Le théorème de Guetta

dimanche 2 novembre 2008
popularité : 4%

Sitôt qu’un événement — diplomatique, économique, voire sismique (1) — implique l’Union européenne, l’interprétation qu’en donne Bernard Guetta sur France Inter se rapporte à coup sûr à l’une de ces trois propositions : toute réussite s’explique par l’Europe ; tout échec est imputable au manque d’Europe ; toute réussite et tout échec appellent davantage d’Europe.

Au surlendemain du sommet qui réunissait à Paris, le 4 octobre, les dirigeants allemand, français, italien et britannique ainsi que MM. José Manuel Barroso et Jean-Claude Trichet, Bernard Guetta s’esbaudit : « Pour la première fois dans l’histoire de l’Union, des gouvernements se sont concertés au plus haut niveau sur un problème économique — la crise financière en l’occurrence, non seulement entre eux mais également avec le président de la Banque centrale européenne. » Hélas ! quelques heures avant que le journaliste ne salue ce « moment dans l’histoire de l’Union », Berlin repoussait l’idée d’un plan de sauvetage concerté et déplafonnait unilatéralement la garantie des dépôts d’épargne. A peine la chronique achevée, la Bourse de Paris saluait les « importantes décisions » européennes par... un effondrement de plus de 9 %.

Lundi suivant, 13 octobre, Bernard Guetta est à son poste : « L’Europe est en train de se dépasser, de se réinventer », elle « relève le défi » après la réunion de l’Eurogroupe organisée la veille à Paris. Toutefois — géopoliticien échaudé craint l’eau froide —, l’enthousiasme laisse poindre un soupçon de prudence : « Les Bourses n’en repartiront pas forcément à la hausse dès ce matin. Il serait même surprenant, non pas exclu, mais étonnant, que cela se produise avant un bon moment encore tant le système financier mondial est ébranlé, mais il s’est passé, hier, quelque chose de fort en Europe. » Moins de quarante minutes après cette déclaration, les cambistes faisaient flamber les cours, et le CAC 40 affichait en clôture une hausse historique de 11,18 %.

Au fait, quand « les règles de la concurrence et de l’orthodoxie monétaire ont été contournées » (Bernard Guetta, 6 octobre), quand l’Union européenne doit « surfer entre ses [propres] obstacles institutionnels et politiques pour opposer un front uni à la crise financière » (Bernard Guetta, 13 octobre), doit-on conclure à un triomphe de l’Europe ? Ou admettre qu’au moyen d’une classique coopération intergouvernementale, des Etats aiguillonnés par la terreur d’un effondrement bancaire ont brisé en moins de deux semaines les entraves à l’action publique nouées par un demi-siècle de « construction européenne » ?

Par Pierre Rimbert.Le Monde diplomatique de Novembre 2008

Transmis par Linsay


(1) Lire Serge Halimi, « Contre les tsunamis, votez “oui” au référendum ! », Le Monde diplomatique, février 2005.



Commentaires

Sites favoris


20 sites référencés dans ce secteur