Les services publics ? un Trésor !...

lundi 28 novembre 2005
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Frédéric Larrivée est secrétaire du syndicat CGT du Trésor

Rouge Midi : Depuis plus de 10 ans, dans l’ensemble du secteur public, le critère de rentabilité a peu à peu pris le pas sur l’objectif d’efficacité sociale qui prévalait à la mise en place des services publics à la libération.
Comment cela s’est il traduit dans ton secteur d’activité ?

Frédéric : Je travaille au Trésor Public, une des directions du Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie (Minéfi). En nombre de personnel, c’est la deuxième après celle des Impôts.
Nous encaissons les impôts mais l’essentiel de notre activité est la gestion des collectivités territoriales, des établissements publics et la dépense de l’Etat.
Nos services sont au cÅ“ur de ce que l’on désigne par la « réforme de l’état » ou encore sa « modernisation ».
Modernisation, réforme : ces mots ont vu leurs sens renversés !

C’est de la pure idéologie, comme également dans l’expression ressassée de « Réduire le train de vie de l’Etat »...Cela laisse à penser que la Res Publica, la chose publique serait mal gérée, que les fonctionnaires seraient partie prenante d’un gaspillage éhonté des fonds publics (donc des impôts payés par les contribuables) ou encore que nos ministres et autres hauts fonctionnaires vont désormais se déplacer en rollers ! Populisme et démagogie.

Loin du « moins d’Etat », c’est de l’Etat social dont « ils » veulent la fin.

« L’efficacité sociale » dont tu fais référence dans ta question est dans la ligne de mire depuis plus de 20 ans. Et bien évidemment, les libéraux de tout poil frappent en amont, là où se situe le nerf du social : à travers la fiscalité bien sûr et aussi le symbole, le ministère de l’économie, ses missions,...et ses fonctionnaires. Nos derniers ministres : Francis Mer, Sarkosy et maintenant Breton...Tout un programme.

La fiscalité est de plus en plus injuste : les dernières mesures votées remettent en cause la progressivité de l’impôt ( principe républicain) au profit des plus riches, le taux de l’impôt sur le bénéfice des société a fondu depuis 25 ans tandis que les impôts indirects (TVA,TIPP) continuent d’assurer plus de la moitié des recettes fiscales de l’Etat. Quant aux impôts locaux, ils flambent, du fait de la décentralisation et du recul des interventions de l’Etat dans les territoires.
Les critères de rentabilité appliqués ce sont bien sûr les suppressions d’emplois : le MINEFI doit montrer l’exemple ! En 3 ans 7000 emplois ont été supprimés ! Alors qu’il représente moins de 8 % du total des effectifs de la Fonction Publique d’Etat, le MINEFI participe à hauteur de 50 % de la totalité des emplois supprimés dans la dite Fonction Publique pour 2006.

Ce sont également les abandons de missions : par exemple l’épargne (populaire), les comptes chèques (les moins chers avec ceux de La Poste), le contrôle des fonds publics avec la mise en place de « sondages », le contrôle sécurité des poids lourds qui est privatisé...un code des marchés publics de plus en plus allégé...
En se « recentrant sur le cÅ“ur du métier », les objectifs sont multiples. Ils sont également conjugués avec un enjeu énorme : qui contrôlera à terme les flux financiers générés par la dépense publique ou encore la manne que peut constituer la gestion financière des collectivités locales ? La simplifications des procédures de contrôle accélère la circulation des flux...Il s’agit de fonds publics mais certains entendent en faire leur beurre...

Les critères de rentabilité, ce sont aussi les économies d’échelle : disparitions des trésoreries, fusions de services, centralisations à l’échelle départementale de missions : Par exemple le recouvrement des amendes ou de la taxe d’urbanisme.
C’est aussi pour l’administration la possibilité de s’appuyer sur les progrès technologiques pour « industrialiser » le recouvrement : on déshumanise les procédures. Il n’est question que de statistiques, de contrats d’objectifs et d’indices de performances. Les gains de productivités ne sont pas utilisés pour redéployer et développer les missions mais uniquement pour supprimer les emplois et les implantations de proximité.
La manif du 19 novembre à Paris du collectif « Pour que vivent les Services Publics » a été portée par la formidable mobilisations des agents notamment de La Poste et du Trésor de la Creuse contre les fermetures des bureaux en zone rurale. Dans des zones très urbanisées, l’aménagement du territoire commence dans les quartiers !

Rouge Midi : Quelles conséquences pour le service rendu ? Peut on encore parler aujourd’hui de service public garant de l’égalité d’accès à un droit fondamental ( énergie, santé, transport,éducation, emploi, communication, logement...) ?

Frédéric : Si les services publics n’ont pas les moyens budgétaires de fonctionner, forcément ça coince sur la qualité du service rendu. Et cela participe aussi quelquefois du « désamour » des usagers.
En se privant volontairement de recettes, le(s) gouvernement(s) saborde(nt) les services publics. Le rôle central, la capacité d’intervention de l’Etat en est réduit : c’est un choix. Le même type de choix qui préside à la privatisation de certaines activités d’un service public : on le prive ainsi d’une capacité d’autofinancement...
Plus subtil, on le transfère à une collectivité locale ( décentralisation) : celle-ci n’aura pas les possibilités à moyen terme de le conserver...et le délèguera...au privé.

Le désamour du service public, ça se distille, ça se répand, ça se travaille besogneusement ! Si ce n’est pas très populaire, on en profite ! Par exemple au Trésor, avant, si tu voulais des renseignements sur une taxe d’urbanisme ou une amende, il te suffisait d’aller à la perception où tu payais tes impôts : là où tu habites. Aujourd’hui tu vas à Marseille pour t’expliquer avec le Trésorier : Tant pis si tu habites Châteaurenard ! Tu veux aller à la Trésorerie des amendes, tu dois poser au moins une demie journée de congé, prendre ta voiture, subir les embouteillages, trouver une place pour te garer, prendre peut être un PV et rentrer décontracté dans un bureau où 45 personnes ont déjà leur ticket. Ça vient à toi au bout de 1 h 00, et tu t’entends dire qu’il faut écrire à l’Officier de Police Ministériel...parce qu’il ne reçoit plus le public...Comme tu n’avais posé qu’une demi journée de congé, tu seras en retard au boulot...
Critères de rentabilité oblige, des trésoreries sont fusionnées, cela permet de supprimer des emplois et de faire des « économies » ou encore de vendre des locaux vacants...

A Marseille, le « hasard » a fusionné les trésoreries des quartiers populaires : 1er et 6e ; 3e et 14e ; 2e ,15e et 16e ...En général tu vas dans ta perception quand tu as un problème pour payer...En fusionnant, tu additionnes la fréquentation... Les pauvres ont donc le temps d’attendre...
Autre conséquence des critères de rentabilité, c’est le recours à des poursuites massives sans discernement. Envois de saisies en masse, de blocages de comptes bancaires pour des sommes parfois dérisoires... Même si notre rôle est bien sûr d’encaisser les impôts, 10 % de chômeurs, des centaines de milliers de salariés pauvres et des impôts locaux qui flambent...ça transforme la donne.

Mon syndicat lutte au quotidien pour maintenir l’égalité d’accès et de traitement des usagers. Pour nous, un service public, c’est la proximité et la pleine compétence, pas des antennes bidons pour rassurer un temps les élus, les maires, qui voient d’un mauvais Å“il un service public disparaître de leur commune. Le travail d’explication des syndicalistes auprès des usagers et des élus commence à porter ses fruits ! Il n’est pas normal d’avoir à parcourir des dizaines de kilomètres pour rencontrer un fonctionnaire ! Le travail d’explication des syndicalistes auprès des usagers et des élus commence à porter ses fruits !

Rouge Midi : Le statut et les conditions de travail du personnel ont- ils été affectés par cette transformation radicale de la nature de l’entreprise ?

Frédéric : Travailler dans un Service Public, c’est aussi prendre le temps pour écouter, orienter et conseiller les citoyens. Nous avons un rôle important dans la cohésion sociale.
Comme je te l’ai dit, celui ou celle qui va dans une trésorerie connaît des difficultés financières.... Nos connaissances administratives et juridiques permettent souvent de démêler l’écheveau...Dés fois on est aussi écrivain public ! A part que tu t’en doutes, ce n’est pas très bien vu par les tenants de la « rentabilité ».
Les critères de gestion « privés » sont entrés en force dans nos administrations. Il y a aujourd’hui une accélération. Avec le décret du 29 avril 2002 sur la réforme de l’évaluation notation des fonctionnaires, la « gauche plurielle » a donné les moyens juridiques de « contourner » les règles générales de gestion des carrières jusqu’alors dévolues par le statut de la Fonction Publique d’Etat : ou tu participes activement à la logique des critères de rentabilité ou ta carrière va en prendre un coup ! (Récompense du « mérite », individualisation des procédures et mise en concurrence des agents entre eux...). Cela s’ajoute au décret d’Aménagement Réduction du Temps de Travail qui a détourné la revendication des 35 H : aucun emploi créé !

La pression est énorme sur les agents, sur tous les agents qu’ils soient de catégorie C, B ou A, c’est-à-dire employés et cadres intermédiaires.
La souffrance au travail augmente c’est un fait avéré. Avec également une augmentation anormale de maladies dont on sait que le stress est aussi un facteur déclencheur. La fédération des finances CGT a demandé à plusieurs reprises une étude en lien avec la médecine de prévention et le Comité Hygiène et Sécurité.
Le mal être au travail se détériore aussi avec les suppressions d’emplois et la remise en cause des valeurs du service public.
C’est aussi le recours aux contractuels, aux contrats précaires, à l’administration « virtuelle » avec les centres d’appel...

Rouge Midi : Quel contenu donnerais- tu à la notion de « service public digne de notre temps » ? (missions, statut et qualification du personnel, gestion démocratique).

Frédéric : Dans ma profession, depuis des années, l’approche n’est plus celle d’un service fiscal, économique et financier au service de l’intérêt général, du plein emploi, du développement économique.
Je dis cela sans idéaliser le « passé ». Mais aujourd’hui on nous parle de secteurs « à forte valeur ajoutée »...
Les critères de management transforment certains agents :J’ai entendu un percepteur parler de « chiffre d’affaire » pour les impôts qu’il encaisse...le terme de « client » tend à remplacer celui de contribuable..
Des services publics dignes de notre temps, c’est d’abord poser la question de la finalité du Service Public : Est-ce la réponse aux besoins sociaux ? Est-ce l’égalité d’accès et de traitement des usagers, des citoyens ?

C’est ensuite poser la question de l’emploi public, de son statut, de son attractivité, de la reconnaissance des qualifications, du rôle de la fiscalité, de la répartition des richesses créées dans le cadre de la redistribution et le contrôle des fonds publics.
C’est aussi déterminer démocratiquement les objectifs de service public.
La loi organique aux lois des finances détermine des objectifs : mais qui les a réellement définis ? : le gouvernement ? Les députés ? La technocratie des cabinets ministériels ?
Qui établit les critères d’évaluation ? Quels sont leurs natures ?

Réinventer le service public, c’est forcément donner aujourd’hui les moyens aux citoyens, à la société civile, aux organisations représentatives de participer à la détermination des objectifs et d’avoir un véritable contrôle sur la mise en Å“uvre des politiques publiques.
C’est travailler comme syndicaliste à casser la spirale infernale des privatisations, du dumping social et fiscal, de la mise en concurrence : l’intérêt général, le bien commun, ça ne s’échange pas sur un marché ou une place boursière.
La réflexion ne peut se passer d’une approche de proximité, au plus prés des citoyens... et la donne européenne me semble incontournable.
Entre les deux, le rôle des militants syndicalistes, associatifs et politiques. Du 29 mai qui durerait.



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