La défaite morale du gouvernement

mercredi 13 janvier 2010
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Les salariés arrêtés pour longue maladie ne seront désormais plus indemnisés.
Le modèle scandinave longtemps vanté se craquèle de toute part.
Et avec lui les illusions sur un capitalisme moral ?
Nous n’en sommes pas encore là mais cet éditorial, très critique, du quotidien de centre gauche Aftonbladet est significatif de la levée de boucliers que suscite une telle décision en Suède.

Parfois, on peut remarquer le moment où un gouvernement se fissure, sur le plan politique et moral. Pour Fredrik Reinfeldt et son gouvernement [1], cet “instant magique” s’est produit le 9 décembre. Dix-sept mille malades (dans quelques années, ils seront peut-être 50 000) ont été avisés du fait qu’ils coûtaient trop cher, et que leurs droits et allocations devaient être réduits de façon drastique. Qu’il fallait qu’ils reviennent sur le marché du travail.

Lorsque les cancérologues ont mis en garde contre les conséquences terrifiantes que pouvait avoir une telle décision, le gouvernement a précisé qu’il n’était sans doute pas nécessaire que les malades atteints de métastases rejoignent l’interminable file d’attente conduisant au marché du travail. Pour le gouvernement, une telle dérogation doit être considérée comme un geste humanitaire à l’égard de ceux dont le corps est rongé par le cancer. Les malades les plus affectés auraient sans doute du mal à faire face à la concurrence sur le marché du travail : nous vivons une situation de chômage massif, et les employeurs n’embauchent qu’en dernier recours des personnes malades ou des chômeurs de longue durée. Et, lorsqu’ils le font, c’est généralement parce qu’ils sont payés par l’Etat pour le faire.

Le chômage est habituellement considéré comme un mal fondamentalement social. Or, pour le gouvernement, le problème vient des chômeurs. Le domaine social est individualisé et relève désormais de la morale privée. Ce qui explique que les exigences à l’égard des demandeurs d’emploi aient été renforcées.

Les allocations de chômage sont revues à la baisse, les niveaux d’indemnisation de la sécurité sociale sont en chute libre. Les chômeurs sont tenus d’accepter les emplois qui leur sont proposés, même si le salaire ne s’élève guère au-dessus des 1 000 euros mensuels. Dans toute l’Europe, on parle de la “génération 1 000 euros”, c’est-à-dire des travailleurs pauvres qui vivent avec 1 000 euros par mois. La Suède en prend le chemin. Fredrik Reinfeldt le dit sans détour, tout au moins devant les médias européens : nous voulons créer un marché du travail pour les travailleurs non qualifiés. Et, dans certains secteurs, ils n’ont même pas besoin de savoir parler suédois, a-t-il déclaré au quotidien français Le Monde.

La superstructure idéologique est ici la politique de l’offre. Les citoyens doivent être à la disposition du marché du travail – et travailler, même dans les conditions les plus misérables. Le gros problème est qu’il n’y a pas de travail. Tout au moins pour les quelque 200 000 personnes qui sont inscrites au chômage depuis plusieurs années. L’exclusion contre laquelle Fredrik Reinfeldt est censé lutter a touché près d’un quart de million de personnes supplémentaires depuis le début de son mandat.

Les nombreux citoyens marginalisés ne bénéficient d’aucune formation pour accéder au marché du travail qualifié ni d’aucune offre d’enseignement pour adultes. On les abandonne entre les mains d’agences de placement plus ou moins privatisées qui font souvent appel aux services de formation de charlatans (comme Aftonbladet l’a montré dans une série d’articles).

La politique de l’offre a fait long feu, dans la théorie comme dans la pratique, lorsqu’il est apparu que les malades de longue durée qui avaient un emploi à temps partiel ou étaient en voie de rétablissement devaient eux aussi prendre part à des programmes de retour à l’emploi mal ficelés qui les conduisaient à des emplois si mal rémunérés qu’ils étaient parfois encore tributaires des aides sociales. L’orchestre symphonique de Helsingborg fournit un exemple de ce qui est en passe de se généraliser. La politique du gouvernement a obligé un violoniste, presque remis de sa maladie, à quitter l’orchestre pour intégrer un programme de réinsertion, qui le conduira peut-être au chômage. Mais peut-être cela ne pose-t-il aucun problème à un gouvernement dont la politique culturelle est symbolisée par une télévision à écran plat [2].

Un des principes fondamentaux de notre système de protection sociale est la répartition des risques. Les citoyens sont assurés pour différents risques, comme la maladie ou le chômage. L’Etat, les syndicats et les employeurs soutiennent le système, et les membres de la société se partagent de manière à peu près solidaire les coûts de ces risques.
Cette convention sociale est sur le point de disparaître. Le gouvernement se dessaisit littéralement de sa responsabilité envers les citoyens les plus vulnérables, tranche dans le système de protection sociale, ouvre un marché du travail pour les bas salaires et demande aux salariés d’accepter des conditions de travail misérables, malmenant ainsi la sécurité de l’emploi et les droits des syndicats.

Cela témoigne de la défaite morale du gouvernement Reinfeldt, qui témoigne, de la part de la droite, d’une vision sociale étriquée où seuls les nantis ont leur place. Le gouvernement nie les différences de classes, alors même qu’elles sont de plus en plus effarantes et flagrantes – tout comme dans le reste de l’Europe.

Le vieux chant de lutte italien Bandiera Rossa, qui aura malheureusement vécu plus longtemps que la gauche italienne, proclame que celui qui ne travaille pas ne doit pas manger [3].

Dans la Bible, une formule similaire revient plusieurs fois. Serait-ce là que Fredrik Reinfeldt trouve son inspiration idéologique ?

Par Olle Svenning le 04/01/2010 dans le quotidien de centre gauche  Aftonbladet

Transmis par Linsay.


[1conservateur depuis 2006

[2Il y a quelques années, c’est le cadeau qu’avait choisi le gouvernement pour la princesse héritière à l’occasion de son anniversaire

[3Très curieuse interprétation du vers qui dit que le fruit du travail ira à ceux qui travaillent ! évidemment par opposition aux rentiers et aux spéculateurs et non aux malades !! Une question « d’inspiration idéologique » de l’auteur...NDR



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