Clichy sous bois : un témoignage édifiant

mardi 8 novembre 2005
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lu sur Infozone, mardi 1er novembre 2005

Clichy-sous-Bois : zone de non-droits ou zone d’injustices ?,

Témoignage et retour sur une série de mensonges

Je suis à Clichy par intermittence depuis samedi matin pour préparer avec une journaliste de France-Inter une série d’émissions sur la situation à Clichy-sous-Bois. La ville s’est "embrasée" du jeudi 27 octobre au soir au lundi 30 au soir. Je livre ici ce que j’ai vu, entendu, compris, et ce qui m’a été rapporté.

1. deux jeunes morts (Zyad et Bouna, 17 et 15 ans, du collège n°3) semblent bien avoir été poursuivis par la police, contrairement à ce qu’affirmait la version officielle qui niait toute course-poursuite (version Sarkozy et Parquet). Pourquoi aller dans cette ruelle et escalader une palissade pour se cacher dans un transformateur EDF alors même que leur cité se trouvait non loin du lieu du drame ?

2. Les jeunes, une dizaine, alors qu’ils jouaient au foot, ont fui un contrôle de police car certains n’avaient pas de papiers (entre autres, le troisième électrocuté, Metin, en cours de régularisation). Jamais ils n’ont commis de vol sur un chantier comme le prétendait la version officielle, reprise pourtant par de Villepin jeudi, et qui n’est plus défendue aujourd’hui par personne puisque samedi, le procureur de Bobigny a reconnu à son tour qu’il s’agissait d’un simple contrôle d’identité. D’ailleurs les jeunes garçons interpellés ont été relâchés une heure après leur arrestation, preuve qu’ils n’avaient rien à se reprocher. Metin, gravement brûlé, "ne se souvient de rien" selon la version officielle... Ce silence a-t-il un lien avec son statut juridique ?

3. Des rumeurs de toutes sortes se sont ainsi développées dans la ville : pourquoi ces mensonges policiers ? que cachent-ils ? Des émeutes ont éclaté : spontanées jeudi, elles ont été encadrées vendredi par des "anciens". Les premières cibles sont : la poste (voitures brûlées), les pompiers (un camion caillassé), les abris bus, une école (début d’incendie). Les émeutes de vendredi ont été particulièrement violentes ( coups de feux sur les cars de gendarmes et de CRS, jets de projectiles...). Elles ont eu lieu dans les grandes avenues qui bordent la cité du Chêne pointu (près de la Pama). De très nombreuses voitures ont été brûlées : leurs carcasses calcinées jonchaient les rues encore samedi matin.

Samedi matin, une marche silencieuse a été organisée par les associations religieuses et la mosquée. L’heure était aux appels au calme. Les regards se tournaient vers la justice et Sarkozy était souvent conspué. Les institutions musulmanes, la mairie et les militant associatifs, visiblement unis, semblaient reprendre le contrôle de la situation. On a compté un peu plus d’un millier de participants. Pour éclaircir les circonstances du drame de jeudi, le maire PS de Clichy, Claude Dilain, épuisé et ému, qui semble bénéficier d’une rélle écoute auprès de la population clichoise , jeunes compris, a demandé officiellement à Nicolas Sarkozy l’ouverture d’une enquête sur la mort des deux jeunes. L’avocat des familles des victimes, de son côté, à la sortie d’une réunion qui a eu lieu à la mairie après la marche silencieuse, affirmait vouloir déposer une plainte pour non-assistance à personne en danger pour faire toute la lumière sur les circonstances du drame. Tout paraissait calme dans la journée et les forces de l’ordre demeuraient invisibles.

Samedi soir, au moment de la rupture du jeûne (vers 18h30), les 400 CRS et gendarmes, dont une partie vient de Chalon-sur-Saône, sont sortis un peu partout dans la cité du Chêne pointu. Comme à l’accoutumée, il s’agissait d’encercler - "de boucler" - le quartier. Don quichottisme policier : en cohorte, à la façon des légions romaines, au pas de course, visière baissée, bouclier au bras, et /flashball/ à la main, ils parcourent les rues une à une contre des ennemis invisibles. A cette heure, tout le monde mange et personne ne reste dehors. Pourquoi cette démonstration de force alors même que les rues étaient particulièrement calmes ? "Provocations policières" répondent à l’unisson les habitants interrogés. C’est un leitmotiv depuis vendredi soir.

Au bout d’une heure, quelques jeunes sortent et se tiennent face aux policiers : tous attendent le début des affrontements. Quel sens donner à cette stratégie policière à part celui qui consiste à vouloir "marquer son territoire", c’est-à-dire appliquer une version animale et musclée du retour à "l’ordre républicain" ? Plusieurs témoignages et enregistrements sur portable manifestent aussi, de façon indiscutable, la volonté de la police d’en découdre avec les jeunes (insultes racistes, appels au combat, bravades...).

Je suis monté aux Bosquets - à la mosquée Bilal- vers 21 heures : elle était pleine à craquer (1200-1300 personnes environ) pour cette nuit du Destin que les fidèles passent traditionnellement à la mosquée. De nombreuses voitures et poubelles ont déjà brûlé et les jeunes venaient se réfugier aux abords de cette enclave en plein milieu de la cité. L’ambiance néanmoins était au recueillement, et les imams, depuis le début, ont joué un rôle important dans la pacification.

Samedi soir, en dépit des provocations policières, les affrontements semblaient moins violents. Est-ce l’effet des appels au calme répétés depuis le matin ? Est-ce dû à l’importance rituelle de la nuit du destin en cette période de Ramadan ?

4. Dimanche soir, en guise de témoignage, un coup de fil désespéré et indigné d’Ibrahim, le fils d’un imam, à 20h55 : la police vient, en pleine prière, de gazer la mosquée des Bosquets. Des femmes - dans la salle de prière qui leur est spécialement réservée - se sont presque
évanouies, me dit-il. A leur sortie, elles sont insultées par des membres des forces de l’ordre, me rapporte-on : "pute, salope...".
Toutes les médiations avec la police s’avèrent impossibles, et ceux qui s’y risquent ont pour toute réponse un "dégage" cinglant et risquent d’être blessés par un /flashball/. Ibrahim me demande de témoigner mais je ne suis pas à Clichy à ce moment-là.

Cette nouvelle paraît hallucinante. Comment peut-on attaquer un lieu de culte ? Pourquoi gazer la mosquée alors que les autorités religieuses étaient les seules avec la mairie à pouvoir calmer la situation ? Dès lors l’embrasement total menace, les affrontements reprennent et de nouvelles voitures sont brûlées : les positions se radicalisent d’autant plus que dans la nuit les forces de l’ordre nient avoir utilisé des grenades lacrymogènes contre la mosquée. Le modèle de grenade utilisé contre les fidèles de la mosquée ne correspondrait pas à celui qu’utiliserait la police. Dorénavant, il y a deux affaires : la mort des deux adolescents et l’attaque de la mosquée.

Au même moment, Sarkozy à la télévision justifie et défend le déploiement policier à Clichy et prône une nouvelle fois la “tolérance zéro” : le poing fermé dans une main, et dans l’autre...rien, à part la main invisible du marché.

5. Lundi matin, l’ambiance est tendue. A 11 heures, Sarkozy réunit à la préfecture de Bobigny les forces de l’ordre : félicitations et soutien sont les mots d’ordre de la matinée. La version officielle du gazage de la mosquée a subi quelques inflexions durant la nuit. Le modèle de grenade utilisé correspond à celui de la police, mais le doute subsiste : qui peut bien avoir jeté ces grenades dans la mosquée ? Une nouvelle fois, la version officielle ne paraît en rien correspondre à la vérité.

À 13 heures, je me rends au Chêne Pointu regarder le journal TV avec un imam et sa famille : le traitement médiatique est au coeur aussi du ressentiment exprimé par beaucoup depuis le début des "émeutes". L’impression qui domine tous les discours ici est que les médias ne
sont que les relais des institutions officielles, fussent-elles à l’origine de mensonges, et surtout qu’ils participent à la stigmatisation dont se sentent victimes les habitants de ces quartiers populaires.

Pourtant, le ton change : la presse et les chaînes de télévision se font plus critiques. La version officielle et de la mort des deux enfants et du gazage de la mosquée est remise en cause, du moins interrogée.

A 14 heures, conférence de presse à la mosquée des Bosquets. Un film, pris grâce à un téléphone portable, fait office de preuve. Il est projeté devant les journalistes nombreux : il donne à voir la panique qui a saisi les fidèles pendant le gazage. Puis les responsables ont pris la parole. Le ton est ferme, l’émotion palpable et les demandes : une enquête judiciaire et des excuses officielles. L’égalité de traitement entre les différents cultes est au cÅ“ur des revendications. Monsieur Bouhout, président de la mosquée, proche pourtant de l’UMP, se fait même menaçant quant à sa capacité à pacifier les esprits.

Le grand frère de Bouna, devant la presse, annonce qu’il refuse de rencontrer Sarkozy, jugé "incompétent" et demande, avec la famille de Zyad, une entrevue avec le premier ministre. Tous demandent que la police évacue le quartier, condition nécessaire pour retrouver un peu de calme et pacifier lasituation.

En périphérie de cette conférence de presse, des militant(e)s associatifs reviennent sur les causes socio-économiques des événements trop souvent occultées : Clichy occupe toujours une place de choix dans le palmarès des communes les plus pauvres de France et les associations ont de moins en moins d’argent pour travailler. L’ambiance est tendue à la sortie de la mosquée : des jeunes se renseignent aux abords du lieu du culte. Des femmes racontent ce qu’elles ont vu et subi : au coeur des témoignages, la colère contre la police qui multiplie les interventions "musclées" en dépit du bon sens et, trop souvent, de la loi ; contre les autorités ministérielles qui ne dénoncent pas le gazage de la mosquée dimanche soir. Les autorités religieuses, visiblement abattues et émues par ce qui s’était passé la veille, reprennent peu à peu le contrôle de la situation. Tout le monde attend la soirée avec appréhension.

A 19 heures, un accord est trouvé entre des membres de la mosquée et la préfecture : des jeunes sont désignés comme médiateurs pour "calmer" les plus énervés et prévenir les éventuelles échauffourées avec la police. Cette idée n’est pas neuve : c’était une proposition de certains jeunes samedi, mais les autorités préfectorales ne semblaient pas intéressées. Se sentent-elles impuissantes à trouver une solution au conflit ? La méthode dure, qui a prouvé son inefficacité et son iniquité, trouve-t-elle enfin ses limites ?

23h30 : La police et les jeunes jouent au chat et à la souris, mais la situation semble maîtrisée. Sur le terrain, les médiateurs jouent un rôle central me dit-on : ils vont à la rencontre des plus jeunes discuter pour les dissuader de passer à l’acte. J’apprends dans la
nuit que le garage de la police municipale de Montfermeil a été brûlé et que les forces de l’ordre ont procédé à quelques interpellations.
Les affrontements ont été évités.

*Antoine Germa *
professeur d’histoire-géographie à Clichy-sous-Bois



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