Le voleur de mots

jeudi 29 novembre 2007
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Le voleur d’espoir avait encore frappé.
Cette fois, il déroba l’histoire parce qu’il n’y avait plus grand chose à voler.
Il avait déjà volé le temps, il avait même commencé par là. Mais, très vite, le peuple prit l’habitude de perdre le temps à courir en tout sens pour gagner sa vie mais aussi pour la perdre en achetant sans cesse, même le dimanche.

Ensuite, le voleur d’espoir avait volé les sentiments les plus nobles : la solidarité, la générosité, le respect et bien d’autres. Sa technique, pourtant grossière, fut très efficace : il noya dans un bain gras de sensiblerie niaise tous ces sentiments qui finirent par glisser comme des savonnettes et nous écoeurèrent bien vite au point d’en oublier leur humanité.

Puis, il déroba le langage. Pour être plus précise, cette fois, il ne le vola pas, mais il séquestra les mots, les vida de leur sens et les distribua à profusion jusqu’à créer une inflation qui les dévalorisa totalement. Des exemples ? « Réenchantement » (du monde de l’entreprise), « Nation », « Révolution », « Liberté », « Identité », « Vocation » (les étrangers n’ont pas vocation à rester sur notre territoire), « Otage »(citoyen témoin d’un mouvement de grève et de revendication), « Ecole », « Travail » , « International » (mondialisation), « Bien commun », « Social » (plan), « Humain »(ressources), « Défavorisés » (exploités)…

Il les brada même à des enseignes de la grande distribution qui reprit les slogans de Mai 68 pour ses publicités !

Puis, on vola la chair, les odeurs, les aspérités de la vie pour les mettre en cage, des cages de verre. On fit défiler la vie sur des écrans pour faire écran à la vie et on aveugla la planète avec la lumière cathodique.
Il ne restait plus qu’à voler l’histoire et on figea quelques hommes dans des statues de héros.

On coupa leur histoire de celle de leur vie et de leurs compagnons, on épingla les sentiments comme des papillons sur la planche de l’entomologiste et on broya les convictions avec les cœurs.
C’est ainsi que l’on obligea tous les enfants de France à écouter chaque année une lettre d’un jeune résistant communiste qui jaunit bien vite comme les fleurs des gerbes des monuments aux morts.
Pressés, aveuglés, assourdis de mots vides, le peuple crut que le bruit des chaînes avait disparu et ne se rendit pas compte que les chaînes étaient toujours là.

Désormais les chaînes étaient aux cœurs.



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