21 février, une date qui résonne dans l’histoire de la lutte contre le fascisme

De Manouchian à Ibrahim Ali, l’ennemi est toujours le même
samedi 20 février 2021
par  Rouge Midi
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Ce 21 février sera enfin inaugurée l’avenue Ibrahim Ali.
Depuis 26 ans beaucoup de choses a été écrit sur ce crime raciste et l’attitude honteuse de la municipalité de Marseille.
21 février 1995 une date qui reste comme une plaie béante dans la mémoire collective marseillaise et qui fait écho à un autre 21 février, celui de 1944.
Pierre STAMBUL, vice-président de l’UJFP, sollicité par l’ami Mouloud BELKOLAI, a bien voulu répondre aux questions de Rouge Midi.

RM : Pierre le 21 février est une date qui résonne dans l’histoire. Il y a d’abord eu le 21 février 1944….Peux-tu nous présenter en quelques mots l’événement et ce qui y a conduit…

Pierre : C’est un peu pour moi une histoire familiale. Mes parents sont des Juifs arrivés (ils ne se connaissaient pas) en France en 1938. Ils venaient d’un pays qui n’existe plus, la Bessarabie, roumaine à cette époque et partagée aujourd’hui entre Moldavie et Ukraine. Ils étaient communistes et ont plongé dans la clandestinité dès le début de l’occupation. Ils étaient dans la MOI (Main d’œuvre Immigrée) qui était le bras armé du Parti Communiste. Ma mère, Dvoira Vainberg avait milité avec Olga Bancic. Elle a été agent de liaison. Sa famille, restée en Europe Orientale, a totalement disparu.

Mon père, Yakov Stambul, était étudiant en chimie et c’est à ce titre qu’il a été recruté par le groupe de résistants qui sera connu sous le nom de « groupe Manouchian ». Le groupe était organisé en « triangles ». Il y avait le groupe Boczor-Glasz-Stambul. Mon père a participé à des déraillages de trains.

C’est la police française, les sinistres Brigades Spéciales, dirigées par l’Inspecteur Barrachin qui vont réussir à démanteler le groupe. Une soixantaine de personnes sont arrêtées le 17 novembre 1943. Seul un petit nombre (Cristina Boico, Boris Holban …) ont échappé à la rafle. Mon père sera torturé pendant 21 jours à la prison de Fresnes. Il aura un simulacre d’exécution. Il sera livré aux Allemands, d’abord transféré à Compiègne-Royallieu puis à Buchenwald jusqu’à la libération du camp (avril 1945). Il a été sauvé par le fait que les Nazis ne savaient pas que Stambul est un nom juif. Sa compagne de l’époque, Menicha Chilischi a été gazée dès son arrivée à Auschwitz.

Boczor et Glasz seront fusillés avec Manouchian et ses compagnons le 21 février 1944 au Mont Valérien. Pour les Nazis (c’est la fameuse affiche rouge), ces résistants étaient « l’armée du crime ». Ils ont été les principaux résistants à Paris fin 1943 et c’est au poète Aragon et au chanteur Léo Ferré qu’on doit le fait que leur lutte exemplaire est aujourd’hui reconnue. Ils étaient italiens espagnols, arméniens, juifs …, tous « métèques » et révolutionnaires et haïs comme tels par les fascistes.
À la fin de sa vie, mon père qui avait rompu avec le communisme me disait : « on savait que si on ne résistait pas, on était condamné et si on résistait, on était aussi condamné. Alors on a résisté. » À méditer.

Puis il y a le 21 février 1995…

D’autres « métèques » et d’autres fascistes. L’anti-France sous Vichy, c’était le Juif et le Communiste. L’anti France pour Le Pen et Mégret, encore alliés à l’époque, c’est le Comorien, le Musulman, le Noir, le Rom. Les colleurs d’affiches de Mégret qui vont assassiner Ibrahim Ali sont les cousins germains des miliciens collabos ou du Ku-Klux-Klan états-unien.
Ils partagent le même sentiment suprémaciste, celui qu’il y a des gens qui ont des droits (les Blancs, les Français « de souche ») et que les autres sont surnuméraires. On est épouvanté par la persistance du suprématisme.

Tu y vois un continuum avec ce qui vient de se voter à l’AN, l’interdiction du CCIF ou les propos d’une ministre…

Je représentais l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) à la
manifestation parisienne contre la loi « séparatisme ». J’y ai dit en substance ceci : « si on prend tous les discours antisémites des années 30 et qu’on remplace le mot «  juif  » par le mot «  musulman », on a les discours actuels ». Les Juifs étaient considérés autrefois comme des « parias asiatiques inassimilables ». Les musulmans sont aujourd’hui ouvertement accusés d’être à la fois un corps étranger hostile à la France, des envahisseurs et des terroristes. La devise officielle « liberté, égalité, fraternité » est bafouée en permanence à leur égard. Les médias et le pouvoir pratiquent un véritable négationnisme vis-à-vis des discriminations au logement ou au travail qu’ils subissent. Les violences et crimes policiers qui les visent sont systématiquement impunis. Extrême-droite, droite et macronistes sont en compétition permanente et rivalisent en propos haineux, xénophobes et islamophobes.

En 1940, le journal collabo Paris-Soir titrait « Débarrassons l’université de l’emprise judéo-maçonnique ». aujourd’hui Le Figaro titre : « Comment l’islamo-gauchisme gangrène les universités ». Décidément l’histoire bégaie. En singeant Le Pen sur l’islamo-gauchisme, la ministre Vidal oublie que « l’électeur a toujours préféré l’original à la copie ». Et elle prouve que Le Pen n’a pas besoin d’être au pouvoir pour que ses idées s’appliquent.

Quand une association (le CCIF, le Collectif Contre l’Islamophobie en France), forte de 12000 adhérents, gagne des procès contre Zemmour ou Clavreul, elle est dissoute !! Sur des accusations du style café du commerce. Et il est tragique qu’il y ait eu aussi peu de réactions contre cette dissolution. [1] Pour m’inspirer du Pasteur Niemoler, opposant au nazisme, je dirais : « quand ils sont venus chercher les Musulmans, je n’ai rien dit. Et quand ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour me défendre ».

Il est temps que nous soyons capables de contre-attaquer idéologiquement au nom de nos idées : égalité, vivre ensemble, solidarité.


[1NDLR. L’ANC s’honore d’ailleurs d’avoir été une des premières organisations justement avec l’UJFP, à réagir.



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