Chaque homme est une race ?

verdict le 8 avril
vendredi 6 mars 2009
popularité : 4%

On se souvient de cette triste mésaventure survenue à cet homme de théâtre suisse qui a eu
l’idée
insolite de demander lors du Festival d’Avignon à des CRS qui contrôlaient
des
musiciens noirs « Pourquoi contrôler vous ces artistes en particulier et
pas
tous ceux qui se trouvent sur la place ? »
Il s’’en est suivi une
nuit
cauchemardesque de garde à vue et …et le dépôt d’une plainte… contre lui.
Il est donc passé en procès (accompagné de 21 témoins, voir vidéo de l’interview à l’issue du procès en fin d’article !) le 3 mars
au TGI d’Avignon pour "outrage, rébellion et incitation à l’émeute" (rien que ça !) alors que lui portait plainte pour agression.
Rappel des faits rédigé par Patrick quelques jours après les faits (extraits).

Je m’appelle Patrick Mohr. Je suis né le 18 septembre 1962 à Genève. Je
suis
acteur, metteur en scène et auteur.
A Genève je dirige une compagnie, le théâtre Spirale, je co-dirige le
théâtre de la Parfumerie et m’occupe également du festival « De bouche
à oreille."
Dans le cadre de mes activités artistiques, je viens régulièrement au
festival d’Avignon pour y découvrir des spectacles du « in » et du « off,

Le Lundi 21 juillet, je sors avec mon amie, ma fille et trois de ses
camarades et nous prenons le frais à l’ombre du Palais des Papes, en
assistant avec plaisir à un spectacle donné par un couple d’acrobates.
A la fin de leur numéro, je m’avance pour mettre une pièce dans leur
chapeau
lorsque j’entends le son d’un Djembé (tambour africain) derrière
moi.

Etant passionné par la culture africaine, (J’y ai monté plusieurs
spectacles
et ai eu l’occasion d’y faire des tournées) je m’apprête à
écouter les musiciens. Le percussionniste est rejoint par un joueur de Kamele
Ngoni. (Sorte de contrebasse surtout utilisée par les chasseurs en Afrique
de
l’Ouest.)

A peine commencent-ils à jouer qu’un groupe de C.R.S se dirige vers eux
pour
les interrompre et contrôler leur identité. Contrarié, je me décide
à intervenir.
J’aborde donc un des C.R.S et lui demande : « Pourquoi contrôler vous ces
artistes en particulier et pas tous ceux qui se trouvent sur la place ? »
Réponse immédiate. « Ta gueule, mêle-toi de ce qui te regardes !"
« Justement ça me regarde. Je trouve votre attitude discriminatoire. »
Regard incrédule. " Tes papiers ! »
« Je ne les ai pas sur moi, mais on peut aller les chercher dans la
voiture.
 »
« Mets-lui les menottes ! »
« Mais vous n’avez pas le droit de.. »
Ces mots semblent avoir mis le feu aux poudres.
« Tu vas voir si on n’a pas le droit. »

Et brusquement la scène a dérapé. Ils se sont jetés sur moi avec une
sauvagerie inouïe. Mon amie, ma fille, ses camarades et les curieux qui
assistaient à la scène ont reculé choqués alors qu’ils me projetaient au
sol, me plaquaient la tête contre les pavés, me tiraient de toutes
leurs forces les bras en arrière comme un poulet désarticulé et
m’enfilaient des menottes. Les bras dans le dos, ils m’ont relevé et
m’ont jeté en avant en me retenant par la chaîne. La menotte gauche m’a
tordu
le poignet et a pénétré profondément mes chairs. J’ai hurlé :
« Vous n’avez pas le droit, arrêtez, vous me cassez le bras ! »
« Tu vas voir ce que tu vas voir espèce de tapette. Sur le dos ! Sur le
ventre ! Sur le dos je te dis, plus vite, arrête de gémir ! »
Et ils me frottent la tête contre les pavés me tordent et me frappent, me
traînent, me re-plaquent à terre. La foule horrifiée s’écarte sur notre
passage. Mon amie essaie de me venir en aide et se fait violemment
repousser.

Des gens s’indignent,sifflent, mais personne n’ose
interrompre cette interpellation d’une violence inouïe. Je suis traîné au
sol et malmené jusqu’à leur fourgonnette qui se trouve à la place de
l’horloge 500 m plus bas. Là, ils me jettent dans le véhicule, je tente de
m’asseoir et le plus grand de mes agresseurs (je ne peux pas les
appeler autrement), me donne un coup pour me faire tomber entre les sièges,
face contre terre, il me plaque un pied sur les côtes et l’autre sur la
cheville il appuie de tout son poids contre une barre de fer.
« S’il vous plait, n’appuyez pas comme ça, vous me coupez la circulation.
 »
« C’est pour ma sécurité ». Et toute leur compagnie de rire de ce bon
mot. Jusqu’au commissariat de St Roch.
Le trajet est court mais il me semble interminable. Tout mon corps est
meurtri,
j’ai l’impression d’avoir le poignet brisé, les épaules démises,
je mange la poussière. On m’extrait du fourgon toujours avec autant de
délicatesse. Je vous passe les détails de l’interrogatoire que j’ai
subi dans un état lamentable. Je me souviens seulement du maquillage bleu
sur
les paupières de la femme qui posait les questions.
« Vous êtes de quelle nationalité ? » « Suisse. »
« Vous êtes un sacré fouteur de merde »
« Vous n’avez pas le droit de m’insulter »
« C’est pas une insulte, la merde » (Petit rire.)
C’est fou comme la mémoire fonctionne bien quand on subit de pareilles
agressions. (...)
Ils font volontairement traîner avant de m’enlever les
menottes. Font semblant de ne pas trouver les clés. Je ne sens plus ma main
droite.
Fouille intégrale. On me retire ce que j’ai, bref inventaire, le tout est
mis dans une petite boîte.
« Enlevez vos vêtements ! » J’ai tellement mal que je n’y arrive presque
pas.
« Dépêchez-vous, on n’a pas que ça à faire. La boucle d’oreille ! »
J’essaye de l’ôter sans y parvenir.
« Je ne l’ai pas enlevée depuis des années. Elle n’a plus de fermoir. »
« Ma patience à des limites vous vous débrouillez pour l’enlever, c’est
tout ! » (...)

L’attente commence. Pas d’eau, pas de nourriture. Je réclame en vain de la
glace pour faire désenfler mon bras. Les murs et le sol sont souillés
de tâches de sang, d’urine et d’excréments. Un méchant néon est allumé en
permanence. Le temps s’étire. Rien ici qui permette de distinguer le
jour de la nuit. La douleur lancinante m’empêche de dormir. J’ai
l’impression
d’avoir le cour qui pulse dans ma main. D’ailleurs alors que
j’écris ces lignes une semaine plus tard, je ne parviens toujours pas à
dormir
normalement.

J’écris tout cela en détails, non pas pour me lamenter sur mon sort. Je
suis
malheureusement bien conscient que ce qui m’est arrivé est
tristement banal, que plusieurs fois par jours et par nuits dans chaque
ville
de France des dizaines de personnes subissent des traitements bien
pires> que ce que j’ai enduré. Je sais aussi que si j’étais noir ou arabe je
me serais fait cogner avec encore moins de retenue. C’est pour cela que
j’écris et porte plainte. Car j’estime que dans la police française et dans
les CRS en particulier il existe de dangereux individus qui sous le couvert
de
l’uniforme laissent libre cour à leurs plus bas instincts. (Evidement il y
a
aussi des arrestations justifiées, et la police ne fait pas que des
interventions abusives. Mais je parle des dérapages qui me semblent
beaucoup
trop fréquents.)(...)

Durant les 16h qu’a duré ma détention, (avec les nouvelles lois, on aurait
même pu me garder 48h en garde à vue) Je n’ai vu dans les
cellules que des gens d’origine africaine et des gitans. Nous étions tous
traités avec un mépris hallucinant.

Après une nuit blanche vers 9h du matin on vient me chercher pour prendre
mon
empreinte et faire ma photo. Face, profil, avec un petit écriteau, comme
dans
les films. La dame qui s’occupe de cela est la première personne qui me
parle
avec humanité et un peu de compassion depuis le début de ce cauchemar.
« Eh bien, ils vous ont pas raté. C’est les CRS, ha bien sur. Faut dire
qu’on
a aussi des sacrés cas sociaux chez nous. Mais ils sont pas tous
comme ça. »

J’aimerais la croire.
Un officier vient me chercher pour que je dépose ma version des faits et me
faire connaître celle de ceux qui m’ont interpellé. J’apprends que
je suis poursuivi pour : outrage, incitation à l’émeute et violence envers
des dépositaires de l’autorité publique.
C’est vraiment le comble. Je les aurais soi disant agressés verbalement et
physiquement. Comment ces fonctionnaires assermentés peuvent ils mentir
aussi
éhontément ? Je raconte ma version des faits à l’officier. Je sens que sans
vouloir l’admettre devant moi, il se rend compte qu’ils ont commis une
gaffe.
Ma déposition est transmise au procureur et vers midi je suis finalement
libéré. J’erre dans la ville comme un boxeur sonné. Je marche
péniblement. Un mistral à décorner les boufs souffle sur la ville. Je
trouve un avocat qui me dit d’aller tout de suite à l’hôpital faire un
constat
médical. Je marche longuement pour parvenir aux urgences ou je patiente
plus
de 4 heures
pour recevoir des soins hâtifs. Dans la salle d’attente, je lis un journal
qui
m’apprend que le gouvernement veut supprimer 200 hôpitaux
dans le pays, on parle de couper 6000 emplois dans l’éducation.
Je n’écris pas ces lignes pour me faire mousser, mais pour clamer mon
indignation face à un système qui tolère ce type de violence. Sans doute
suis-je naïf de m’indigner. La plupart des Français auxquels j’ai raconté
cette histoire ne semblaient pas du tout surpris, et avaient
connaissance de nombreuses anecdotes du genre. Cela me semble d’autant
plus
choquant.

Depuis ma sortie, nous sommes retournés sur la place de papes
et
nous avons réussi à trouver une douzaine de témoins qui ont accepté
d’écrire leur version des faits qui corroborent tous ce que j’ai dis.
Ils certifient tous que je n’ai proféré aucunes insultes ni n’ai commis
aucune violence.
Les témoignages soulignent l’incroyable brutalité de l’intervention des CRS
et la totale disproportion de leur réaction face à mon intervention.
J’ai essayé de retrouver des images des faits, mais malheureusement les
caméras qui surveillent la place sont gérées par la police et, comme par
hasard elles sont en panne depuis début juillet. (...)

Après 5 jours soudain, un monsieur africain m’a abordé, c’était l’un des
musiciens qui avait été interpellé. Il était tout content de me
retrouver car il me cherchait depuis plusieurs jours. Il se sentait mal de
n’avoir rien pu faire et de ne pas avoir pu me remercier d’être intervenu
en
leur faveur. Il était profondément touché et surpris par mon intervention
et
m’a dit qu’il habitait Grenoble, qu’il avait 3 enfants et qu’il était
français.
Qu’il viendrait témoigner pour moi. Qu’il s’appelait Moussa Sanou.
« Sanou , c’est un nom de l’ethnie Bobo. Vous êtes de Bobo- Dioulasso ? »
« Oui. » Nous nous sommes souris et je l’ai salué dans sa langue en
Dioula.

Il se trouve que je vais justement créer un spectacle prochainement à
Bobo-Dioulasso au Burkina-faso. La pièce qui est une adaptation de
nouvelles de l’auteur Mozambicain Mia Couto s’appellera « Chaque homme est
une
race » et un des artistes avec lequel je vais collaborer se
nomme justement Sanou. Coïncidence ? Je ne crois pas.
Je suis content d’avoir défendu un ami, même si je ne le connaissais pas
encore.

La pièce commence par ce dialogue prémonitoire. Quand on lui demanda de
quelle race il était, il répondit : « Ma race c’est moi. » Invité à
s’expliquer il ajouta « Ma race c’est celui que je suis. Toute personne
est
à elle seule une humanité.
Chaque homme est une race, monsieur le policier. »

Voir la vidéo de l’interview à la sortie du tribunal.



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