L’accordéoniste vient à peine d’arriver, il est toujours le premier.
Les autres musiciens sont encore en train de se changer dans les loges.
La salle de bal est encore vide, enfin presque.
Comme chaque vendredi, Louis est déjà assis au bord de la piste. Le patron lui a servi une menthe à l’eau, il en boit trois ou quatre à chaque bal.
Louis tourne la tête vers la scène où l’accordéoniste ouvre l’étui de son accordéon. Il a entendu le déclic des fermetures.
Un son s’échappe de l’accordéon enfin libéré, un souffle.
Louis espère que, ce soir, il y aura Laura et Sandra et Martine, Claudine, Vera et Nicole.
Avec elles, la soirée sera forcément joyeuse.
Laquelle viendra le chercher en premier ?
Elles feront semblant de se disputer la première danse puis elles éclateront de rire en lui demandant de choisir la plus belle !
Comment pourrait-il choisir la plus belle ?
Il ne connaît d’elles que la souplesse de leur corps, l’agilité de leurs pieds, la grâce de leur cambrure.
Ce ne sont pas forcément des critères de beauté, c’est du bonheur pour le cavalier et c’est tellement plus !
Il peut dire leur prénom au bout de quelques mesures.
Aucune ne s’abandonne dans les bras de la même manière, aucune ne se laisse guider avec la même docilité, aucune ne glisse sur le plancher de bal comme une autre.
Louis se redresse un peu plus, la salle commence à se remplir, il fait plus chaud, les chaises sont bousculées, déplacées, traînées au gré des groupes.
Les musiciens sont maintenant tous à leur pupitre.
Une valse ou un tango, avec quelle danse vont-ils ouvrir le bal ce soir ?
Louis tire sur sa veste, il veut être impeccable pour le premier regard qu’elles poseront sur lui.
Il vérifie que ses lunettes sont bien sur son nez.
Des lunettes noires, juste pour ne pas troubler l’harmonie de ce moment avec ses yeux vides et rester le cavalier le meilleur encore un soir, celui qui n’est jamais déçu par celle qui viendra l’inviter à danser
pourvu qu’elle aime autant que lui glisser sur le parquet du bal.