La mobilisation d’un bourg breton pour faire revenir ses travailleurs maliens sans papiers

lundi 19 mars 2007
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Le maire (PS), le curé de la paroisse, le directeur de l’usine - « même les gendarmes, mais ils sont soumis au devoir de réserve », glisse Claudine, une habitante de Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine) - partagent la même émotion. Depuis deux semaines, dans ce gros bourg de 5 000 habitants situé à 25 kilomètres à l’ouest de Rennes, les réunions publiques succèdent aux manifestations, la stupéfaction le dispute à l’indignation.

Le 28 février avant l’aube, aux environs de 4 h 30, une cinquantaine de policiers et de gendarmes ont interpellé 27 travailleurs maliens, tous employés depuis plusieurs années à la Cooperl, les abattoirs de la ville. Sur une réquisition du parquet de Rennes, l’opération visait à contrôler ces Maliens porteurs de fausses cartes de séjour, afin de procéder à leur expulsion. Quatre, titulaires de papiers en règle, ont été relâchés. Les 23 autres sont sous le coup d’une mesure de reconduite à la frontière. Onze ont été laissés en liberté après une décision du juge, et 12 d’entre eux, actuellement regroupés dans un centre de rétention de la région parisienne, attendent d’être expulsés.

Un premier l’a déjà été le 7 mars. Sidi Coulibary, originaire de Kayes (comme ses compatriotes), dans l’ouest du Mali, non loin de la frontière sénégalaise, a été placé dans un avion : destination Bamako, qu’il avait quittée pour cause de misère, voilà une dizaine d’années. Ici, à Montfort, il vivait depuis trois ans avec Sandrine, une jeune Bretonne de 21 ans, enceinte de cinq mois. Sidi avait à peine rejoint sa famille au Mali qu’André Rouault, son patron à la Cooperl, une entreprise de 600 salariés, avait déjà rempli le formulaire administratif pour obtenir son retour. Il fera la même chose avec les 22 autres.

« Au travail, c’était des gars formidables, dit-il. On les avait formés à l’abattage et à la découpe. Depuis leur départ, j’ai constaté une baisse de production de 10 %. »

Ils ont entre 25 et 50 ans, sont arrivés en France depuis plusieurs années - les plus anciens au début des années 1990. Comme la grande majorité de leurs semblables qui n’ont d’autre espoir que l’exil pour échapper à la faim, ils ont rejoint Paris par des voies clandestines.

De relations louches en filières informelles, ils ont fini par obtenir de vrais-faux papiers - achetés la plupart du temps - et ont exercé des dizaines de petits boulots dans la région parisienne avant de s’installer en Bretagne. Les premiers ont été embauchés en 2002. Puis, pendant une dizaine de mois, ils se sont suivis deux par deux. La Cooperl les a engagés dans la plus stricte légalité, sous contrats à durée indéterminée. Progressivement, ils ont accédé à des postes de plus en plus qualifiés. « Dans l’agroalimentaire, nous manquons de main-d’oeuvre, dans les métiers les plus durs, comme la découpe », explique André Rouault.

Au niveau social, leur situation était parfaitement conforme : ils payaient les cotisations salariales, l’impôt sur le revenu. Avec leur paie - la même que celle des autres salariés de l’entreprise, assure leur patron -, chacun nourrissait la famille restée au pays.

Ces arguments n’ont visiblement pas ébranlé le préfet du département, Jean Daubigny, qui a édicté les arrêts de reconduite à la frontière. « Ces personnes n’étaient pas seulement en situation irrégulière : elles avaient également commis une infraction pénale grave. La falsification d’identité n’est pas un délit anodin », se justifie-t-il, tout en assumant « entièrement la responsabilité de cette décision ».

Une rectitude toute administrative que refuse d’admettre Claudine Rochefort, porte-parole du Collectif pour la régularisation des travailleurs maliens sans papiers de Montfort-sur-Meu. Cette habitante de Montfort, aide à domicile, connaît la plupart des Maliens. Elle les a aidés à apprendre à lire et à écrire le français. C’est elle, avec quelques autres, qui, trois jours après l’opération de police - « on ne l’a pas su avant », déplore-t-elle -, a mobilisé la population.

Les initiatives se sont multipliées : une pétition signée par plus de 5 000 personnes, une réunion d’information qui a rassemblé le 5 mars plus de 300 participants, plusieurs manifestations de rue, dont celle du 10 mars où 1 500 personnes venues de tout le canton ont défilé dans les rues de Montfort.

« Ici, on est à la campagne. Les gens ne sont pas confrontés à l’immigration comme dans les grandes villes. Les Maliens faisaient partie du paysage. Ils se comportaient comme les gens du pays, saluaient les uns et les autres, participaient à la vie locale, n’ont jamais causé de troubles à l’ordre public », analyse-t-elle pour expliquer ces manifestations de solidarité. Ni elle, ni André Rouault, ni personne ne connaissaient leur situation irrégulière. Ils l’ont découverte au soir du 28 février. Mais cela n’a pas entamé leur soutien.

Article de Yves Bordenave paru dans l’édition du Monde du 16.03.07.

Transmis par Linsay



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