations coup de poing disent certains.
A Rouge Midi nous préférons parler d’actions socio-culturelles enrichissantes à plus d’un titre. Jugez-en par vous-même à travers quelques exemples :
-  Visite gracieuse du péage Prado carénage qui, le temps de leur intervention, devient gratuit et se transforme en point de diffusion de sachets de thé.

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-  Visite de courtoisie (à plusieurs dizaines) à la direction du travail pour un débat serein sur l’état des relations sociales dans une usine où le directeur vient d’envoyer à l’hôpital une gréviste qui se trouvait malencontreusement dans une encoignure de porte qu’il voulait franchir,
-  Visite aimable aussi (et massive) à la mairie de Gémenos (majorité présidentielle) qui leur a ouvert spontanément la grande salle pour un échange fructueux sur la répartition des richesses, échange au bout duquel le bon maire a tout aussi spontanément téléphoné au directeur de FRALIB afin de lui proposer une rencontre avec « les acteurs sociaux de son entreprise ». Un maire de droite qui se préoccupe du social : c’est pas beau ça ?
-  Visite enfin, le 30 mars, du palais de justice de Marseille où ils ont retrouvé les salariés de l’UNM et d’autres entreprises du département venus dire tout le bien qu’ils pensaient de cette justice qui une nouvelle fois faisait comparaître un syndicaliste au tribunal alors que tant de délits patronaux restent impunis.

On peut logiquement se demander, dans un pays où d’aussi longues grèves pour les salaires ne sont pas très fréquentes qu’est ce qui fait que les salarié-e-s de FRALIB tiennent et aussi massivement.
Il y a certainement plusieurs raisons à cela :

Une histoire marquée par les luttes

-  Il y avait à l’origine deux entreprises de conditionnement du thé, une à Marseille et une au Havre. Celle de Marseille, créée en 1886, était située dans le quartier Longchamp où l’on entendait régulièrement barrir l’éléphant du parc zoologique (d’où le nom de thé de l’éléphant) situé alors dans les jardins du Palais du même nom. En 1989 la direction d’alors décide de déplacer l’usine sur le site de Gémenos. Non que l’usine soit déficitaire, mais parce que les perspectives de bénéfices sont encore plus grandes sur le nouveau site en particulier grâce aux avantages de toutes sortes que les pouvoirs publics promettent et en particulier 10 ans d’exonérations fiscales destinées soi-disant à favoriser l’emploi sur le bassin d’emploi Aubagne La Ciotat durement affecté par la fermeture des chantiers navals [1]. S’ensuit un long conflit où, après des semaines d’occupation d’usine et d’actions de toutes sortes, les salarié-e-s réussiront à préserver l’emploi et à obtenir des conditions décentes de transfert. De ce conflit, la CGT fer de lance de la lutte sortira renforcée en nombre et en conscience de lutte.

-  Au Havre c’est au début 1997 que fut prise la décision de fermeture et de transfert des salarié-e-s qui le désiraient (et le pouvaient !) sur le site de Gémenos. Là aussi cette décision fit l’objet d’une longue lutte : 18 mois de conflit avec des périodes d’occupation de l’usine. La CGT dénonça alors le fait que rien n’obligeait le groupe à fermer : « Ce qui motive notre révolte, c’est que l’usine du Havre est rentable : elle représente 100 millions sur les 147 millions de francs de bénéfice net que fait Fralib sur le thé et les infusions » [2]. Là encore on était devant une usine largement bénéficiaire qu’un groupe n’hésitait pas à fermer au nom des « nécessaires économies d’échelle » au mépris de la vie de travailleurs qui avaient assuré la production et les profits confortables des années durant. En septembre 1998 le site fermait définitivement et une cinquantaine d’ouvriers acceptaient, contraints et forcés de quitter famille, maison et amis pour venir à Gémenos. Parmi eux, Olivier, le DS CGT, fit connaître sa décision le dernier jour fixé par la direction à minuit moins 5, manière de leur dire qu’en face ils n’en avaient fini avec la résistance des salarié-e-s et de la CGT.

-  A Gémenos en 2007 le groupe toujours aussi bénéficiaire (plus 26% en 2006) et toujours aussi cynique annonçait la suppression de 57 emplois au nom de la sacro-sainte compétitivité. Là encore conflit pour refuser cette course toujours plus grande au profit au mépris une nouvelle fois affiché des hommes et des femmes qui créent les richesses. Politique d’autant plus scandaleuse quand on compare avec les résultats nets affichés par le groupe qui oscillent entre 3,6 et 5,2 milliards d’euros…

Données20092008200720062005
Chiffre d’affaires 39 823 40 523 40 187 39 642 39 672
Résultat net 3 659 5 285 4 136 5 015 3 975

Données exprimées en millions EUR [3]

Le travail du syndicat

Depuis des années le syndicat de l’entreprise s’attache non seulement à défendre les salariés pied à pied au quotidien, mais aussi à démontrer la stratégie de l’entreprise et l’affrontement permanent capital travail. Pour les dirigeants et par conséquence pour les salarié-e-s la politique du groupe n’a guère de secrets du moins dans ses grandes lignes. Dans une multinationale comme UNILEVER cela est indispensable comme point d’appui à la lutte.

Le syndicat a pu expliquer que l’usine de Gémenos fournit le plus gros marché de l’Europe de l’Ouest (65% du marché français et 35% du marché européen). Il a pu démontrer que les salaires actuels représentent entre seulement 5 et 10% du chiffre d’affaires et que l’essentiel du profit du groupe se fait ici à Gémenos…Aussi quand le directeur pour impressionner les salarié-e-s en lutte leur met devant les yeux un nouveau prototype de produits concurrents de ceux de Gémenos et soi-disant nouvellement produits à Bruxelles et s’essaie à parler compétitivité, sa manœuvre fait flop.

Le syndicat a aussi mis en lumière que le groupe a installé un centre de profits en Suisse qui, par un jeu de mécano financiers, lui permet d’économiser des millions d’euros d’impôts qui devraient normalement alimenter le budget de la nation France. [4]

Une autre politique au service de l’emploi et des salaires

Si depuis plus de 20 ans UNILEVER a pu jouer les profits contre les salaires et l’emploi c’est que des politiques, quelques soient les gouvernements en place, ont laissé faire ou pire ont pris des mesures qui ont permis ces choix destructeurs.

-  Mise en place d’une zone industrielle défiscalisée qui a permis à UNILEVER (et à bien d’autres) de bénéficier d’un effet d’aubaine sans que l’emploi à La Ciotat ne s’en porte mieux.

-  Fermeture de l’entreprise du Havre avec la bénédiction des pouvoirs publics. Le maire de droite de la ville parlant même de la nécessité de tourner la page d’une usine vieillotte.

-  Silence devant les suppressions d’emplois dans une usine largement bénéficiaire.

-  Evasion fiscale vers la Suisse autorisée malgré les conséquences pour le budget de la nation et donc les besoins du peuple.

Il est curieux d’ailleurs que les forces de gauche qui soutiennent les salariés en lutte soulèvent peu ces points là et surtout ne reprennent pas l’idée avancée par la fédération CGT agroalimentaire et le syndicat CGT FRALIB, la proposition de bon sens qui s’impose : il faut nationaliser l’usine afin que salariés et population contrôlent les choix de production et la répartition des richesses.

C’est en tous cas ce que Rouges Vifs 13 a fait dans son tract d’appel à la manifestation de soutien du 2 avril à l’usine de Gémenos.


[1le chantier qui occupait 6000 salariés a fermé en octobre 1988. L’UE a versé des fonds pour la création d’une zone industrielle et commerciale située sur le territoire Aubagne/ Gémenos censée compenser la perte d’emplois due à cette fermeture…

[2Olivier Leberquier DS CGT Libération 14 avril 1997

[3source les Echos

[4Le centre en Suisse est propriétaire de la matière première (dont le prix est resté stable depuis 10 ans selon la FAO) et achète les produits finis des entreprises avec une marge garantie. C’est ce mécanisme qui lui permet de faire échapper à l’impôt une grande part des profits réalisés en particulier à Gémenos. Nous y reviendrons.



Documents joints

tract 2 avril

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