Abdoulaye Wade, un “libéral” de plus en plus autoritaire

jeudi 22 février 2007
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A quelques jours du scrutin du 25 février, dont le président sortant reste le favori, un professeur de sciences politiques met le doigt sur les dérives du régime.

Au début des années 1990, un consensus est né auprès des observateurs : la plupart des pays du monde étaient en transition vers la démocratie. Des signes aussi encourageants que le démantèlement du Rideau de fer, la chute des dictatures d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique avaient fait naître cet espoir.

Une réévaluation de ces prétendues transitions au début des années 2000 a remis en cause ce postulat. Sur une centaine de pays qu’on croyait en transition, un cinquième seulement ont réalisé des progrès substantiels. Plus de quatre-vingts pays se situent dans une zone grise (ni complètement démocratique, ni totalement autoritaire). Un tel constat a conduit les observateurs à une plus grande prudence. Plutôt que de parler de régimes en transition, on parle volontiers de régimes hybrides combinant des attributs de la démocratie et de l’autoritarisme.

Il faut distribuer à temps les cartes d’électeur

Sur les qualificatifs servant à décrire les régimes hybrides, celui qui me paraît le plus adapté au Sénégal sous Abdoulaye Wade est celui de régime autoritaire compétitif : à savoir un régime où des élections sont régulièrement organisées, que la coalition au pouvoir pourrait perdre, mais un régime qui garde l’essentiel des attributs de l’autoritarisme (absence d’obligation de rendre compte, intimidation et emprisonnement des opposants, dérive monarchique). Et, comme le prouve la libération des gardes du corps d’Idrissa Seck [ancien Premier ministre, candidat à la présidentielle] au sortir des négociations Idy-Wade [Idy est le surnom d’Idrissa Seck], un régime où le pouvoir judiciaire n’a pas un minimum d’indépendance vis-à-vis du monarque élu. Combien d’opposants ou de journalistes critiques ont été envoyés à la Direction des investigations criminelles, dont le seul crime a été l’exercice du droit le plus élémentaire qu’est la liberté d’expression ?

A la différence du système de pouvoir institutionnel, où personne n’est au-dessus des lois, dans le système de pouvoir personnel, les institutions n’existent que de manière abstraite. Le détenteur du pouvoir peut les manipuler à loisir. On peut interpréter les lois pour retarder les élections, réprimer les manifestations, emprisonner des opposants, amnistier des auteurs de détournement de deniers publics, j’en passe et des meilleures. Quel Sénégalais est assez naïf pour croire que le Sénat, supprimé en l’an 2000 et que l’on s’apprête à restaurer, a une autre fonction que celle qu’il avait sous le règne d’Abdou Diouf, à savoir caser les militants mécontents pour prévenir le vote sanction ?

Aujourd’hui, le peuple sénégalais aspire au changement. Personne n’est dupe des motivations réelles des érudits citant des versets du Coran et des hadith du Prophète pour provoquer des renversements d’alliance en vue de torpiller ce désir d’alternance. Le peuple sénégalais est plus polarisé aujourd’hui qu’il ne l’était en 2000 [Abdoulaye Wade, du Parti démocratique sénégalais (PDS), avait alors obtenu 58,5 % des suffrages au second tour contre le sortant Abdou Diouf]. Tout laisse penser que le scrutin du 25 février sera un référendum sur le maintien ou non d’Abdoulaye Wade. Si c’est le cas, ce seront les électeurs, et non les coalitions, qui détermineront l’issue des élections. Que les notables sollicités pour se rendre au chevet du régime agonisant se souviennent des leçons de l’an 2000. Toutes les coalitions contre nature et de dernière minute n’avaient alors pu sauver le régime d’Abdou Diouf de la débâcle.

On entend partout dire qu’il faut préserver la paix. Parmi les auteurs de ce discours, on trouve des patriotes sincères cherchant à éviter que le Sénégal ne sombre dans la tourmente qui a emporté la RDC, la Somalie, l’Angola, la Côte-d’Ivoire et d’autres. On trouve également des thuriféraires du régime davantage préoccupés par le maintien de leurs privilèges que par le bien-être du peuple. La tenue d’élections transparentes est une condition sine qua non du maintien de la paix. Cela passe par une distribution des cartes d’électeur à temps [selon l’opposition, des dizaines de milliers de Sénégalais attendent leurs cartes] et par l’audit du fichier électoral, deux choses qui ne dépendent que du régime. La balle est donc dans le camp du président.

* Professeur de sciences politiques et d’affaires internationales à l’université Columbia de New York.

Source : Sud Quotidien

Transmis par Linsay



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