III) Minneriya. Tant qu’il y aura des éléphants

dimanche 26 août 2018
par  Charles Hoareau
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Bien que n’ayant reçu aucune invitation officielle, nous profitons de notre passage à Kibissa pour nous rendre au congrès annuel des éléphants au parc national de Minneriya à quelques kilomètres d’ici.

Sans que l’on en comprenne la raison, tous les éléphants du Sri Lanka se retrouvent chaque année à la même période autour des principaux points d’eau de cette région. Ils traversent tout le pays et viennent ici par familles entières, nonchalamment, jusqu’à leur destination. Leur congrès fini ils repartent…sans doute pleins de résolutions votées en commun…Quand ils arrivent à Minneriya, ils palabrent, se… « trompent » puis se trempent mutuellement dans l’eau d’un immense lac artificiel datant de plusieurs siècles. Le Sri Lanka est parsemé de ces lacs royaux. Les rois avaient parmi leurs charges, celle de l’eau. En vertu de celle-ci, ils ont fait au cours des temps creuser des étendues de terre et monter des barrages qui aujourd’hui encore préservent l’île de la sécheresse, les moussons faisant le reste.

C’est dans une des jeeps affectées à cette activité, la circulation étant interdite dans le parc, que nous pénétrons au cœur de la réserve. En chemin nous observerons des paons qui, comme les singes, sont présents dans toute l’île y compris en ville, des biches, des ours noirs et bien sûr, en arrivant sur les berges du lac, des éléphants.

Ils sont moins grands que ceux d’Afrique mais tout aussi majestueux. Après avoir fait la grasse matinée dans la forêt, ils s’ébranlent doucement en début d’après-midi pour arriver au lac juste avant le crépuscule. Les mères sont avec les petits, le plus souvent par groupes avec tantes, grand-mères et sœurs les petits suivant la troupe en sautillant pour rester dans le rythme de la marche. Les mâles sont solitaires chassés de la troupe depuis l’âge de 12 ans.

En chemin ils font de longues pauses pour manger une herbe qu’ils arrachent et nettoient avec soin afin de lui enlever terres et racines (ce qui permettra la repousse) en la tournant et retournant avec la trompe et au besoin en la tapant sur une de leurs pattes avant afin qu’elle soit bien nette. Alors seulement, quand elle luit de propreté, ils la portent à leur bouche par un lent mouvement circulaire de leur trompe. Les éléphants sont des animaux délicats. Et même avec leurs 200kg d’herbes par jour, ils restent des gourmets et non des gloutons sans retenue.

Ils avancent ainsi, dans la chaleur étouffante de la fin de journée, entre longues pauses et pas lents, jusqu’à l’eau bienfaitrice où ils vont pouvoir boire et se baigner.

Il y a un problème avec les éléphants.
Non pardon je recommence. Il y a un problème ici avec les hommes.
Ils ne cessent de construire et de réduire forêts et pâturages nécessaires aux éléphants. Ils font des routes ou des constructions sur les corridors ancestraux que ces bêtes empruntent pour se rendre à l’eau. Dans les réserves il arrive que des abrutis surmontant des grappes de jeeps, barrent l’accès à l’eau pour le plaisir de photos qu’ils pourront arborer plus tard en expliquant « tu vois on est tellement restés longtemps à les admirer que les éléphants sont repartis sans boire » …ce qui arrive effectivement parfois. Il y a ce gouvernement qui a autorisé les éleveurs à faire paître leurs vaches dans les réserves ce qui pose un double problème. D’une part cela réduit les espaces herbeux, d’autre part les vaches, contrairement aux éléphants, arrachent l’herbe pour déguster tiges et racines. Il faudrait donc replanter après leur passage, ce que personne ne fait évidemment.

Il y a enfin les braconniers qui redoublent d’ingéniosité meurtrière : citrouilles bourrées d’explosifs, pièges de toutes sortes quand ce n’est pas la classique arme à feu. Toutes ces agressions combinées ont fait que le nombre d’éléphants du Sri Lanka n’a cessé de décroître passant de plus de 200 000 à l’époque coloniale à un peu plus de 5000 aujourd’hui, que leur espace vital se réduit et qu’au final l’on voit apparaître parfois, chez certains d’entre eux, une agressivité qu’on ne leur connaissait pas dans un pays où depuis la nuit des temps hommes et bêtes sont liés, et ce, que les éléphants soient dans la nature où ils étaient respectés ou qu’ils soient attachés aux hommes pour le travail comme pour les fêtes. Attachement intime, un cornac s’occupant toute sa vie du même éléphant.
Ces 5 dernières années 372 personnes sont mortes de rencontres avec un éléphant agressif. Et certains d’accuser les bêtes…

Notre séjour dans la région s’achève et le lendemain après un nouveau petit déjeuner dont les Sri Lankais ont le secret, composé de mets salés et sucrés inconnus en Europe, de fruits accompagnant le traditionnel thé noir, nous nous séparons de nos bien sympathiques hôteliers, un jeune couple de Kibissa qui améliore ses revenus d’agriculteur avec ses deux gîtes rustiques qu’il loue une partie de l’année et que le mari a construits lui-même.

Pour réserver les nuits Jean Pierre était passé par Booking.com, site en apparence bien pratique et annonçant des prix intéressants. Au moment de régler la note, notre « natural hébergeur » nous apprend qu’il doit reverser au site 1/3 des sommes qu’il perçoit ! De quoi vacciner de s’adresser à cette chaîne internationale…

Nous repartons. Un ami de Jean-Pierre nous a prêté une voiture conduite par un chauffeur…ce qui est plus prudent à voir la succession de queues de poisson (faites ou subies) ou de coups de frein donnés pour éviter une voiture qui arrive en face.
Nous reprenons notre route vers l’est en nous préparant aux longues heures de trajet dont la conduite dangereusement surprenante qui est la règle ici ne réduira guère la durée. Conduite tout de même moins dangereuse que le transport en cars privés. La compagnie publique ne donnait pas satisfaction au gouvernement alors le réseau de transports a été grandement privatisé avec tout ce que cela comporte. Cars poussés jusqu’à la dernière limite des moteurs et de la carrosserie, chauffeurs qui se font la course pour se disputer les clients aux arrêts, bref la joie du libéralisme dans les transports qui tend à remplacer un réseau ferré non entretenu et vieillissant…

Nous le savons, le temps pour atteindre notre destination sera long ce qui ici n’est pas un problème mais semble faire partie de l’environnement naturel. Les Sri Lankais, en tous cas ceux que nous rencontrons, semblent avoir un autre rapport au temps que nous. Si on évacue les pseudo arguments simplistes du style « c’est dans la nature des asiatiques » (alors que ce type de rapport ne s’observe pas dans d’autres pays voisins), il faut chercher d’autres raisons que celles qui seraient prétendument génétiques. Cela vient-il des conditions de transports ? Des contraintes d’une vie dans un pays maintenu dans le dénuement par la colonisation ? Des incertitudes liées aux moussons qui contraignent à la paralysie de toute activité quand toute l’eau du ciel se déverse sur les hommes et les bêtes en quelques heures ? D’une philosophie née de la pauvreté qui apprend à accepter sereinement ce que l’on semble impuissants à changer ? Sans doute d’un peu de tout cela à la fois.
L’attente, la lenteur ou le contretemps semblent faire partie d’une vie où l’expression « perdre son temps » ne semble pas avoir de sens. On attend dans les embouteillages de Colombo, on patiente pour la montée de Sirigeya, les chauffeurs de touk-touk attendent leur passager parti monter le rocher de Pidurangala ou faire une virée dans plusieurs endroits de la ville. L’attente fait partie de la vie.
Combien de temps pour Pasikudah ?
On verra bien.

D’autant que la distance et les turpitudes de la route n’empêchent pas les arrêts intempestifs et imprévus.
Ainsi, soudainement le chauffeur s’arrête à un endroit où la route longe une rivière en contrebas. Sur la berge, un homme nourrit des varans avec des poissons accrochés au bout d’une perche. Les varans ici font 2 à 3 mètres de long et sont redoutables grâce à leur queue dont ils se servent comme d’un fouet qui peut, nous a-t-on dit, casser les jambes d’un imprudent.

Plus loin nous nous arrêtons dans un restauroute à la mode sri-lankaise et nous rencontrons des parisiens qui comme nous ont monté le rocher de Sirigeya. Nous en profitons pour aller acheter du vin. Comme souvent dans les anciennes colonies britanniques on ne trouve quasiment pas d’alcool dans les magasins classiques mais uniquement dans des magasins appelés shop-wine. On y vend principalement de la bière ou de l’arrack, un alcool fort local à base de sève de cocotier. On ne rentre pas dans l’échoppe, l’ouverture étant fermée par une grille derrière laquelle se tient le caviste. On y fait sa commande à travers le barreaudage en s’accoudant à la banque qui déborde sur la rue et derrière laquelle se pressent exclusivement des hommes, en particulier le soir, des jeunes venus commander leur ration journalière de bière locale.

Nous pensons être repartis pour un trajet sans arrêt jusqu’à la destination mais c’est sans compter sur les singes nombreux qui s’agitent sur le bord de la route par troupes entières. Nouvelle halte donc. Photos et envoi de bananes sont de rigueur.

Le dernier arrêt est à notre demande celui-là. En bord de route un grand ensemble immobilier est en construction. Il s’agit d’une énorme université « musulmane » qui sera d’une telle capacité qu’elle ne pourra être remplie que par des étudiants venus de l’étranger. Le commanditaire est à deux têtes : l’Arabie Saoudite et Israël. A ces seuls noms on se doute bien que le caractère religieux de l’opération n’est qu’un alibi qui cache d’autres motivations bien politiques celle-là, et même géopolitiques pour cette région stratégique du monde.

Une bonne heure avant la nuit, notre voiture franchit un portail ajouré qui ouvre sur une large cour de sable barrée par une grande demeure aux allures de maison coloniale. Nous sommes à notre hôtel de Pasikudah.



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