Ce devrait être un coup dur pour le OUI

jeudi 6 janvier 2005
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TRIBUNE LIBRE

Quand nous disions que la constitution européenne nous dessaisirait de tous
nos pouvoirs et que, par exemple, nous ne pourrions plus avoir notre propre
position sur l’Irak ou nous battre pour notre Code du travail, l’on nous opposait
que c’était là de doctes protestations. Et l’on minimisait les choses :« Ce n’est
pas une constitution mais un traité ! Où avez-vous vu un super-État
européen ? » Et puis patatras ! Voilà l’avis du Conseil constitutionnel : nous
avions raison. Il n’est pas possible de ratifier la constitution européenne sans
commencer par modifier la nôtre, qui y fait obstacle.
La Constitution française fait obstacle, dit le Conseil, parce que, « par le
préambule de la Constitution de 1958, le peuple français a proclamé son
attachement (...) aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été
définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de
la Constitution de 1946 ». Or, nous dit le même Conseil : « Dans son article
III, la déclaration énonce que le principe de toute souveraineté réside
essentiellement dans la nation » et « l’article III de la Constitution de 1958
dispose (...) que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce
par ses représentants et par la voie du référendum ».
Mais faut-il nous laisser égarer par ceux qui nous rabâchent que la
souveraineté nationale est un concept archaïque (sauf bien sûr quand il s’agit
du Kosovo ou de l’Ingouchie) ? Les textes ci-dessus (Déclaration de 1789 et
Préambule de 1946, que les constituants de 1958 n’ont pas pu ne pas
reprendre) rappellent le contenu progressiste de ce concept, voire
révolutionnaire, si on lui donne son contenu de souveraineté populaire (« la
souveraineté appartient au peuple »). Il est même si peu désuet qu’il y a
seulement soixante ans, l’acte fondateur du nouveau droit international qu’est
le préambule de la charte des Nations unies lui a donné une dimension d’ordre
public mondial : « Nous, peuples des Nations unies, avons décidé d’unir nos
efforts en conséquence nos gouvernements ». Si bien que le principe
fondamental nouveau, que l’on ne pourra faire vivre que par un dur et
constant combat, est que les gouvernements (y compris à l’ONU) ne sont que
les représentants des peuples, souverains et régis par les trois notions de leur
pluralité, de leur égalité et de leur obligation de respect mutuel.
La souveraineté nationale est dès lors un concept fondamental des droits de
l’homme : une liberté maîtrisée à l’échelle des peuples, comme à l’échelle des
individus. Le droit de chacun aux droits (et pouvoirs) de son peuple est donc
un droit fondamental de l’homme, d’ailleurs rappelé par les deux pactes des
Nations unies de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits
économiques, sociaux et culturels de l’homme.
Cependant, quels seront nos pouvoirs demain d’avoir notre propre position sur
l’Irak et pour notre Code du travail ? Or, c’est bien là que le Conseil constitutionnel confirme que le bât blesse : la constitution européenne ne peut
être ratifiée sans modification des textes rappelés ci-dessus, parce
qu’« appellent une révision constitutionnelle » :

1) Les clauses qui transfèrent à l’Union des compétences affectant les
conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale dans des
domaines ou selon des modalités autres que celles prévues (par les traités
précédents). Pourtant, « la mise en oeuvre (du principe de subsidiarité)
pourrait ne pas suffire à empêcher que les transferts de compétence revêtent
une ampleur ou interviennent selon des modalités telles que puissent être
affectées les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.

2) Les dispositions du traité qui transfèrent à l’Union (...) des compétences
inhérentes à l’exercice de la souveraineté nationale - les art. III-265 dans le
domaine du contrôle des frontières, III-269 dans le domaine de la coopération
judiciaire en matière civile, III-270 et 271 dans le domaine de la coopération
judiciaire en matière pénale, III-274 relatif à la création d’un parquet
européen.

3) Les dispositions du traité qui, dans une matière inhérente à l’exercice de la
souveraineté nationale mais relevant déjà de la compétence de l’Union,
« modifient les règles de décision applicables soit en substituant la règle de la
majorité qualifiée à celle de l’unanimité, privant ainsi la France de tout pouvoir
d’opposition, soit en conférant une fonction essentielle au Parlement européen,
lequel n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale, soit en privant la
France de tout pouvoir propre d’initiative » - et là, le Conseil inventorie : les
art. III-273 et 276, sur les structures, le fonctionnement, le domaine d’action
et les tâches d’Eurojust et d’Europol, III-300, relatif aux actions et positions de
l’Union décidées sur proposition du ministre des Affaires étrangères, III-191,
relatif aux mesures nécessaires à l’usage de l’euro, III-419, dans les matières
intéressant l’espace de liberté, de sécurité et de justice, III-264, qui (en
matière de sécurité et de liberté) substitue au propre pouvoir d’initiative dont
dispose chaque État membre l’initiative conjointe d’un quart des États.

4) Toute disposition du traité qui, dans une matière inhérente à la
souveraineté nationale, « permet de substituer un mode de décision
majoritaire à la règle de l’unanimité », et le Conseil note que cela peut
concerner le droit de la famille, les règles minimales de procédure pénale, ainsi
que la possibilité que « les décisions relatives à la politique étrangère et de
sécurité commune, dont la portée n’est pas limitée par le traité, soient
désormais prises par le conseil à la majorité qualifiée, s’il en est décidé ainsi
par le Conseil européen, se prononçant à la majorité mais sans ratification
nationale ».
Mais l’avis du Conseil a un autre mérite : comme va en découler une
convocation du Parlement en Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis)
pour procéder aux modifications constitutionnelles « nécessaires », les
parlementaires ne pourront pas ignorer les responsabilités devant lesquelles ils
seront placés devant le peuple et l’histoire. Bien plus : le Conseil rappelle que
la Constitution dispose que « la souveraineté appartient au peuple, qui l’exerce
par ses représentants ». Ses représentants sont donc habilités à « exercer »
cette souveraineté, mais nullement à en disposer. Un adage fondé
historiquement a même toujours considéré que le peuple lui-même ne peut
pas renoncer à sa souveraineté, qu’elle est « inaliénable », ce qui l’autorise
toujours à la reconquérir (comme la décolonisation en a consacré le principe),
en considérant comme nulles ses abdications. Mais à plus forte raison des
renonciations à souveraineté ne relèvent pas du pouvoir de représentation des
parlementaires.




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