Robert Bourgi : Un travailleur aux noirs.

samedi 17 mai 2008
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Sarko, qui voulait aussi changer nos relations avec le continent africain, s’est en définitive rabattu sur l’un des derniers tenants de « l »Afrique de papa".

TOTALEMENT inconnu du grand public, non élu, résident discret du XVIe arrondissement de Paris, Robert Bourgi, 63 ans, dispose pourtant d’une considérable force de frappe.

Il est, semble-t-il, le seul Français à pouvoir se targuer, et il ne s’en est pas privé, d’avoir obtenu - sous Sarko - la tête d’un ministre.

En l’occurrence celle du sous-ministre d’ouverture Jean-Marie Bockel (ex-PS), abruptement passé, après les municipales, de la Coopération aux Anciens Combattants.

Motif : a scandaleusement mis en cause « la Françafrique (pour faire court, la persistance de relations néocoloniales et affairistes entre Paris et ses anciennes possessions), les gaspillages d’argent public » de certains Etats africains et des « intermédiaires » ni trop idéalistes ni trop ascétiques.

« Je n’ai fait que relayer (auprès de l’Elysée) les messages (d’indignation) du président Omar Bongo (Gabon) et du président Sassou Nguesso (Congo-Brazza) », se défend Bourgi.

« En vérité, ironise un membre du gouvernement, selon sa bonne habitude, Bourgi en a sans doute rajouté sur Bockel auprès de Bongo avant de venir pleurer auprès de Guéant (son officier traitant au Château) : »C’est terrible, on ne peut plus retenir Bongo !".

Compréhensible : la « Françafrique » et le boulot d’« intermédiaire », c’est la raison sociale et même l’héritage génétique de Bourgi.

Libanais de confession chïïte installé à Dakar, papa Mahmoud Bourgi était déjà en son temps l’honorable correspondant local, sinon régional, de Jacques Foccart, grand maïtre de la ténébreuse politique africaine de De Gaulle, Pompidou puis Chirac.

Universitaire et avocat, même s’il n’encombre pas vraiment les prétoires, Robert, grandi dans le sérail, a repris le flambeau.

Bourgi a eu son quart d’heure de relative notoriété voilà vingt ans sous la première cohabitation (Chirac). A l’époque, il conseille tout à fait officiellement le ministre RPR de la Coopération Michel Aurillac.

Toujours actif en Afrique francophone, « Bob » avait quasiment disparu du champ d’action hexagonal quand, un peu moins de dix ans plus tard, un autre chiraquien se souvint, sinon de son existence, du moins du bénéfice qu’il pouvait en tirer : « C’est Villepin (secrétaire général de l’Elysée, puis ministre des Affaires étrangères) qui, au lendemain de la mort de Foccart (1997), a relancé Bourgi, raconte un diplomate. Pour lui, c’était une occasion de réactiver les fameux réseaux Foccart, mais aussi de nous faire valoir auprès de nouveaux chefs d’Etat. Il est tellement mielleux avec ses présidents ! ».

Lesquels, à en croire Robert, sont suspendus du matin au soir à sa ligne téléphonique.

C’est excessif : bien introduit en effet dans plusieurs palais présidentiels, Bourgi a d’abord eu deux idoles africaines qui sont ou furent aussi deux gros clients (il fait bien rémunérer son entregent).

Le défunt Mobutu, en premier lieu (trente-cinq ans d’autocratie ruineuse). Le Conducator zaïrois est-il en peine de se rendre à Biarritz pour cause d’impayés ici ou là ?Bourgi calme les créanciers.

Et c’est encore lui qui, dans les dernières années de Sese Seko, interdit de séjour par l’Union européenne, se bat comme un lion pour lui décrocher un « visa sanitaire » [1].

L’autre dieu vivant, là-bas, de Bob - dont le frère Albert, universitaire lui aussi, défend une politique diamétralement opposée - est le président pétrolier gabonais Bongo, doyen des chefs d’Etat africains en exercice (quarante et un ans de pouvoir), écouté très au-delà de la zone francophone.

« Cher papa, toute la famille (RPR) réunie vous embrasse bien affectueusement et vous dit merci pour votre paternelle attention. »
Ainsi démarre, simple exemple de son activisme passé et présent, un courrier de Robert à Omar en novembre 1998. A l’époque, pour attester la parfaite tenue de la présidentielle gabonaise, notre homme monte une expédition de magistrats et juristes français supposés indépendants.

Vérification faite, ils sont tous chiraquiens pur jus.

"J’ai été stupéfait que pour conduire sa politique africaine notre président - de - rupture se rabatte - à l’heure ou Indiens, Chinois, Américains, Canadiens, représentants des Emirats se bousculent en Afrique - sur ce dernier des Mohicans qui défend encore le parti unique.
Et qui est en sus une créature de Villepin !"
, râle quelqu’un qui a beaucoup croisé Robert dans sa carrière.

C’est que ça marche, là encore.

Introduit apparemment en Sarkozye via Claude Guéant, ex-collaborateur de l’Africain Pasqua, Bourgi, plus mielleux que jamais, présente Gbagbo à Sarko au dernier sommet Europe-Afrique (novembre 2007) à Lisbonne.

Ou bien encore fait, avec succès, donner Bongo quand, en route pour l’Afrique du Sud, les tourtereaux Nicolas et Carla expriment le souhait de rencontrer le très affaibli Mandela.

Le tout pour ne rien dire des grands numéros téléphoniques de Bob dans les bureaux des conseillers élyséens (« J’ai en ligne tel président ! J’appelle immédiatement tel autre »).

Une vraie nounou, décidément, que ce Robert naguère si déchainé contre les balladuriens qui avaient dévalué le franc CFA qu’il allait s’en plaindre aux collaborateurs de Tonton. Une nounou bizarrement sortie de l’ombre : « Un temps, il souhaitait vraiment devenir ministre », croit se souvenir un observateur sénégalais.

C’était bien la peine pour Sarko de tant critiquer De Gaulle.

Par Patrice Lestrohan dans Le Canard EnchaÏné du 14/05/2008

Transmis par Linsay


[1Qui lui permettra de se rendre à Nice, officiellement pour soigner une rage de dents.



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