La panne d’électricité du 4 novembre : un début ?

mercredi 15 novembre 2006
par  Charles Hoareau
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Samedi 4 novembre,une panne d’électricité a plongé une grande partie de l’Europe dans le noir.
Elle a ainsi entraîné des coupures affectant la France (la plus touchée avec 5 millions d’abonnés domestiques privés de courant ),mais aussi l’Allemagne, les Pays Bas, la Belgique, l’Autriche, la Croatie, l’Italie, le Portugal, l’Espagne...

Une erreur humaine !!!

Officiellement cette panne gigantesque est due à une erreur humaine !!! Pour permettre le passage du paquebot Norvégian Pearl sur la rivière Ems, en Rhénanie-du-Nord- Westphalie le gestionnaire allemand du réseau d’électricité, E.ON, a coupé une ligne de 400.000 volts entraînant une surcharge générale de son réseau de transport avec un déficit de 10.000 mégawatts (environ 20 pour cent par exemple de la consommation française ce jour là), risquant de provoquer une panne générale du pays. Les réseaux européens étant interconnectés on a sauvé l’Allemagne de la catastrophe en prélevant 5200 mégawatts à usage domestique à la France, soit près de 10 pour cent de sa consommation nationale à cet instant, et le reste (environ 5000mgw) sur l’ensemble des pays cités plus haut.

Une autre circonstance aggravante est évoquée : la difficulté d’adapter la production de l’énorme parc éolien allemand, sensible au vent par définition.
Il faudra attendre "au moins trois mois pour y voir clair", admet, pince-sans-rire, Gérard A. Mass, le patron de l’Union pour la coordination de la transmission d’électricité (UCIE).

"Une erreur humaine", se défend Johannes Theyssen, patron d’E.ON Energie.
Voilà qui est rassurant ! Une personne se trompe de bouton et près de 10 millions d’autres sont plongées dans le noir ! Décidément la technologie fait de grands progrès ! Elle fait tellement de progrès que la presse interroge : « A quand le prochaine panne ? » (l’Express) ou affirme : « Les grandes pannes nous pendent au nez. » (Marianne), même Le Figaro qui curieusement dénonce « une gestion fantaisiste de l’énergie en Allemagne » (pourtant puisque c’est privé ça devrait bien marcher !) est obligé de chercher les raisons de la panne ailleurs que dans l’erreur humaine et de poser lui aussi la question des investissements.

Les vraies raisons

Car évidemment les vraies raisons sont ailleurs que dans une pseudo erreur humaine ! A qui fera-t-on croire qu’il suffit qu’un employé d’Edf ait le rhume pour que le réseau tombe en panne ou qu’un conducteur de train ait la migraine pour qu’un TGV déraille !

La vérité est que privatisation aidant l’électricité est aujourd’hui l’objet de toutes les convoitises et d’une concurrence acharnée entre les firmes européennes pour la conquête et la domination d’un marché colossal de 1000 milliards d’euros.

Les firmes qui ne sont pas dans une logique de service public rendu aux nations mais dans une logique de marché investissent non dans la modernisation du réseau mais dans des opérations boursières qui se font au dépend de celle-ci. Rien qu’en Allemagne, entre production et réseau, les investissements ont chuté de 40% depuis 1980.Tous les grands groupes pratiquent le rachat des concurrents, plutôt que l’investissement dans de nouvelles capacités. C’est le cas d’E.ON,justement, qui va débourser plusieurs milliards d’euros pour acquérir l’espagnol Endesa. EDF l’a largement précédé, en achetant en Allemagne (ENBv), en Grande-Bretagne (London Electricity) et en Italie (Edison), ainsi qu’au Brésil et en Argentine. Et du fait de cette politique son chiffre d’affaire international représente plus de 40% du C.A. global.

Le résultat de cette course aux profits est qu’on a un réseau vétuste et une diminution de la capacité productive pendant que la consommation, elle, augmente. Ainsi la France qui avait une capacité productive excédentaire d’environ 10% par rapport à la consommation nationale il y a une quinzaine d’années, a vu celle-ci progressivement rognée par l’augmentation de la consommation et la fermeture d’un grand nombre d’anciennes centrales thermiques, sans programme d’équipement de production pour répondre à l’évolution des besoins,et ne dispose donc plus de la moindre marge de manoeuvre.

"Cela fait désormais plusieurs années que nous avons tiré la sonnette d’alarme, et pas que nous", explique Colette Lewiner, de Capgemini, qui publie l’Observatoire européen des marchés de l’énergie.
"En 2005, les marges de manoeuvre se sont sensiblement réduites, elles sont passées sous la barre des 5%, considérés comme le minimum de sécurité de production", poursuit-elle.

Ainsi EDF, malgré une consommation en hausse de 1,6% par an (3% pour l’ensemble de l’Europe) a non seulement limité ses investissements de production, mais a aussi pratiqué la mise sous cocon de certaines centrales au fioul.
Elles coûtaient cher et leur arrêt permet à l’entreprise nationale de récupérer des certificats de CO2,les fameux droits à polluer...

Le temps d’une France en état de surcapacité est bien révolu. L’Europe manque de centrales et on estime à 700 milliards d’euros les sommes qu’il faudrait injecter d’ici à 2020. Plutôt que d’investir les énergéticiens du continent jouent au grand jeu de l’achat-vente d’électricité. Chacun compte désormais sur les marges du voisin pour assurer ses propres pics de consommation.

Un jeu perdant à terme, plus encore quand "on observe une augmentation des événements climatiques exceptionnels", insiste Colette Lewiner, mais qui ne semble pas gêner nos producteurs. Lesquels paraissent, au contraire, gagnants à plus court terme.

"Les tensions sur le marché de l’électricité ont un effet simple, direct et très facilement observable :la hausse des prix, qui se sont en gros alignés sur les tarifs allemands. Certains industriels français doivent désormais débourser non plus 55ââ€Å¡¬ le mégawatheure mais 270" explique un ingénieur production chez EDF.

Les Polonais possèdent, eux, des capacités de production excédentaires, grâce à leurs bonnes vieilles centrales thermiques au charbon. Ils vendent beaucoup de courant et pas cher. Et, justement, "ce samedi-là, entre 2 000 et 3 000 MWh traversaient la frontière en direction de l’ouest de l’Europe", explique Pavel Antos, porte-parole de l’opérateur polonais. Parmi les acheteurs, E.ON,à l’origine de la panne. Et peut-être même quelques Français. Car entre RTE, le gestionnaire de notre réseau, et EDF, impossible de savoir si la France était au moment de la panne en phase d’exportation ou d’importation.

"La seule question est de savoir si E.ON a maintenu ses importations polonaises malgré le risque qu’il savait faire peser sur son réseau à la suite de la mise hors tension du câble pour le passage du bateau" interroge Dominique Loret, ingénieur réseau RTE. En tous cas si tel était le pari, c’est perdu : surchargé, le réseau n’a pas supporté. Toute l’Europe est désormais menacée d’une panne générale, comme celle que la France avait connue en 1978, alors qu’EDF bâtissait ses réacteurs nucléaires. A en croire André Merlin, directeur de RTE, ces "grandes pannes" devaient apparaître selon une "fréquence beaucoup plus importante" avec les risques que cela comporte pour les usagers et l’appareil de production lui même.

Quelles solutions pour la France et l’ Europe ?

"Cette panne confirme le besoin d’une politique énergétique européenne", proclame le commissaire à l’Energie Andris Piebalgs. On s’en serait douté ! on va vous organiser une de ces concurrences libres et non faussées de derrière les fagots dont vous nous direz des nouvelles !
Bruxelles parle d’imposer "des normes contraignantes" aux gestionnaires de réseaux. On va voir ce qu’on va voir !!

Les technocrates vont imposer des mesures que les pays vont s’empresser d’accepter au nom de la sacro sainte union que l’on ne peut remettre en cause et qui vont bien sûr toutes aller dans le sens du progrès social : on n’en doute pas une seconde !!!
La même Union Européenne qui en 2000 a imposé l’ouverture à la concurrence (avec l’accord quasi unanime de tous les partis, les élus P.C.F. ayant choisi l’abstention) retirant ainsi à EDF la maîtrise du transport et de la distribution,qui concernera y compris les usagers domestiques l’an prochain. Et c’est la même UE qui a confié le réseau de transport national à un organisme indépendant :R.T.E.(Réseau de transport électrique),qui peut ainsi détourner à sa guise et sans contrôle l’énergie de notre pays,comme il l’a fait le 4 novembre,au gré des aléas du capitalisme européen.

Pas de tous pourtant.
La Suisse n’a pas eu à subir de délestage malgré son appartenance à la boucle européenne, le pays a fait le choix de ne pas installer les disjoncteurs automatiques présents en France.
Pas plus que la Grande-Bretagne, qui, contractuellement, s’était assurée de pouvoir importer 2 000 MWh, quoiqu’il arrive, au travers de la Manche.

Il y a donc des pays qui ont donc conservé tout ou partie de leur indépendance énergétique. Car c’est bien là la question. Comme le dit si bien Aminata Traoré dans le film Bamako « Comment un pays qui ne maîtrise ni ses transports, ni son énergie peut il être souverain ? » Au fond cette panne est une nouvelle illustration de la domination économique que subissent les peuples d’Europe de la part des multinationales, domination que l’UE veut réguler et organiser au niveau des 25 états membres en s’appuyant sur une commission non élue au service du capital.

La logique que nous proposons est exactement inverse. Il faut en revenir à l’esprit de la loi de 1946 telle qu’elle fut conçue par Marcel Paul et qui, même si tout n’a pas été parfait parce qu’entre autres les critères de gestion capitalistes se sont peu à peu imposé dans l’entreprise même, a néanmoins permis de répondre aux besoins du pays tant au niveau de la production que du transport avec un réseau de qualité interconnectant l’ensemble du territoire national et à des tarifs parmi les plus bas d’Europe.

La nationalisation (et non l’étatisation) d’EDF et GDF fusionnés est plus que jamais d’actualité si nous ne voulons pas connaître les « grandes pannes » promises par les directions actuelles qui n’ont pas cette conception du service public. Une nationalisation dans une forme aboutie que nous n’avons jamais connue même si nous nous en sommes approchés. Une nationalisation rendant le peuple propriétaire et maître des choix de gestion pour la réponse à ses besoins.

Une nationalisation pierre angulaire d’une internationalisation du service de l’énergie et non sa vente comme outil de domination.
Quand le Mali échange son coton contre le pétrole Vénézuelien ces deux pays ne vont ils pas dans ce sens d’autres rapports internationaux basé sur l’intérêt des peuples ?


Certains éléments de cet article (en particulier les citations) sont repris d’un article de Marianne transmis par Linsay



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